Compte-rendu de l’audience de Malin Mendy, du 20 juin 2012, au TGI de Lille (G.E.P.)

Le président prend la parole et rappelle les faits. « Monsieur M., vous êtes actuellement détenu au C.P. de Laon ». Il explique que M. est accusé d’ « agression volontaire sur une personne dépositaire de l’autorité publique, en l’espèce, un surveillant pénitentiaire » ayant entraîné une ITT de moins de 8 jours, en état de récidive légale. Le renvoi de l’audience du 3 juin a été sollicité par son avocat, maître A.B. Les circonstances sont détaillées : Dans l’Office, une pièce commune du centre de détention, un surveillant demande à M. M. de retourner en cellule, alors qu’il était en train de faire cuire du riz sur une plaque chauffante. Devant le refus de ce dernier, le surveillant sort de la salle, appelle trois de ses collègues en renfort et ils prennent la décision de placer M. M. en quartier disciplinaire à titre préventif. Puisque M. M. refuse de se faire menotter, les surveillants le plaquent à terre, et dans le mouvement, le saladier en pyrex tombe à terre. Deux surveillants se blessent en tombant avec M. M. et ce dernier est également blessé au visage. « Il est à préciser que sur les quatre détenus présent, seul M. M. refuse de réintégrer sa cellule ». Selon la déposition de l’un des surveillants, « A 17h30, je lui ai répété plusieurs fois qu’il devait sortir ». Ce dernier l’a alors agrippé par le bras et c’est en tombant que « M. M. a lui-même agrippé le saladier ». La question qui se pose est donc celle du caractère volontaire ou non de la chute du saladier.

M.M. prend la parole : « Monsieur le président, ce gradé-là». Le président coupe la parole : « Ne faîtes pas ça, Monsieur M., c’est très désagréable de se voir pointé du doigt » [suivront environ 15 interruptions, au total, sur toutes les prises de parole de M. M.]. Déjà à 13h30, M. M. avait eu avec l’un de ces surveillants un problème d’ouverture des portes (ce dernier devant venir le chercher à 13h30 n’est arrivé qu’à 14h). M.M. explique que dans cette prison, c’est ainsi que les choses se passent, et que c’est totalement au bon vouloir des surveillants. Il prend l’exemple d’une inscription en sport qui avait été acceptée, puis refusée après un accrochage avec un surveillant, disparue soudainement juste après, et il a dû se battre pendant 4 mois pour y avoir à nouveau accès. C’est « comme ça que les choses se passent à Annoeullin ». Interruption du président : « Monsieur M. vous ne parlez pas des faits ! ». M.M. : « Je préfère le rappeler, puisqu’avec cet agent, il y a toujours des problèmes, c’est toujours … » « Je comprends votre ligne de défense, Monsieur M. qui est de parler de la prison plus généralement, mais je vous rappelle que vous avez été condamné pour les mêmes faits le 6 décembre 2009 ».

M.M. reprend : Ce jour-là, à 16h30, en remontant de promenade avec quelques détenus, ils ont décidé de cuisiner un peu. Le surveillant est venu à 17h30. Normalement, c’est 17h45. Il n’y avait aucune raison de modifier comme ça les pratiques. « A Annœullin, vous savez, j’ai demandé le règlement intérieur. Impossible de se le procurer, comme s’il n’existait pas ! Et avec ces agents, il y a des choses qu’on ne peut pas accepter. Il y a des agents qui tutoient avec assez d’humanité, sans insulter. Mais ce qu’ils font eux, je ne l’accepte pas. [Interruption du président] « J’ai demandé 5 ou 10 minutes pour finir de faire cuire mon riz, et l’agent est reparti en claquant la porte. Il a activé son alarme et ils sont arrivés à 5. Ce n’est pas la première fois, pas du tout ! A plusieurs reprises, pour ces mêmes évènements, je suis venu pour aider d’autres détenus qui se retrouvaient dans cette situation. Ce qu’ils font à Annœullin, c’est de la torture physique ! [le président tente d’interrompre] Ces faits-là, je les ai toujours dénoncés ! » « Il n’y avait pas de raison que la fermeture de la salle soit différente ce jour-là, la vérité c’est que ces gens-là sont des tortionnaires. Et je ne comprends pas ce que vous venez faire ici, Mme G.. C’est une personne avec qui j’avais de bons rapports, et j’espère que vous allez dire la vérité aujourd’hui ! ».

-Le président : « Monsieur M. si vous ne vous calmez pas tout de suite, je demande à l’escorte de vous faire sortir afin que l’on puisse continuer ce procès calmement. » « Quand je vois votre casier, je me dis que vous êtes très mal placé pour tenir les propos que vous tenez sur le respect du droit et de la dignité humaine ». « Dans un établissement pénitentiaire, vous avez le devoir de respecter le règlement et aussi ceux qui y détiennent une parcelle d’autorité ». Ce qui s’est passé à Annœullin le 30 mai « relève de votre responsabilité »

-M.M. : « Non ! J’ai été condamné, je suis privé de liberté mais pas de droits. Et c’est vrai qu’il y a des surveillants corrects, mais d’autres ont pour habitude d’agir par brimades, provocations, insultes. Moi, je n’y réponds pas. Je n’y réponds pas par la force, ma force c’est mon stylo ». Interruption du président : « Et sur les faits, vous avez quelque chose à dire ? ». M.M. : « Je vais me répéter : je me suis retrouvé seul contre ces surveillants. J’ai commencé à partir, j’ai rassemblé mes affaires. L’un d’eux a voulu me prendre le bras et j’ai refusé. Je leur ai dit que je rentrais dans ma cellule, mais que je ne voulais pas qu’ils me touchent, que j’allais rentrer de mon propre gré. » L’un d’eux a essayé de lui mettre les menottes. La vaisselle a été cassée avant que M.M. ait été mis au sol. « Beaucoup d’autres détenus se sont retrouvés dans la même situation, et ce jour-là c’était moi la victime ». Je n’ai fait aucune violence, j’ai juste demandé qu’on ne me touche pas.

-Le président : Détaille les certificats médicaux. Surveillant blessé à la main droite. ITT. Surveillant blessé à la main, 1 jour d’ITT. Prévenu : Tête plaquée au sol sur des morceaux de … Le président s’arrête de parler et regarde le certificat médical qu’il a sous les yeux : « Je n’arrive pas à déchiffrer l’écriture, mais je ne doute pas que l’un de nos assesseurs va y parvenir ». L’assesseur : « M. M. a eu la tête plaquée au sol contre des morceaux de verre. Il a au visage, au niveau de la pommette droite une entaille de 2×1 cm, et plusieurs fentes de 2cm de longueur, des lambeaux de peau sont accrochés au visage ».

Le président donne la parole aux parties civiles : « On a voulu le maîtriser, pas le violenter ». « Contrairement à ce que M.M. prétend, il y a eu une note de service remise en quartier arrivant sur les horaires de la salle commune ». « D’ailleurs, les trois autres sont partis, seul M. M. est resté. Et c’est M.M. qui m’a plaqué au sol avant de tomber » Interruption de M.M. « Vous êtes habitués à mentir, ce n’est pas la première fois et c’est … » Interruption du président « M. M. c’est la dernière fois, je vous préviens ».

L’assesseur demande à la partie civile s’ils ont essayé de négocier avant d’employer la force « Nous avons essayé de discuter 5 à 10 minutes avec lui avant l’intervention ».

Le président rappelle le casier judiciaire de M.M. Il détaille ensuite l’enquête sociale sur la vie familiale, professionnelle et sur l’état de santé de M.M. Il explique que M.M. travaillait au C.P. d’Annœullin.

Avocat des parties civiles : évoque les « blessures morales pour tous, et physiques pour deux de ses clients. Il demande 1 000€ de dommages et intérêts pour le préjudice moral, 500 pour le préjudice physique des deux « blessés » et 500 pour les deux autres (il rappelle avoir produit les certificats médicaux de la psychologue de l’administration pénitentiaire attestant de leur état de traumatisme).

Prise de parole du procureur : « Monsieur M. a fait une partie de mon travail. » Elle évoque le « sentiment de toute-puissance, l’agressivité et le manque de respect » qui le caractérisent et dont il fait aujourd’hui même la preuve durant l’instruction et face au président. Il présente les personnels pénitentiaires comme « méprisant les détenus ». « Quand je vois comment M.M. réagit et sa violence verbale aujourd’hui, je pense que l’on a tout lieu de croire les personnels pénitentiaires ». Et ce n’est pas étonnant puisque « le sentiment de toute-puissance qu’il ressent se traduit par la violence ». Elle retient les qualifications de « Rébellion » et de « Violence », puisqu’ « au-delà de la simple volonté de se soustraire aux personnels pénitentiaires, il a manifesté une véritable volonté de les agresser ». Il a « volontairement brisé le saladier pour s’en prendre à l’intégrité physique des personnels pénitentiaires qui ont dû rouler dans le verre pour le maîtriser ». Dès avant cet incident, M.M. a fait l’objet de plusieurs « notes » qui « indiquent sa violence et son irrespect, ainsi que sa volonté de monter les autres détenus contre l’administration pénitentiaire. Il s’est en quelque sorte fait le porte-parole des détenus, mais pas le type de porte-parole dont on peut rêver ». « Il n’a qu’un mot à la bouche, les droits, les droits, les droits, mais il n’a lui-même jamais réfléchi à ses devoirs ». Elle évoque ensuite les différents témoignages produits par des détenus. 3 attestations remises par des détenus font état de la violence de l’AP. « Bien évidemment, elles expliquent la volonté de l’AP de provoquer et de frapper » et « prennent le parti de M. M. ». L’une d’elle fait référence à la « soldatesque pénitentiaire » l’autre explique que le détenu a vu les personnels pénitentiaires porter M. M. vers le quartier disciplinaire, ce qui est bien le cas, mais aucun n’était présent sur les lieux ». Et, dans tous les cas, « vu ce qui s’est passé aujourd’hui et vu les réactions de M.M. à l’instruction, il prouve lui-même son caractère intolérant, irascible et irrespectueux ».

Les personnels pénitentiaires « ont d’abord entamé des pourparlers, et ont fini par intervenir, mais cette intervention a eu pour objet, plus que de mater une rébellion, de protéger leur propre intégrité physique. M. M. s’est retrouvé blessé. Mais M.M., c’est comme pour les violences policières. On dit « Ah ! J’ai été victime de violences policières et on agite un certificat médical ! Mais c’est ce qui se passe en cas de rébellion ! » Il brandit son certificat médical comme preuve de l’agressivité du personnel pénitentiaire, alors que ceux-ci ont pris entre cinq et dix minutes pour négocier avec lui. M.M. a immédiatement été dans un registre de violence. S’il contestait les faits et accusait le personnel d’agressivité, il aurait pu prendre la plume dont il parlait toute à l’heure pour écrire au contrôleur général des lieux de privation de liberté ou autres s’il pense qu’Annœullin est trop rigoriste. ».

« La peine plancher dans ce cas est de deux ans, mais je souhaite requérir au-delà. » « Vu le parcours de M.M. et sachant qu’il aurait intérêt à filer droit, je requiers une peine de 3 ans et le maintien en détention ».

L’avocat A.B.: « Je constate tous les jours l’engagement des personnels pénitentiaires pour tenter d’arrondir les angles avec humanité. C’est le cas par exemple à la maison d’arrêt de Béthune. » Suivent quelques explications sur la M.A. « A Annœullin, 6 détenus qui sont devenus mes clients font état des mêmes problèmes : le manque d’humanité, l’intransigeance, l’organisation des équipes ». « Tout y est déshumanisé. » A.B. cite « le témoignage d’un ancien procureur qui évoque la M.A. de Douai : « La violence en prison est structurellement liée au fonctionnement des établissements modernes ». M.M. a été sanctionné par la commission de discipline, ce qui entraîne une diminution des remises de peine et des crédits de peine, ce qui va totalement à l’encontre du but recherché. Ces réactions ne produisent en retour que de la violence. « Mais je voudrais aussi contester les accusations contre M.M. sur un terrain strictement juridique : les surveillants expliquent que l’Office fait quelques mètres carrés et qu’il est impossible d’y être à plus de trois. Alors dans ce cas, quelqu’un ment, puisqu’une des auditions des surveillants explique qu’ils y sont entrés à quatre ou cinq, plus la personne, plus M.M. ». Dans un autre PV « M. Blondel [AP] demande aux autres détenus de sortir et un des détenus pose par terre une friteuse sur le sol » / « dans un autre PV, c’est lui qui la pose par terre avant que le détenu ne quitte la pièce. » Par rapport au plat en pyrex : « l’un des témoignages explique que c’est M.M. qui l’a volontairement jeté au sol, alors qu’un autre explique que c’est lors de la chute de M.M. et des surveillants que celui-ci a été entraîné au sol ».

Concernant les heures de fermeture de l’office : « En prison, on sait qu’il existe toujours des concessions de fait, qui servent à huiler les rapports avec les détenus, et c’est très bien. Généralement, il existe une tolérance. » M.M. est porteur du V.I.H., il doit prendre un traitement lourd et doit également suivre de grandes précautions alimentaires. Sans doute M.M. a-t-il répondu assez sèchement au surveillant. « Bien entendu, il a dû répondre d’un ton peu amical, quelque chose comme « Mais laissez-moi finir de cuire mon riz ! Je partirai dans cinq minutes, mais ne me touchez pas ! ». Mais les Règles pénitentiaires européennes et le code de déontologie de l’AP recommandent de toujours privilégier le dialogue, la force de conviction plutôt que la force physique.

« Pour autant, y a-t-il eu un échange rationnel ? M.M. a-t-il eu le temps et l’opportunité de présenter ce que nécessite son état de santé ? « Non. Directement, ça a été la course, l’alarme, l’arrivée de 10 surveillants, les contacts physiques hostiles. M.M. est d’une carrure physique impressionnante. Il pèse cent kilos, mais pas cent kilos de graisse, cent kilos de muscles uniquement. » Il pratique régulièrement les arts martiaux. « Si M.M. avait voulu exercer des violences, ce n’est pas dans cet état que les surveillants pénitentiaires se seraient présentés aujourd’hui ». Dans cette affaire « il n’y a strictement aucune violence de M.M., donc je réfute cette qualification ». « Monsieur M. n’a jamais commis dans cette situation un acte de violence. C’est lui qui a été agrippé, lui qui a été plaqué au sol. A aucun moment, M.M. n’a porté un coup, ce n’est nulle part dans le dossier, dans aucun PV. Oui M.M. se révolte, mais il a raison de se révolter ! ». « Sur la manière dont Mme. la procureure traite les témoignages des détenus, je me demande pourquoi la voix d’un détenu vaudrait moins que celle d’un surveillant ! Ils ne sont pas présents ici, mais vous les accusez de mentir ». « Ils ont témoigné avec leurs noms, sérieusement. Oui, les témoignages des détenus ont été écrits par mais ils l’ont fait responsablement, en leur nom, et avec sérieux ».

L’avocat A.B. demande la relaxe.

« On demande à M.M. d’être procédurier. Mais vous trouverez dans le dossier les six demandes écrites qu’il a adressé à la direction pour avoir un RV » avec la directrice entre décembre et mars 2012 pour « lui faire part des difficultés de fonctionnement et d’organisation de la détention ». Dans cette histoire, M.M. ne manifeste pas d’hostilité contre le personnel pénitentiaire. « M.M. a connu les C.D. à l’ancienne, avec plus de liberté et relativement plus de tolérance. A Annœullin, ce n’est pas pareil du tout. Ce que M.M. demandait, c’était le respect dû à un être humain et à un citoyen, comme il l’a rappelé ici même, et cette demande l’a amené à subir les vexations et l’hostilité de la part de l’administration pénitentiaire ».

M.M. a déposé une plainte non-nominative pour violences. Lui, en tout cas, n’en a commis aucune. Il n’a pas non plus commis d’acte de rébellion.

Le président donne la parole à M.M. :

[Silence pendant 20s, M.M. secoue la tête et attend].

« J’ai entendu le procureur demander une peine plancher. C’est la première fois depuis 83 et le début de ma carrière, si je peux dire ça comme ça, depuis que je fréquente les tribunaux français que je me retrouve devant vous pour des violences contre des personnels pénitentiaires. J’aurais voulu les blesser, je l’aurais fait, et je ne cherche pas à distribuer ma maladie ! J’ai toujours fait attention à ça, à être propre sur ça. » « Leur action était préméditée, c’est moi aujourd’hui la victime, même si mon casier judiciaire vous fait dire le contraire. » « J’ai demandé mon transfert, je ne peux pas cautionner le tutoiement hostile et les pratiques humiliantes. » « Pour quelqu’un de vulgaire et de provocateur, vous ne précisez pas que j’ai de très bons rapports avec les médecins, avec la psychologue, avec d’autres surveillants. ». « Ce sont eux, ces surveillants syndiqués, qui viennent ici en se revendiquant syndicalistes, qui vont me condamner. Condamnez-moi ! Enlevez-moi ma fille pendant deux ans encore ! Je ne lâcherai pas l’affaire. Vous savez quoi ? Je vais vous dire : on fait sortir les gens plus fous qu’ils n’y sont rentrés, c’est comme ça qu’ils font aujourd’hui, c’est comme ça que fonctionne le système pénitentiaire ! » Vous savez quoi ? Vous êtes des tortionnaires ! Vous tuez des gens à Annœullin ! »

Le président lève la séance, tout le monde sort. Avant d’être emporté par la police, M.M. a juste le temps de s’écrier « Dites la vérité ! ».

[20 minutes plus tard].

Le président reprend : « La cour vous a reconnu coupable » de « violence » et de « rébellion ». M.M. est condamné à » deux ans fermes. Il doit verser 1000€ outre 500€au titre de l’article 700 au premier surveillant, 1000€ outre 500€ au titre de l’article XXX au deuxième, 500€ outre 500€ au troisième, 300€ outre 300€ au dernier.

M.M. applaudit.

Le président : « M.M., ce genre de manifestation … » M.M. l’interrompt « Je fais appel ! » Le président « ce genre de manifestation … » M.M. l’interrompt : « Je suis ici devant des gens qui mentent ! » Le président « Monsieur M… ». « Vous êtes des tortionnaires ! ». Le président : « Sortez-le d’ici ! ».

Les pénitentiaires présents dans la salle sortent en famille et en souriant.

Ce contenu a été publié dans Groupe Enquête Prison, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.