LE PREMIER BLOG VENU DE PRISON

LE PREMIER BLOG VENU DE PRISON

Interview et vidéo de Laurent Jacqua à propos de son BLOG.

                          

 

Comment avez-vous eu l’idée de faire un blog en prison?

C’est le Nouvel Observateur qui m’a proposé le projet, j’avais déjà écrit des textes auparavant donc ils ont probablement vu que j’avais la possibilité de le faire de par ma plume. C’est eux qui ont mis en place le site et de mon côté j’ai tout fait de l’intérieur en prenant tous les risques mais. L’occasion de m’exprimer s’est présentée et je l’ai donc utilisée. J’avais un « contrat » avec eux : je pouvais y mettre ce que je voulais à ma façon et de leur côté ils s’engageaient à ne rien changer, même pas une virgule. C’est donc comme cela que tout a démarré, de façon pirate. En effet, il y avait un vide juridique concernant les médias sur le net à l’époque ainsi mes textes étaient publiés sur internet sans passer par la censure ce qui est interdit mais tant que l’on ne se fait pas prendre tout va bien. Pendant quatre ans je ne me suis pas fait prendre. Aujourd’hui mon blog est dissident et plus pirate, les textes qui s’y trouvent ne sont jamais passés par la censure, ils représentent donc une expression directe du citoyen détenu aux citoyens libres.

Cette manière de s’exprimer en toute liberté sans passer par la censure était-ce une façon de lutter contre l’administration pénitentiaire?

Ce n’était que ça. Le blog n’était pas soumis aux dictas de la censure. Il faut relire tous les textes du début. Je parle des handicapés, des femmes, de plein de choses et surtout sans concession.

En prison, tout est contrôlé. Comment a-t-il été réalisable de mettre votre blog à jour dans ce lieu qui à priori ne s’y prête pas, au niveau de la sortie des textes notamment?

Je ne peux pas le dire. Ils ne le savent pas et personne ne le saura. Quand je me suis évadé de prison, j’ai fait rentrer du matériel et jusqu’au jour d’aujourd’hui il n’y a que moi qui sais comment j’ai fait. Bien que des directeurs m’aient demandé,  je ne le dirai jamais. En fait, mon plaisir à moi c’est qu’ils ne le sachent pas, c’est ma victoire. Les secrets ne se disent jamais.

Comment se traduisait la tenue quotidienne de votre blog en termes de temps ?

Cela dépendait du sujet, mais en prison on a beaucoup de temps et rien à faire.

Et au niveau des recherches?

Je me débrouillais, nous avions accès à la télé et à d’autres choses. Le plus important c’est que le sujet même du blog était la prison et  j’étais en plein dedans. De plus, grâce à mon expérience je savais de quoi je parlais.

Dans votre blog vous citez tout de même certains chiffres auxquels vous n’aviez pas forcément accès ?

J’avais accès à des livres de recherche … nous pouvions faire des demandes pour un livre et on le recevait. Après cela dépend desquels mais ceux de l’OIP par exemple, ça passe.

Etiez-vous tout de même limité d’une certaine façon ?

Je m’arrangeais toujours pour que cela marche mais c’est vrai que nous sommes toujours limités. Néanmoins, s’agissant de ce domaine j’avais les informations étant donné que j’étais en plein cœur du sujet. Aujourd’hui je suis devenu un spécialiste.

Lorsque vous étiez incarcéré, vous avez été transféré à nombreuses reprises. Est-ce votre blog qui a occasionné ce tourisme carcéral?

J’ai posté un premier texte, le mois suivant j’étais transféré. Devant l’ampleur que mon blog  prenait, la Pénitentiaire ne comprenait pas. D’ailleurs une fois transféré à Poissy j’ai été convoqué chez la directrice qui m’a dit qu’elle recevait des appels du Ministère et qu’il fallait absolument que j’arrête mais j’avais une astuce. En fait, je leur disais que ce n’était pas moi mais une personne qui se faisait passer pour moi étant donné que le blog était signé à mon nom.

Est-ce qu’il vous croyait ?

Non, mais cela n’avait aucune importance. J’étais en cellule sans téléphone, sans internet donc ils n’avaient aucune preuve contre moi. De plus, ils ne pouvaient pas attaquer le Nouvel Observateur parce que c’était un journal puissant. Par conséquent, ils avaient peur que le phénomène prenne encore plus d’ampleur. De mon côté, tous les quinze jours je continuais à envoyer des textes.

Lors de vos multiples transferts, vous étiez déjà repéré par l’Administration Pénitentiaire?

 

J’ai toujours été repéré par l’administration. J’ai brûlé des prisons, je me suis évadé …  nous n’étions pas là pour rigoler avec eux. Je ne faisais pas partie des détenus soumis qui ferment leur gueule. C’était la guerre avec l’AP et je m’en suis bien sorti mais c’est pour cela qu’à l’époque j’étais placé dans des Centrales hyper sécuritaires.

Quel a été le rôle de ce blog à l’égard de votre incarcération?

Le rôle de mon blog était d’apporter un éclairage, une perception nouvelle de l’intérieur. C’est pour cela qu’il s’intitulait « Vues de prison » et maintenant c’est « Vues sur la prison ». Il ne s’agit pas de parole de thésards qui ne connaissent même pas l’odeur d’une prison. Cette parole du blog a beaucoup plus de poids que celle de personnes qui ne font que théoriser.

Justement, en lisant votre blog, nous pouvons voir que vous dressez une vive critique face aux « spécialistes carcéraux ».

En fait, ils parlent de la prison sans jamais y avoir été. Cela veut dire qu’ils ne savent pas de quoi ils parlent et qu’il faut par conséquent les remettre à leur place.

Vous leur reconnaissez tout de même un côté positif dans la mesure où ils placent la prison dans le débat public ?

Effectivement mais le problème c’est que leur discours aboutit toujours à la construction de nouvelles prisons, plus confortables. Je m’y oppose complètement, je suis pour la destruction des prisons, l’abaissement du nombre de détenus et l’aménagement des peines. De nos jours, tout le monde va en prison, en Europe nous battons les records. En plus, nous sommes dans une logique pénale qui consiste à mettre les pauvres en prison et à se débarrasser de la « raclure sociale ». C’est ce que j’exprime dans mes textes, la prison ne change pas structurellement mais philosophiquement. Les personnes qui disent vouloir améliorer les prisons, les conditions de détention, ils planent complètement.

Votre message n’est pas simplement de parler des conditions de détention de l’intérieur, vous avez un message derrière ?

Je parle aussi des conditions de détention mais les autres parlent de les améliorer ce à quoi je m’oppose parce que plus on va améliorer, plus on va enfermer et plus longtemps. Ces spécialistes ne veulent que moderniser l’instrument de torture. Moi je suis contre, je suis pour la destruction. D’ailleurs ils ne tiendraient même pas quinze jours dans une prison super moderne. Ils jouent les spécialistes du monde carcéral mais ils ne tiendraient pas dans une promenade. Il faudrait les placer au fond d’une Centrale ensuite j’accepterais de discuter avec eux. J’ai pris la parole car je ne voulais pas qu’on parle à ma place, Loïc Wacquant et tous les autres se permettent de nous raconter la prison. J’ai fait des années de prison donc je sais de quoi je parle.

Le problème c’est qu’il y a peu d’anciens détenus qui prennent la parole une fois sortis de prison ?

Chacun est libre de faire ce qu’il veut. Par contre, je ne suis pas le seul à le faire, il faut chercher un peu, en fait, il y en a beaucoup.  J’ai eu la chance d’avoir une vitrine mais il est vrai que certains n’ont pas cette occasion de faire entendre leur voix. Par ailleurs, il y en a plein qui veulent le faire mais ils n’y arrivent pas car ils n’ont pas de tribune.

Que pensez vous des nouvelles tentatives de la pénitentiaire pour promouvoir l’expression des détenus?

C’est insignifiant puisque c’est contrôlé par l’AP. Il n’y aura jamais un élément dénonciateur. Tous les écrits que je fais sur la prison servent aussi à dénoncer le système et je l’ai toujours fait sans concession. Je dénonce et j’informe. J’étais qualifié comme rebelle et meneur. J’ai choisi de témoigner de façon pirate pour expliquer réellement aux gens ce qui se passe à l’intérieur sans passer par l’AP.

Est ce que vous ressentez encore un risque de censure aujourd’hui de la part de l’Administration Pénitentiaire par rapport à vos propos?

Je n’ai pas peur d’eux, et de quel droit viendraient-ils me censurer ?  Je fais ce que je veux à l’intérieur ou à l’extérieur d’ailleurs avec mes manifestations que j’ai organisées devant le Ministère de la Justice je leur fais la misère. En fait j’utilise tout ce qui est légal donc ils ne peuvent rien me faire, et je m’en donne à cœur joie.

Finalement, pensez-vous que s’exprimer changera les choses ? 

Non, ce sont des coups d’épée dans l’eau. Je pense qu’il n’y aura jamais de changement. C’est trop tard, il fallait le faire dans les années 70 comme au Canada, dans ce pays où de grandes réformes ont été faites en matière pénitentiaire, alors qu’en France il  n’y a rien. Nous ne faisons que construire des prisons. Les socialistes peuvent arriver, il n’y aura jamais de changement. Je ne critique pas les initiatives pour faire changer et avancer les choses. Sauf que parfois les gens ne sont pas dans la réalité, mais dans une illusion. Bref, dans les prochaines années vous verrez, nous saurons.

Pour le PASSEMURAILLE de juin interview de Sarah et Niclette  membres du GENEPI.


VOIR LA VIDEO DU NOUVEL OBS



Histoires d’un blog « interdit » par la prison par LeNouvelObservateur

 

A bientôt sur le BLOG pour la suite…

 

Laurent JACQUA

 

Pour tout contact   laurentjacqua@yahoo.fr

Source: http://laurent-jacqua.blogs.nouvelobs.com/archive/2012/05/24/le-premier-blog-venu-de-prison.html

Ce contenu a été publié dans Auteurs, Prisons, avec comme mot(s)-clé(s) , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.