Et puis la décision est tombée. Samedi, François Hollande a accordé une grâce partielle à Philippe El Shennawy. Celui-ci ne sortira pas immédiatement de prison comme il l’espérait. Mais le chef de l’Etat a annulé sa période de sûreté, qui courait encore trois ans et durant laquelle le détenu ne pouvait demander aucun aménagement de sa peine. Sa sûreté ayant sauté sur décision de l’Elysée, El Shennawy peut déposer une demande de libération conditionnelle, ce qui prend des mois, et sans certitude de se la voir accorder par les magistrats qui l’examineront. «Nous sommes déçus : des magistrats s’étaient portés garants pour lui, des directeurs de prison avaient écrit des lettres en sa faveur, il avait une promesse d embauche… Que pouvait-il faire de plus pour sortir ?» interroge Martine El Shennawy.
«Debout ou couché». Quand il l’a appris samedi, Philippe a pris un coup sur la tête. «Trente-sept ans, je n’en ai pas fait assez ?» a-t-il dit à sa femme. «Il a passé une nuit blanche, et on a finalement décidé de se battre pour la conditionnelle», poursuit-elle. El Shennawy avait épuisé tous les recours. La grâce présidentielle, c’était la démarche ultime. «Il m’avait dit : « Quoiqu’il arrive, en 2013, je sortirai de prison, debout ou couché »», rapporte sa femme.
Depuis le dépôt de la requête en grâce mi-décembre par l’avocate du détenu, Me Virginie Bianchi, l’affaire agitait une partie du monde judiciaire, et même un peu au-delà. Des intellectuels (l’historien Tzvetan Todorov, le sociologue Michel Wieviorka, l’écrivain Paul Pavlowitch…) avaient solennellement demandé au président de la République de gracier El Shennawy, «symbole des peines sans fin». Provoquant rapidement une contre-pétition lancée par un lobby sécuritaire «au nom du refus de faire de cet individu une victime, alors qu’il a précisément bouleversé la vie des innocents qui se sont trouvés sur son chemin criminel». Deux avocats de ces «innocents», pris en otages par El Shennawy lors d’une de ses évasions, ont pourtant signé l’appel en faveur de sa grâce. Avec l’accord de leurs clients.
L’ancien magistrat Philippe Bilger avait lui aussi pris position contre le «dogmatisme compassionnel» et la «mansuétude de luxe», comme il l’expliquait à Libération. Une avalanche de réactions, qui avaient fini par faire peur à Martine El Shennawy : à chaque article paru dans la presse, «la pétition contre la grâce d’El Shennawy gagnait des milliers de signatures», se désolait-elle.
Double tranchant. «Sans la pétition des intellectuels, dont de grands noms de la justice comme Henri Leclerc et Louis Joinet, mon recours en grâce n’aurait sans doute pas été examiné si vite, reconnaît Me Virginie Bianchi. Mais cette médiatisation était à double tranchant.» Soucieux d’éviter l’habituel procès en laxisme fait à la gauche, le Président aurait-il le courage politique d’accorder sa grâce à un récidiviste ? «Il a fallu avoir une stratégie assez sophistiquée pour n’exercer aucune pression maladroite sur le chef de l’Etat», raconte Michel Wieviorka.
«La grâce n’a plus bonne presse, souligne l’ancien avocat Jean Danet, désormais enseignant à l’université de Nantes. Depuis la suppression des grâces collectives par Nicolas Sarkozy, la grâce individuelle subsiste comme le seul vestige du monarque et de son droit divin… L’exercice n’en est devenu que plus délicat.» Dans le dossier El Shennawy, la discrétion a donc dû s’ajouter au secret de cette prérogative hors norme. «Exorbitante», dit Virginie Bianchi.
La grâce présidentielle est une procédure discrétionnaire, informelle. L’article 17 de la Constitution est sommaire : «Le président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel.» Ce droit n’est soumis à aucun délai de réponse. Les services du ministère de la Justice instruisent les demandes et procèdent à un tri. Ensuite, arbitrairement, le chef de l’Etat l’accorde ou non, sans avoir à motiver sa décision. Le droit de grâce est le seul décret qui n’est pas inscrit au Journal officiel.
«Le droit de grâce n’a délibérément jamais été inscrit dans une procédure : ce n’est pas de la justice, c’est une tradition qui renvoie à la coutume, au droit du roi, analyse Jean Danet. Il existe une sorte d’accord de la classe politique pour qu’elle reste discrète. Sous la IVe République déjà, la grâce accordée par le président Auriol à Jean Genet pour qu’il échappe à la relégation avait été discrète…»
Soupape de sécurité. Alors que la ministre de la Justice, Christiane Taubira, a réaffirmé, le mois passé, que la prison ne devait plus être la peine de référence, la majorité veut éviter de prêter le flanc aux procès en angélisme. Et pour les socialistes qui ont martelé tout au long de la campagne présidentielle qu’ils n’interviendraient jamais dans une affaire judiciaire, contrairement à Nicolas Sarkozy, accorder une grâce a quelque chose d’acrobatique. «La grâce, c’est la volonté de substituer purement et simplement le politique à la justice, explique Jean Danet. Mais la justice peut avoir besoin de cette soupape de sécurité, de ce droit flou : il est des cas, comme la « perpétuité réelle », dans lesquels la grâce seule peut éviter une peine inhumaine. On ne peut pas tout inscrire dans des procédures et dans un droit parfaitement normé.» Le détenu Philippe El Shennawy en est la démonstration.
Il y a deux semaines, sa femme nous expliquait: «Comme dit mon mari, on fait les morts.» Ce qui voulait dire qu’en attendant la décision du président de la République, l’ex-braqueur Philippe El Shennawy et sa femme, Martine, avaient arrêté de répondre aux journalistes.
Et puis la décision est tombée. Samedi Francois Hollande a finalement accordé une grâce partielle à Philippe el Shennawy. Celui-ci ne sortira pas immédiatement de prison comme il l’espérait. Mais le président de la République a annulé sa période de sureté, qui courait encore trois ans et durant laquelle le détenu ne pouvait demander aucun aménagement de peine ni (XXXX de libération XXXX) conditionnelle. Sa sûreté ayant sauté sur décision de l’Élysée, El Shennawy peut déposer une demande de libération conditionnelle, ce qui prend des mois, et sans certitude de se la voir accorder par les magitrats qui l’examineront. «Nous somme déçus: des magistrats s étaient portés garants pour lui, des directeurs de prison avaient écrit deslettres en sa faveur, il avait une promesse d embauche… Que pouvait il faire de plus pour pouvoir sortir ?, interroge Martine El Shennawy.
Quand il l’a appris samedi, Philippe à pris un coup sur la tete. «37 ans, j’en ai pas fait assez?»,m’a t il dit. «Il a passé une nuit blanche, et on a finalement décidé de se battre pour la conditionnelle.»
El Shennawy avait épuisé tous les recours: libérable en 2032, il ne pouvait obtenir de conditionnelle avant trois ans. La grâce, c’était la démarche ultime. «Il m’avait dit: « quoiqu’il arrive, en 2013, je sortirai de prison, debout ou couché »», rapporte Martine El Shennawy.
Depuis le dépôt de la requête en grâce mi-décembre par l’avocate du détenu, Me Virgine Bianchi l’affaire agitait une partie du monde judiciaire, et même un peu au-delà. Des intellectuels(l’historien Tzvetan Todorov, le sociologue Michel Wieviorka, l’écrivain Paul Pavlowitch…), avaient solennellement demandé au président de la République de gracier El Shennawy «symbole des peines sans fin». Provoquant rapidement une contre-pétition lancée par un lobby sécuritaire «au nom du refus de faire de cet individu une victime alors qu’il a précisément bouleversé la vie des innocents qui se sont trouvés sur son chemin criminel». Deux avocats de ces «innocents», pris en otage par El Shennawy lors d’une de ses évasions, ont pourtant signé l’appel en faveur de sa grâce. Avec l’accord de leurs clients.
L’ancien magistrat Philippe Bilger avait lui aussi pris position contre le «dogmatisme compassionnel» et la «mansuétude de luxe», comme il l’expliquait à Libération.
Ces réactions, c’est justement cela qui avait fait peur à Martine El Shennawy: à chaque article paru dans la presse, «la pétition contre la grâce d’El Shennawy gagnait des milliers de signatures», se désolait l’épouse.
«Sans la pétition des intellectuels, dont de grands noms de la justice comme Henri Leclerc et Louis Joinet, mon recours en grâce n’aurait sans doute pas été examiné si vite, reconnaît Me Virginie Bianchi. Mais cette médiatisation était à double tranchant.» Un président de gauche aurait-il le courage politique d’accorder sa grâce à un récidiviste? «Il a fallu avoir une stratégie assez sophistiquée pour n’exercer aucune pression maladroite sur le chef de l’Etat», raconte Michel Wieviorka.
«La grâce n’a plus bonne presse, souligne l’ancien avocat Jean Danet, désormais enseignant à l’université de Nantes. Depuis la suppression des grâces collectives par Nicolas Sarkozy, la grâce individuelle subsiste comme le seul vestige du monarque et de son droit divin… L’exercice n’en est devenu que plus délicat.»
Dans le dossier El Shennawy, la discrétion a donc dû s’ajouter au secret de cette procédure par essence hors norme. «Exorbitante», dit Virginie Bianchi.
La grâce présidentielle est une procédure secrète, discrétionnaire, informelle. L’article 17 de la Constitution est sommaire: «Le Président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel.» Le droit de grâce n’est soumis à aucun délai de réponse, les services du ministère de la Justice instruisent les demandes, procèdent à un premier tri dont ils n’ont pas à rendre compte, avant de transmettre les demandes jugées crédible à l’Elysée. Qui décide arbitrairement d’accorder sa grâce ou non, sans avoir à motiver sa décision. Le droit de grâce est le seul décret qui n’est pas inscrit au journal officiel.
«Le droit de grâce n’a délibérément jamais été inscrit dans une procédure: ce n’est pas de la Justice, c’est une tradition qui renvoie à la coutume, au droit du roi, analyse Jean Danet. Il existe une sorte d’accord de la classe politique pour qu’elle reste discrète. Sous la IVème République déjà, la grâce accordée par le président Auriol à Jean Genet pour qu’il échappe à la relégation avait été discrète…»
«Personne n’a intérêt à en parler et la médiatisation ne sert jamais dans des cas comme ça…, croit savoir Jean-Jacques Urvoas, le président socialiste de la commission des lois à l’Assemblée nationale, interrogé – et mal à l’aise – sur le cas El Shennawy. Déjà qu’on a ramé avec la proposition d’amnistie sociale [qui prévoit de tirer un trait sur les délits commis par des militants syndicaux, ndlr]…» Moins opposé au principe, le député socialiste Dominique Raimbourg, spécialisé dans les questions de justice: «Politiquement c’est difficile à gérer: la grâce reste liée à l’arbitraire royal.»
Alors que la ministre de la Justice Christiane Taubira a réaffirmé, le mois passé, que la prison ne devait plus être la peine de référence, la majorité veut éviter de prêter le flan aux procès en angélisme.Et pour les socialistes qui ont martelé tout au long de leur campagne présidentielle qu’ils n’interviendraient jamais dans une affaire judiciaire, contrairement à Nicolas Sarkozy, accorder une grâce a quelque chose d’acrobatique. «Nous sommes conscients du caractère paradoxal de notre demande, alors que nous somes pour l’indépendance du judiciaire, reconnaît l’historien Tzvetan Todorov. C’est une décision politique et il faut l’assumer comme telle. Avec peut être plus de courage encore que d’envoyer l’armée au Mali.»
«La grâce, c’est la volonté de substituer purement et simplement le politique à la justice, explique Jean Danet. Mais la justice peut avoir besoin de cette soupape de sécurité, de ce droit flou: il est des cas, comme la « perpétuité réélle », dans lesquels la grâce seule peut éviter une peine inhumaine. On ne peut pas tout inscrire dans des procédures et dans un droit parfaitement normé.»
Sonya Faure
source : http://www.liberation.fr/societe/2013/03/25/el-shennawy-hollande-deverrouille-une-serrure_891214
El Shennawy : Hollande « déverrouille une serrure »
Le condamné au long cours n’a obtenu qu’une grâce partielle, qui supprime sa période de sûreté. Son sort reste du ressort des juges.
Il y a deux semaines, sa femme nous expliquait : «Comme dit mon mari, on fait les morts.» Ce qui voulait dire qu’en attendant que le président de la République tranche, l’ex-braqueur Philippe El Shennawy et sa femme, Martine, avaient arrêté de répondre aux journalistes.
Et puis la décision est tombée. Samedi, François Hollande a accordé une grâce partielle à Philippe El Shennawy. Celui-ci ne sortira pas immédiatement de prison comme il l’espérait. Mais le chef de l’Etat a annulé sa période de sûreté, qui courait encore trois ans et durant laquelle le détenu ne pouvait demander aucun aménagement de sa peine. Sa sûreté ayant sauté sur décision de l’Elysée, El Shennawy peut déposer une demande de libération conditionnelle, ce qui prend des mois, et sans certitude de se la voir accorder par les magistrats qui l’examineront. «Nous sommes déçus : des magistrats s’étaient portés garants pour lui, des directeurs de prison avaient écrit des lettres en sa faveur, il avait une promesse d embauche… Que pouvait-il faire de plus pour sortir ?» interroge Martine El Shennawy.
«Debout ou couché». Quand il l’a appris samedi, Philippe a pris un coup sur la tête. «Trente-sept ans, je n’en ai pas fait assez ?» a-t-il dit à sa femme. «Il a passé une nuit blanche, et on a finalement décidé de se battre pour la conditionnelle», poursuit-elle. El Shennawy avait épuisé tous les recours. La grâce présidentielle, c’était la démarche ultime. «Il m’avait dit : « Quoiqu’il arrive, en 2013, je sortirai de prison, debout ou couché »», rapporte sa femme.
Depuis le dépôt de la requête en grâce mi-décembre par l’avocate du détenu, Me Virginie Bianchi, l’affaire agitait une partie du monde judiciaire, et même un peu au-delà. Des intellectuels (l’historien Tzvetan Todorov, le sociologue Michel Wieviorka, l’écrivain Paul Pavlowitch…) avaient solennellement demandé au président de la République de gracier El Shennawy, «symbole des peines sans fin». Provoquant rapidement une contre-pétition lancée par un lobby sécuritaire «au nom du refus de faire de cet individu une victime, alors qu’il a précisément bouleversé la vie des innocents qui se sont trouvés sur son chemin criminel». Deux avocats de ces «innocents», pris en otages par El Shennawy lors d’une de ses évasions, ont pourtant signé l’appel en faveur de sa grâce. Avec l’accord de leurs clients.
L’ancien magistrat Philippe Bilger avait lui aussi pris position contre le «dogmatisme compassionnel» et la «mansuétude de luxe», comme il l’expliquait à Libération. Une avalanche de réactions, qui avaient fini par faire peur à Martine El Shennawy : à chaque article paru dans la presse, «la pétition contre la grâce d’El Shennawy gagnait des milliers de signatures», se désolait-elle.
Double tranchant. «Sans la pétition des intellectuels, dont de grands noms de la justice comme Henri Leclerc et Louis Joinet, mon recours en grâce n’aurait sans doute pas été examiné si vite, reconnaît Me Virginie Bianchi. Mais cette médiatisation était à double tranchant.» Soucieux d’éviter l’habituel procès en laxisme fait à la gauche, le Président aurait-il le courage politique d’accorder sa grâce à un récidiviste ? «Il a fallu avoir une stratégie assez sophistiquée pour n’exercer aucune pression maladroite sur le chef de l’Etat», raconte Michel Wieviorka.
«La grâce n’a plus bonne presse, souligne l’ancien avocat Jean Danet, désormais enseignant à l’université de Nantes. Depuis la suppression des grâces collectives par Nicolas Sarkozy, la grâce individuelle subsiste comme le seul vestige du monarque et de son droit divin… L’exercice n’en est devenu que plus délicat.» Dans le dossier El Shennawy, la discrétion a donc dû s’ajouter au secret de cette prérogative hors norme. «Exorbitante», dit Virginie Bianchi.
La grâce présidentielle est une procédure discrétionnaire, informelle. L’article 17 de la Constitution est sommaire : «Le président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel.» Ce droit n’est soumis à aucun délai de réponse. Les services du ministère de la Justice instruisent les demandes et procèdent à un tri. Ensuite, arbitrairement, le chef de l’Etat l’accorde ou non, sans avoir à motiver sa décision. Le droit de grâce est le seul décret qui n’est pas inscrit au Journal officiel.
«Le droit de grâce n’a délibérément jamais été inscrit dans une procédure : ce n’est pas de la justice, c’est une tradition qui renvoie à la coutume, au droit du roi, analyse Jean Danet. Il existe une sorte d’accord de la classe politique pour qu’elle reste discrète. Sous la IVe République déjà, la grâce accordée par le président Auriol à Jean Genet pour qu’il échappe à la relégation avait été discrète…»
Soupape de sécurité. Alors que la ministre de la Justice, Christiane Taubira, a réaffirmé, le mois passé, que la prison ne devait plus être la peine de référence, la majorité veut éviter de prêter le flanc aux procès en angélisme. Et pour les socialistes qui ont martelé tout au long de la campagne présidentielle qu’ils n’interviendraient jamais dans une affaire judiciaire, contrairement à Nicolas Sarkozy, accorder une grâce a quelque chose d’acrobatique. «La grâce, c’est la volonté de substituer purement et simplement le politique à la justice, explique Jean Danet. Mais la justice peut avoir besoin de cette soupape de sécurité, de ce droit flou : il est des cas, comme la « perpétuité réelle », dans lesquels la grâce seule peut éviter une peine inhumaine. On ne peut pas tout inscrire dans des procédures et dans un droit parfaitement normé.» Le détenu Philippe El Shennawy en est la démonstration.
Il y a deux semaines, sa femme nous expliquait: «Comme dit mon mari, on fait les morts.» Ce qui voulait dire qu’en attendant la décision du président de la République, l’ex-braqueur Philippe El Shennawy et sa femme, Martine, avaient arrêté de répondre aux journalistes.
Et puis la décision est tombée. Samedi Francois Hollande a finalement accordé une grâce partielle à Philippe el Shennawy. Celui-ci ne sortira pas immédiatement de prison comme il l’espérait. Mais le président de la République a annulé sa période de sureté, qui courait encore trois ans et durant laquelle le détenu ne pouvait demander aucun aménagement de peine ni (XXXX de libération XXXX) conditionnelle. Sa sûreté ayant sauté sur décision de l’Élysée, El Shennawy peut déposer une demande de libération conditionnelle, ce qui prend des mois, et sans certitude de se la voir accorder par les magitrats qui l’examineront. «Nous somme déçus: des magistrats s étaient portés garants pour lui, des directeurs de prison avaient écrit deslettres en sa faveur, il avait une promesse d embauche… Que pouvait il faire de plus pour pouvoir sortir ?, interroge Martine El Shennawy.
Quand il l’a appris samedi, Philippe à pris un coup sur la tete. «37 ans, j’en ai pas fait assez?»,m’a t il dit. «Il a passé une nuit blanche, et on a finalement décidé de se battre pour la conditionnelle.»
El Shennawy avait épuisé tous les recours: libérable en 2032, il ne pouvait obtenir de conditionnelle avant trois ans. La grâce, c’était la démarche ultime. «Il m’avait dit: « quoiqu’il arrive, en 2013, je sortirai de prison, debout ou couché »», rapporte Martine El Shennawy.
Depuis le dépôt de la requête en grâce mi-décembre par l’avocate du détenu, Me Virgine Bianchi l’affaire agitait une partie du monde judiciaire, et même un peu au-delà. Des intellectuels(l’historien Tzvetan Todorov, le sociologue Michel Wieviorka, l’écrivain Paul Pavlowitch…), avaient solennellement demandé au président de la République de gracier El Shennawy «symbole des peines sans fin». Provoquant rapidement une contre-pétition lancée par un lobby sécuritaire «au nom du refus de faire de cet individu une victime alors qu’il a précisément bouleversé la vie des innocents qui se sont trouvés sur son chemin criminel». Deux avocats de ces «innocents», pris en otage par El Shennawy lors d’une de ses évasions, ont pourtant signé l’appel en faveur de sa grâce. Avec l’accord de leurs clients.
L’ancien magistrat Philippe Bilger avait lui aussi pris position contre le «dogmatisme compassionnel» et la «mansuétude de luxe», comme il l’expliquait à Libération.
Ces réactions, c’est justement cela qui avait fait peur à Martine El Shennawy: à chaque article paru dans la presse, «la pétition contre la grâce d’El Shennawy gagnait des milliers de signatures», se désolait l’épouse.
«Sans la pétition des intellectuels, dont de grands noms de la justice comme Henri Leclerc et Louis Joinet, mon recours en grâce n’aurait sans doute pas été examiné si vite, reconnaît Me Virginie Bianchi. Mais cette médiatisation était à double tranchant.» Un président de gauche aurait-il le courage politique d’accorder sa grâce à un récidiviste? «Il a fallu avoir une stratégie assez sophistiquée pour n’exercer aucune pression maladroite sur le chef de l’Etat», raconte Michel Wieviorka.
«La grâce n’a plus bonne presse, souligne l’ancien avocat Jean Danet, désormais enseignant à l’université de Nantes. Depuis la suppression des grâces collectives par Nicolas Sarkozy, la grâce individuelle subsiste comme le seul vestige du monarque et de son droit divin… L’exercice n’en est devenu que plus délicat.»
Dans le dossier El Shennawy, la discrétion a donc dû s’ajouter au secret de cette procédure par essence hors norme. «Exorbitante», dit Virginie Bianchi.
La grâce présidentielle est une procédure secrète, discrétionnaire, informelle. L’article 17 de la Constitution est sommaire: «Le Président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel.» Le droit de grâce n’est soumis à aucun délai de réponse, les services du ministère de la Justice instruisent les demandes, procèdent à un premier tri dont ils n’ont pas à rendre compte, avant de transmettre les demandes jugées crédible à l’Elysée. Qui décide arbitrairement d’accorder sa grâce ou non, sans avoir à motiver sa décision. Le droit de grâce est le seul décret qui n’est pas inscrit au journal officiel.
«Le droit de grâce n’a délibérément jamais été inscrit dans une procédure: ce n’est pas de la Justice, c’est une tradition qui renvoie à la coutume, au droit du roi, analyse Jean Danet. Il existe une sorte d’accord de la classe politique pour qu’elle reste discrète. Sous la IVème République déjà, la grâce accordée par le président Auriol à Jean Genet pour qu’il échappe à la relégation avait été discrète…»
«Personne n’a intérêt à en parler et la médiatisation ne sert jamais dans des cas comme ça…, croit savoir Jean-Jacques Urvoas, le président socialiste de la commission des lois à l’Assemblée nationale, interrogé – et mal à l’aise – sur le cas El Shennawy. Déjà qu’on a ramé avec la proposition d’amnistie sociale [qui prévoit de tirer un trait sur les délits commis par des militants syndicaux, ndlr]…» Moins opposé au principe, le député socialiste Dominique Raimbourg, spécialisé dans les questions de justice: «Politiquement c’est difficile à gérer: la grâce reste liée à l’arbitraire royal.»
Alors que la ministre de la Justice Christiane Taubira a réaffirmé, le mois passé, que la prison ne devait plus être la peine de référence, la majorité veut éviter de prêter le flan aux procès en angélisme.Et pour les socialistes qui ont martelé tout au long de leur campagne présidentielle qu’ils n’interviendraient jamais dans une affaire judiciaire, contrairement à Nicolas Sarkozy, accorder une grâce a quelque chose d’acrobatique. «Nous sommes conscients du caractère paradoxal de notre demande, alors que nous somes pour l’indépendance du judiciaire, reconnaît l’historien Tzvetan Todorov. C’est une décision politique et il faut l’assumer comme telle. Avec peut être plus de courage encore que d’envoyer l’armée au Mali.»
«La grâce, c’est la volonté de substituer purement et simplement le politique à la justice, explique Jean Danet. Mais la justice peut avoir besoin de cette soupape de sécurité, de ce droit flou: il est des cas, comme la « perpétuité réélle », dans lesquels la grâce seule peut éviter une peine inhumaine. On ne peut pas tout inscrire dans des procédures et dans un droit parfaitement normé.»
Sonya Faure source : http://www.liberation.fr/societe/2013/03/25/el-shennawy-hollande-deverrouille-une-serrure_891214