Témoignages de Xavier Valancker sur la prison d’Annoeullin, été 2012 (G.E.P.) Partie 2

Y avait-il nécessité de le placer en prévention au quartier disciplinaire ? C’est bien entendu l’arbitraire qui motive une nouvelle fois une telle décision. Comparaissant dès le lendemain au prétoire, il écopera de quelques jours de cachot, ce qui est en soi anecdotique, tant le mal se veut autre. Car au-delà des stigmates résultat de la pression des menottes (toujours apparents deux semaines après les faits) et de divers hématomes sur le corps que l’unité médicale, dans son attitude collaboratrice, refusera de ratifier, il en va du traumatisme mental induit par de telles exactions et des effets opérés par celles-ci sur une conscience malheureuse et sur une constitution psychiquement entamée par les circonstances extérieures.

Le 5 août, à six heures, les gendarmes accompagnés d’un chien pénètrent au deuxième étage, fouillent une cellule, emmènent un détenu menotté en garde à vue, lequel réapparaîtra à l’issue de celle-ci, non inquiété, une erreur d’appréciation, semble-t-il.

Le 9 août, à 5 heures 45, les Eris (les CRS de l’administration pénitentiaire) emmènent trois détenus dont deux seront transférés illico. Le premier est passé d’une peine titulaire de quatre ans à un quantum à purger avoisinant les seize ans, de par l’accumulation de peines intérieures pour agressions sur personnel et autres mouvements d’humeur. Il est accompagné d’un deuxième prisonnier, qui vient de la centrale de Sequedin (59), laquelle a depuis fermé pour être réadapté en centre d’orientation à effet régional. Ce dernier ne s’adapte pas à l’endroit et a demandé son transfert malgré sa récente arrivée. Le troisième détenu a été placé au quartier d’isolement. Le dénominateur commun était la préparation d’un mouvement collectif basé sur le refus des conditions de détention actuelles sachant qu’ils étaient au régime enfermé. Fallait-il être utopiste pour croire pouvoir gérer de tels profils dans un principe de claustration absolue ?

Le même jour, vers 17 heures, on assiste à une intervention casquée au 1<sup>er</sup> étage contre l’un des trois détenus ayant témoigné pour Malin Mendy qui est en train de détruire intégralement la cellule où il se trouve. Pour quel motif ? Le premier surveillant Skzempek a décidé de le placer en confinement sur un prétexte approximatif, spécieux, lui retirant par là même la télévision ainsi que l’autorise cette mesure. Le résultat est à la hauteur de l’initiative puisqu’il est placé au quartier disciplinaire, la cellule est ruinée, autant que sa fin de peine (il ne lui reste que quelques mois à purger). Il a vingt-quatre ans et une famille qui l’attend, mais ici, on paye jusqu’au bout.

Lorsque tu recevras cette lettre, sache que d’autres maillons se seront ajoutés à cette déjà trop longue litanie coercitive. Ne penses-tu qu’il soit temps de (ré)agir ?

Ce n’est pas le nombre qui fait la force d’un témoignage, c’est son intensité. Actuellement, leur nouvelle politique est axée sur l’intégration des longues peines, mais il est évident qu’ils ne possèdent pas les dispositions mentales nécessaires à l’exercice d’une telle gestion. Quant au cheminement intellectuel qu’il conviendrait d’opérer à cet effet, il sera le fruit d’une minorité car force est d’admettre que deux demi-cerveaux n’en font pas systématiquement un. Ceux qui arrivent sont libérables entre 2020 et 2030 et ils ont si peu à leur offrir que cela en est pathétique !!! Pour finir, il m’importe de te citer le cas d’un camarade de longue date, qui purge un quantum belgo-français de vingt-cinq ans, arrivé ici depuis peu, incarcéré depuis seize ans et demi, libérable en janvier prochain, ils ne lui ont rien proposé de concret si ce n’est une permission de sortir au titre du maintien des liens familiaux (à quelques mois de l’élargissement) qu’il a d’ailleurs sobrement déclinée, son appartenance au gang de Roubaix justifie peut-être une sortie sèche, dans une ultime revanche. Nous en discutons et constatons que le temps carcéral nous a rendu autant savants que philosophes, de fait, tout n’est pas perdu…

Le 30 août, vers 10 heures, un jeune garçon d’origine africaine souhaitait se rendre en musculation. Il avant comparu la veille devant la commission disciplinaire pour avoir participé à une bagarre collective au terrain de foot. Rien de grave, juste quelques bourre-pifs lorsque le but n’est pas valide. Il fut néanmoins sanctionné de deux semaines d’interdiction d’accès au sport, à savoir terrain et salle de musculation mais il avait, en toute apparence, mal interprété la nature de la décision. Frédéric Blondel, notre premier surveillant humaniste, se fait une joie de lui prohiber l’accès à la salle, se référant à la sanction. Le ton s’élève et le gradé aboyeur pose la main sur le détenu pour lui barrer le passage. Ce détenu qui est d’ordinaire respectueux et poli à l’égard de chacun se jette alors sur Blondel et lui mord profondément le bras dans l’affrontement avant d’être maîtrisé et lynché par les renforts, dont l’un des membres se blessera au genou. Blondel, dans toute sa dimension sadique, ceinturera le cou du détenu avec le bras, l’étouffant par là même, lui susurrant : « espèce de bâtard, tu m’as mordu ! ». L’intéressé sera trainé au sol dans un premier temps pour être ensuite soulevé et conduit manu militari au quartier disciplinaire, un vêtement posé sur le visage (en prévention d’une morsure ? pourquoi pas une muselière ?). Il a été depuis condamné à trente jours de cachot, dont dix avec sursis, certainement amené à comparaître devant l’instance correctionnelle lilloise et sera probablement transféré vers un autre établissement. Ayant assisté par la fenêtre de la cellule à son déplacement vers le mitard, j’ai eu cette réminiscence visuelle du cas de mon ami Malin Mendy. Quant à Blondel, il a depuis disparu, en soin ou en repos, ayant parait-il demandé sa mutation (avec promotion ?). Puisse cela être vrai, good riddance to bad rubbish !

Le 1er septembre à 13h30, un jeune détenu de vingt-sept ans, lourdement condamné puisque libérable en 2025, arrivé ici depuis deux mois, provenant de la centrale de Sequedin, demande au surveillant d’étage de lui laisser la porte ouverte afin de décompresser quelque peu. Il faut préciser qu’il possédait cette faculté à Sequedin, étant alors auxiliaire de vie, et qu’il ne comprend pas qu’il soit placé en régime fermé depuis son arrivée alors qu’il est censé être dans un centre de détention où le régime ouvert est en soi une norme.

Le surveillant lui refuse cette possibilité. S’ensuit une dérive verbale précédant un affrontement physique durant lequel les deux vont rouler au sol avant que l’alarme ne soit déclenchée. Le détenu est alors maitrisé par la soldatesque vindicative, menotté et amené au quartier disciplinaire, soulevé du sol par maints agents désireux d’en découdre dans le huis clos du cachot. Parvenu sous la fenêtre de la cellule que j’occupe, il aura le réflexe de me lancer cette phrase pathétique : « tu vois, Xavier, cela recommence ! ». Il a écopé de trente jours fermes de mitard et se voit accompagné d’une escorte casquée, style robocop, à chaque intervention (repas, promenade, soins). Lui aussi aura droit à un ajout pénal dans une prochaine comparution judiciaire. Quant à son sort interne, nul ne sait s’il sera réaffecté en maison centrale compte tenu d’un indice de dangerosité revu à la hausse au regard de cet épisode, ce dernier ayant été rapporté et travesti dans les périodiques locaux.

Il convient aussi de préciser qu’il avait préalablement fait l’objet d’une dizaine de rapports d’incident en moins de deux mois, suite à de non-évènements qui n’en étaient pas moins des cris de détresse quant au caractère insupportable d’un système d’enfermement axé sur le binôme contention-contrition. J’avais été récemment convoqué en sa compagnie face au chef de détention associé à la directrice-adjointe afin d’arrondir les angles et de trouver un terrain de cohabitation. On voit où cela a mené, persistant à affirmer qu’il n’est pas celui que l’on présente dans l’article de la Voix du Nord consacré à cet effet.

Je viens d’apprendre que dans la gradation d’une violence prévisible, il a placé un coup de tête à un gradé lors de sa comparution au prétoire. J’ignorais ce détail, ce qui démontre le « jusqu’au boutisme » gagnant ceux qui sont acculés dans leurs derniers retranchements, certains sont à fleur de peau compte tenu des provocations persistantes.

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