Lettre de Xavier Valancker, détenu à la prison d’Annoeullin, 2.10.12 (G.E.P.)

Je te remercie de cet appui constant, conscient de ce que vous faites en notre faveur. Allons-y pour de nouveaux épisodes :

Le 17 septembre :

9 heures, c’est le départ des « activités », un détenu en régime fermé (la lie de la détention) s’approche de deux autres et les frappe violemment au sein du couloir. Intervention du surveillant d’étage qui prend quelques coups de pied dans les jambes et se retrouve au sol avec l’intéressé dans un affrontement direct. Intervention de ses collègues, le détenu est maîtrisé, menotté dans le dos et conduit fermement au mitard. Il a été condamné à trente jours de cachot pour agression sur personnel. Geste gratuit ? Non, ce détenu est ici depuis trois semaines, exacerbé comme tant d’autres par le climat ambiant, il en est arrivé à adopter un comportement irréfléchi. Il sera vraisemblablement transféré à l’issue de la sanction avec un ticket pour l’instance correctionnelle.

Le même jour, 10h15, un détenu situé au rez-de-chaussée, à savoir le lieu des « fragiles » (ceux nécessitant une attention particulière) mais surtout un endroit d’où rien, ou si peu, ne filtre, où tout se produit sans cri, sans plainte. Il demande à se rendre en promenade. On lui rétorque que l’heure de départ est passée. S’ensuivent des invectives. On le menotte dans le dos et on l’emmène au mitard. Ce sera son unique promenade.

[…]

Le 29 septembre :

7h05, ils emmènent un détenus menotté dans le dos, « plié » vers l’avant, en direction du mitard. Il fait encore nuit, la journée s’annonce mal.

Même jour, vers 9h30. Une équipe particulière est à l’étage, au 1er droit, étage fermé où je suis depuis mon arrivée (août 2011). C’est le week-end, instant propice aux incidents. Nous partons en promenade et les provocations verbales commencent. Nous ne supportons plus ces tortionnaires du dimanche. Le ton monte. Nous sommes une dizaine de détenus à nous rendre au rez-de-chaussée afin de rencontrer le gradé de permanence, réfugié dans son bureau, conscient que l’incident est inéluctable. Celui-ci arrive et se place entre nous et les cerbères, désireux de casser du détenu. Le rapport de force est équitable, nous ne sommes pas en minorité, le pugilat peut démarrer à tout instant. Les insultes prennent le pas sur les regards haineux. La tension est extrême. Nous finissons par partir en promenade sachant qu’ils nous attendent au retour car effectivement, ils se seront équipés, caparaçonnés, afin d’annihiler toute velléité contraire. Le directeur me convoquera suite à cela […] Nous lui ferons savoir que les longues peines n’ont pas (jamais eu) leur place ici et que nos transferts seront salvateurs. Je lui dirai également que ce CD n’a de centre de détention que le terme tant nous sommes tendus et physiquement éprouvés, accomplissant une double détention de par ce qu’ils nous infligent, à savoir des micro-traumatismes permanents découlant du climat délétère qu’ils entretiennent sciemment.

[…]

Nous soutiendrons votre entreprise comme nous le pourrons car nous sommes limités dans notre marge de manœuvre. Votre appui nous revigore. Si tu pouvais appréhender le seuil de renoncement, à tous titres, qui caractérise ce lieu, tu comprendrais mieux ce qui nous imprègne. Essaye de consulter l’article de La Voix du Nord du jeudi 27 consacré à la présidente du TAP (Tribunal de l’Application des Peines), Madame Hélène Juder, une orfèvre de la récidive, de par sa conception de l’enfermement et les décisions rendues par son instance, tu comprendras qu’il n’y aucun espoir ici. Soixante pour cent de récidive relatifs à cet établissement, c’est révélateur du travail négatif opéré par ces gens-là. Ils sont juste bons à instiller la haine, à produire le désir de vengeance et forcément à en faciliter la régurgitation sans effort sur le système social dès que faire se peut. Je vois tant de sorties sèches se rapportant à des peines de deux à quatre ans, voire plus, que cela ne saurait être anodin ou le fruit d’un échec collectif.

Non, il s’agit de reproduire la récidive par une germination intra muros afin d’assurer la pérennité de l’appareil répressif. C’est dorénavant le triomphe d’une justice déshumanisée et systématique associée aux visions économistes de la criminalité et de l’enfermement. La privatisation du milieu carcéral tendra aux pires excès, faisant de la prison un marché comme les autres. Sais-tu que tu as dorénavant un membre du partenaire privé qui assiste systématiquement aux diverses commissions (en exemple plan PEP = projet d’exécution de peine, où l’on te communique le plan de vol comportemental annuel) ? Cet infiltré se trouve donc informé de la nature de tes actes, de la longueur de ta peine et de tes paramètres familiaux ! Ils finiront par privatiser le prétoire et le mitard avec des calicots !

Leur justice industrialisée est extrêmement dangereuse, elle dépersonnalise la population pénale pour mieux rationaliser ses décisions. Ils font du crime une ressource nature illimitée alimentant la répression pénale et feignent de s’offusquer dans les médias d’un tel pourcentage d’échec, d’une récidive annoncée.

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