« Vous entrez en prison avec un CAP de voleur, vous sortez avec un mastère de criminologie »

 

Prison des Baumettes, Marseille, en 2012. La cellule de confinement de la maison d'arrêt des hommes.<br />

Un groupe d’experts a fait forte impression, jeudi 14 février, au premier jour de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, à Paris : des détenus ont expliqué sans embarras devant un petit millier de personnes comment ils voyaient la chose, et apporté un souffle d’air frais, maladroit et touchant, devant Christiane Taubira, la garde des sceaux, et les meilleurs spécialistes du champ pénal.

« J’ai été incarcéré à 19 ans, j’en ai 30, a dit Mehdi, emprisonné à Arles. C’est ma première permission de sortir pour venir vous voir. Je n’en ai pas eu pour voir ma femme et mes enfants. Et j’espère que les paroles vont bientôt laisser la place aux actes. » Sylvain, lui, vient de sortir après dix ans de maison d’arrêt : « Ce qui frappe en sortant, ce sont les couleurs du dehors, les odeurs, les bruits. Ce sont des choses qui manquent. En centrale, à Saint-Maur, le champ visuel est de soixante mètres. »

Cinq groupes de détenus ou de personnes placées sous main de justice se sont réunis avec un consultant à Angers, Arles, Bois-d’Arcy, Dijon et Paris, et leurs porte-parole ont lu leurs comptes rendus, en les pimentant de leurs propres impressions. Le constat est à peu près le même partout : « On a perdu nos droits, pas seulement la liberté », « on n’a pas accès aux cahiers d’école des enfants », « les communications téléphoniques sont restreintes, on ne peut pas appeler les portables », « on nous change d’établissement sans prévenir les familles », « les parloirs sont supprimés pour une minute de retard », « on se demande souvent si tout n’est pas fait pour qu’on brise avec nos familles ».

UNE « MACHINE À BROYER »

Les conditions de détention, pour tous, sont indignes. « Le directeur fait ce qu’il veut », « les surveillants, c’est l’arbitraire », « on nous infantilise », « tout est payant et il y a des magouilles », « les plats sont toujours froids, on met deux fils électriques dénudés pour faire chauffer de l’eau », « les faibles sont écrasés, c’est une machine à broyer », les services médicaux « sont dangereux, on distribue des pilules, on fait de nous des légumes », « le travail, pour ceux qui en ont, c’est de l’esclavage. Je me suis cassé le dos à la lingerie pour 1,40 euro de l’heure, et l’administration en prend 30 % ».

Quand on sort, c’est pire. « On est des spécialistes de la vie en prison, mais dehors, on est perdus. On n’a pas l’habitude d’avoir une clé, on la perd tout le temps. » Un ancien détenu a reconstitué sa cellule dans son petit appartement, « pour garder des repères ». Pour Mohammed, « la prison, c’est l’atteinte constante à la dignité, la promiscuité, les brimades. On mélange tout le monde, ceux qui ont écrasé quelqu’un dans un accident et les gens dont la prison est le mode de vie. C’est les conditions de détention qui font la récidive ».

François a raconté « les 22 heures par jour dans un taudis de 6 m2 sans eau chaude », « les jeunes qui fument toute la journée des joints envoyés par parachute » – lancés par-dessus le mur d’enceinte –, l’oisiveté, l’ennui. Sans compter qu’« on côtoie les réseaux de drogue, on apprend à fabriquer des faux papiers. Vous entrez avec un CAP de voleur à la tire, vous en sortez avec un mastère de criminologie ».

Les gens rient. Petit moment de grâce, de voir ces hommes, pour certains condamnés à de lourdes peines, qui sont tellement comme tout le monde. « Ça fait du bien de pouvoir vous parler, presque d’égal à égal, a dit Sylvain. Ou au moins d’être écouté. » Avant de prendre le train pour rentrer en détention.

 
SOURCE : LE MONDE | 15.02.2013
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