Pour des vols de survie, Philippe Lalouel risque la prison à perpétuité

Contaminé par le virus du Sida à son entrée en prison, Philippe Lalouel a tout fait pour retrouver la liberté. Une rage qu’il pourrait payer toute sa vie.

Philippe Lalouel n’a plus connu la liberté depuis son adolescence et pourrait finir sa vie en prison. Pourtant, aucun crime de sang ne figure à son casier judiciaire. Aucun coup de feu ni déchaînement de violence n’apparaissent dans les récits de ses larcins. Philippe Lalouel est pris dans une implacable mécanique carcérale qui lui fait payer, aujourd’hui encore, l’énergie qu’il a déployée il y a vingt ans pour ne pas mourir en prison.

« Quand on pense qu’on va crever,
on essaye de retrouver la liberté »

Cet enfant du quartier marseillais du Panier, tombé dans la petite délinquance, commet son premier braquage à l’âge de 19 ans, en 1986. Il est aussitôt interpellé, à l’hôpital, alors qu’il soigne une blessure par balle reçue à la cuisse pendant l’attaque. À 21 ans, il apprend en détention qu’il vient de contracter le virus du sida à cause d’une transfusion de sang contaminé.

L'entrée du centre pénitentiaire de Moulins, où Philippe Lalouel est incarcéré.

L’entrée du centre pénitentiaire de Moulins, où Philippe Lalouel est incarcéré.
Photo, 16 février 2009, THIERRY ZOCCOLAN / AFP

« Je suis persuadé que ma maladie va me tuer rapidement. (…) Et quand on pense qu’on va crever, on essaye de retrouver sa liberté », raconte-t-il dans un récit publié par ses proches avant le procès en appel qui doit s’ouvrir jeudi aux assises de Montauban. À l’époque, et jusqu’en 1996, « les personnes séropositives n’avaient que 3 à 5 ans à vivre », rappelle Corine Lakhdari, éducatrice spécialisée pour Act-Up Sud Ouest, qui a pris fait et cause pour Philippe Lalouel.

Condamné à huit ans de prison et placé à l’isolement, il est rongé par la maladie. Sans espoir de survivre, il tentera plusieurs fois de s’évader. Il y parvient à deux reprises en 1992 et 1994. Deux courtes cavales de neuf mois au total, durant lesquelles il se rend coupable de plusieurs vols à main armée. En 1995 il est condamné à un total de quatre-vingt-treize années de prison, ramenées à trente-deux ans en 2000. Durant ses nombreux procès, « Philippe Lalouel n’a jamais évoqué sa maladie, par peur qu’elle ne s’ébruite », insiste Corine Lakhdari.

Libéré pour bonne conduite en 2009, il sombre dans la solitude

Avec les années et l’apparition des trithérapies, son état de santé s’améliore. Il s’apaise. En 2009, il est libéré pour sa bonne conduite en liberté conditionnelle, assortie de conditions strictes qui l’éloignent de sa famille, sans préparation ni accompagnement médical ou psychologique. Après vingt-trois ans de prison, dont dix à l’isolement, il est astreint à résidence dans un village de Haute-Garonne, sous-payé par un employeur qui profite des aides publiques pour la réinsertion.

C’est un calvaire à ciel ouvert pour Philippe Lalouel. Dans un journal qu’il tient pour défouloir, il couche une détresse immense et sa peur de « faire une connerie ». Le manque d’argent, la solitude, les crises d’angoisse et la maladie qui le ronge… Après « vingt-trois ans de destruction totale », raconte-t-il, « ça ne tient qu’à un fil »  :

« Je suis comme un bateau sans gouvernail. Les appels au secours ne sont pas pris en compte, y compris par les gens de la réinsertion. C’est une appellation mensongère. Ça n’existe pas la réinsertion », écrit-il le 6 novembre 2009 [1]

Une solitude bien connue des détenus libérés en conditionnelle, en particulier après de longues peines. « Philippe a passé tellement de temps dans la machine carcérale qu’il était inadapté à la vie en société. Et on le laisse sortir sans préparation ni accompagnement », soupire Laurent Jacqua, ancien détenu libéré en 2010 après 25 ans de détention. Il a rencontré Philippe Lalouel en prison et s’est évadé avec lui en 1994.

« Une peine d’élimination sociale »

Quatre mois après sa libération, Philippe Lalouel rechute. Il commet coup sur coup trois vols à main armée dans des agences postales en se servant d’un pistolet non chargé pour intimider les guichetières. Avec son complice, ils se partagent un butin total de 45 000€ jusqu’à son interpellation, en avril 2010, sur les lieux d’un quatrième braquage.

 

Le chiffre :

L’an dernier, 1 900 détenus effectuaient des peines de vingt à trente ans, trois fois plus qu’en 2000.

Jugé en première instance à Toulouse en décembre 2012, Philippe Lalouel a été condamné à vingt ans d’emprisonnement. Pour ses proches, c’est la stupéfaction. À l’issue de l’audience, l’avocat général avait requis une « une peine d’élimination sociale » contre Philippe Lalouel, décrit comme un cas désespéré incapable de se réinsérer.« Le cas de Philippe Lalouel est une histoire de petit voleur qui n’a rien d’exceptionnel, mais qui est emblématique d’une arithmétique carcérale folle », juge aujourd’hui Pierre Guerinet documentariste et ami de Philippe Lalouel depuis 2009. « Des gens comme lui, il y en a plein les [prisons] centrales, soupire aussi Laurent Jacqua. Il est jugé pour des faits de misère, pour lesquels il aurait dû prendre cinq ou dix ans maximum. Mais son passif et sa personnalité en font quelqu’un de « dangereux » pour l’administration. »

Sa situation souligne aussi la grande détresse des malades chroniques en détention. Absence de secret médical, rupture de traitement lors des transferts d’une prison à l’autre : en détention, la prise en charge médicale n’est pas possible dans des bonnes conditions, dénonce Act Up Sud Ouest. La loi française, fait valoir l’association, prévoit pourtant des aménagements ou des suspensions de peines pour les prisonniers souffrant de maladies chroniques.

Aujourd’hui, Philippe Lalouel n’est plus seul. Un comité de soutien s’est créé autour de lui, aux côtés de sa compagne – rencontrée en 2010 peu avant sa rechute – et des relations épistolaires qui se sont nouées depuis 2012. « C’est quelqu’un qui représente la vie, raconte Pierre Guerinet qui s’apprête à témoigner en sa faveur lors de son procès en appel. Au fond de son tombeau, il s’est toujours bagarré. Cela en fait quelqu’un d’exceptionnellement humain ».

Ses proches veulent donc saisir le procès en appel pour faire entendre la grande souffrance que fut son parcours carcéral et sa tentative de réinsertion.

À 46 ans, Philippe Lalouel encourt trente ans de réclusion criminelle, considérée comme une « perpétuité réelle » pour ses proches. La peine la plus basse que peuvent prononcer les jurés est de deux ans, non confondable avec les dix ans de sa conditionnelle révoquée. En cas de grande clémence de la cour d’assise, il sortira donc au plus tôt en 2021. Une hypothèse plus qu’incertaine.

 

Source : http://www.politis.fr/Pour-des-vols-de-survie-Philippe,25460.html?fb_action_ids=10202977735112698&fb_action_types=og.likes&fb_source=aggregation&fb_aggregation_id=288381481237582
Ce contenu a été publié dans Comment ils nous enferment, avec comme mot(s)-clé(s) . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.