Deux mutineries ont éclaté dans la prison de Nouméa, en moins d’un mois. Les témoignages des détenus sont accablants sur la situation d’un établissement plus proche d’un bagne que d’une prison.
Lundi 6 aout, la ministre de la Justice, Christiane Taubira a évoqué la possibilité de l’envoi d’une mission sur place.
« Fous le feu ! Fous le feu ! » C’est la fin de la promenade, samedi 4 août, lorsqu’une centaine de détenus de la prison de Nouméa, dit Camp-Est, en Nouvelle-Calédonie, déclenchent une mutinerie dans la cour du centre pénitentiaire. Des palettes prennent feu, une fumée noire s’échappe de l’enceinte du camp. Pompiers et forces de l’ordre se massent devant les grilles de la prison. C’est la deuxième mutinerie en moins d’un mois à Nouméa. La précédente rébellion des prisonniers remonte au 14 juillet.
Ce mouvement spontané a contraint la ministre de la Justice, Christiane Taubira, à prendre position, lundi 6 août. « J’étudie sérieusement l’éventualité d’une mission du ministère de la Justice [à Nouméa] », a-t-elle déclaré, précisant qu’elle ne serait « pas uniquement centrée sur la question pénitentiaire », mais aussi sur le « fonctionnement de la justice en Nouvelle-Calédonie ». La priorité n’en reste pas moins celle du sort réservé aux 480 détenus entassés dans une prison qui ne dispose officiellement que de 226 places.
Que se passe-t-il à Camp-Est pour que les détenus se mutinent, que les tentatives d’évasion soient si fréquentes et que la justice décide de sanctionner l’Etat français ?
Le mardi 31 juillet, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a en effet donné raison à trente détenus qui poursuivaient l’Etat depuis mars 2012 pour des conditions de détention qu’ils jugent attentatoires à la dignité humaine. L’Etat a été condamné à indemniser les requérants à hauteur de 20 000 francs CFP, soit 167 euros chacun. Depuis, une soixantaine de détenus s’organisent pour poursuivre à nouveau la France devant la justice.
Dans un rapport très sévère, rendu public fin 2011, le contrôleur général des prisons, Jean-Marie Delarue, jugeait la situation de l’établissement « gravissime », dénonçant la présence de cafards, une chaleur insupportable et des détenus victimes d’une promiscuité dramatique. Certaines cellules abritent pas moins de six détenus pour 12m2. « La situation très alarmante de ces lieux est sans conteste constitutive d’une violation grave des droits fondamentaux des six cents trente personnes qui s’y entassent », pouvait-on lire dans le compte-rendu de sa visite effectuée sur place, en octobre.
Plus édifiants encore, des témoignages de détenus rappellent l’ouvrage d’Albert Londres Au bagne. L’Observatoire international des prisons (OIP) et la Ligue des droits de l’homme en Nouvelle-Calédonie (LDH-NC) ont recuilli, par courrier, les récits des prisonniers pour monter le dossier de recours administratif. Dans un article intitulé «Camp-Est, bagne ‘post colonial’», certains d’entre eux sont publiés:
« On vous amène de l’eau chaude et du pain vers 6 heures. Une fois que vous avez déjeuné, vous vous recouchez pour laisser la place aux autres à la table, jusqu’à la promenade de 30 minutes qui n’est jamais à la même heure. Ensuite vous regagnez votre cellule. Quand les W.C. sont libres, vous faites vos besoins et vous en profitez pour vous laver avec un broc au dessus du trou des W.C à la turque avec l’eau des toilettes. Vous passez le reste de votre journée allongé à regarder la télé ou à écouter de la musique aux écouteurs afin de vous isoler des cinq autres détenus. L’après-midi, il y a à nouveau une promenade de 30 minutes, ensuite vous restez enfermé jusqu’au lendemain. Le plus dur, c’est le bruit : cris, hurlements, insultes, menaces, tapage dans les portes en fer, télé 24 heures sur 24, postes de radio mis au maximum. Odeur de chaud, de transpiration, de cigarette, de merde, de pisse. »
Tous évoquent « la chaleur et les rats ». Beaucoup tombent malades. « Depuis que je suis arrivé en 2009, j’ai eu trois « gastro » et la gale. J’ai régulièrement mal au ventre et la courante. La semaine dernière, j’ai eu un traitement pour la leptospirose, maladie due aux rats, » témoigne l’un d’eux. Un autre évoque l’organisation en cellule : «A six dans une cellule, nous disposons de 3,80 m2 pour circuler. Cela oblige tout le temps deux à trois d’entre nous à rester couchés sur nos lits, car nous ne pouvons pas non plus nous asseoir, ces lits étant verticalement séparés de 60 cm».
A en croire l’OIP, la prison accueille en grande majorité de jeunes kanaks «parmi lesquels un tiers sont condamnés pour des peines de moins d’un an (…) 15% pour des faits de conduite en état alcoolique, 28% pour des vols.»
Le dossier Camp-Est n’est pas nouveau. Michel Alliot Marie, ancienne garde des Sceaux avaient déjà promis en son temps une «restructuration lourde» de la prison. Sans effet. Un projet de rénovation et reconstruction a bien été déposé par l’administration pénitentiaire sauf que la mairie de Nouméa s’oppose à la délivrance du permis de construire nécessaire. Motif : la municipalité souhaiterait récupérer le terrain ciblé par le projet afin d’ y faire construire un site touristique …
Reste à savoir si la mission envisagée par Christiane Taubira permettra d’accélérer les choses. Le syndicat de surveillants FO-Pénitentaire en doute. Dans un communiqué diffusé lundi, il «exige l’accélération des procédures pour la construction d’un nouvel établissement avec un vrai dossier et pas seulement l’envoi sur place d’une énième délégation, qui chercherait à « calmer le jeu », voire à se donner bonne conscience…» En attendant, la prison de Camp-Est continue d’enregistrer un taux de détention d’au moins 40% supérieur à celui de la métropole. Métropole où les prisons n’ont pas (encore) fait parler d’elles cet été mais qui seront l’un des dossiers chauds de la ministre à la rentrée.
En date du 6 aout, source : marianne