Paris le 10 décembre 2012
Différentes procédures engagées par les autorités administratives et judiciaires de Papeete (Polynésie française) paralysent les actions d’une association de défense des droits des détenus visant à les aider à engager des recours en raison de l’indignité de leurs conditions de détention.
Le 10 octobre 2012, l’association polynésienne Tamarii Nuutania qui a notamment pour objet l’aide à l’insertion et l’amélioration des conditions de détention au sein du centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania, était informée que les courriers qu’elle avait adressés à une vingtaine de ses membres détenus avaient fait l’objet d’une mesure de rétention, par le directeur de la prison. Et ce à la demande du Procureur de la République.
Dans ces courriers, l’association proposait aux détenus de remplir un questionnaire établi par l’OIP, afin de leur permettre de détailler précisément leurs conditions matérielles de détention et d’engager par la suite une action en indemnisation afin, selon l’association « de réparer les souffrances que causent aux détenus les conditions de détention intolérables de Nuutania ».
Par courrier du 24 octobre 2012, le directeur de l’établissement, interrogé sur cette rétention par le cabinet d’avocats représentant l’association, confirmait que les courriers n’avaient pas été remis à leurs destinataires, mais transmis à la gendarmerie sur réquisition du Procureur de la République.
Dans le même temps, le Parquet Général de Papeete sollicitait le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats afin de lui demander son avis sur ces démarches pouvant, selon lui, être considérées comme du « démarchage », pratique interdite aux avocats.
En réponse, le Bâtonnier précisait que la conduite de ces derniers lui paraissait « déontologiquement irréprochable », et même « parfaitement légitime ».
Selon le cabinet d’avocats, son soutien à l’association et aux détenus, prévu à l’aide juridictionnelle, ne s’apparente en rien à du démarchage. En effet, l’association s’étant vu refuser le conseil d’un premier avocat, a contacté l’OIP qui l’a orientée vers un cabinet d’avocats ayant déjà engagé ce type de recours. Cependant, parallèlement, une enquête préliminaire à l’encontre des représentants de l’association Tamarii Nuutania a été ouverte par le Parquet de Papeete et confiée à la brigade de gendarmerie de Faa’a. Le président et le secrétaire de l’association ont été auditionnés et des saisies sur l’ordinateur du président, ainsi qu’une visite a son domicile ont eu lieu.
Des recours de ce type ont déjà été engagés à de multiples reprises par des personnes incarcérées, dans l’hexagone comme par exemple à Rouen, Fresnes, Tours, Paris, Fleury-Mérogis, etc. mais également dans les Outre-mer (Antilles, Guyane, Nouvelle Calédonie). Depuis 2008, l’Etat a ainsi été condamné à indemniser plusieurs centaines de personnes détenues, les juridictions administratives ayant considéré qu’ils purgeaient leur peine dans des conditions contraires à la dignité humaine, au regard notamment de l’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme qui prévoit que « nul ne peut être soumis à des traitements inhumains et dégradants ».
La section française de l’Observatoire international des prisons (OIP) s’interroge sur le but de ces diverses investigations, et s’inquiète de l’effet dissuasif que pourraient avoir ces procédures sur les personnes détenues souhaitant engager des recours.
Au 1er novembre 2012, la surpopulation au centre pénitentiaire de Faa’a-Nuutania est la suivante:
– au quartier maison d’arrêt: 169 détenus pour 54 places (313%)
– au quartier centre de détention: 245 détenus pour 111 places (220,7%)
L’OIP rappelle :
- – l’article 22 de la loi pénitentiaire: L’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L’exercice de ceux-ci ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l’intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l’âge, de l’état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue.
- – l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui garantit le droit à un recours effectif
- – l’article 40 de la loi pénitentiaire : Les personnes condamnées et, sous réserve que l’autorité judiciaire ne s’y oppose pas, les personnes prévenues peuvent correspondre par écrit avec toute personne de leur choix. Le courrier adressé ou reçu par les personnes détenues peut être contrôlé et retenu par l’administration pénitentiaire lorsque cette correspondance paraît compromettre gravement leur réinsertion ou le maintien du bon ordre et la sécurité. En outre, le courrier adressé ou reçu par les prévenus est communiqué à l’autorité judiciaire selon les modalités qu’elle détermine. Ne peuvent être ni contrôlées ni retenues les correspondances échangées entre les personnes détenues et leur défenseur, les autorités administratives et judiciaires françaises et internationales, dont la liste est fixée par décret, et les aumôniers agréés auprès de l’établissement. Lorsque l’administration pénitentiaire décide de retenir le courrier d’une personne détenue, elle lui notifie sa décision.