Christophe Khider, ou l’obsession de « la belle »

Ce dimanche 15 février 2009, comme chaque week-end à la prison de Moulins-Yzeure (Allier), de nombreuses familles ont fait le déplacement pour rendre visite à leurs proches incarcérés. Il est à peine 16 heures quand une explosion retentit dans la zone réservée aux parloirs. Christophe Khider et Omar Top El Hadj viennent de faire sauter une porte du sas qui mène vers l’extérieur. Quelques instants plus tard, une deuxième explosion se fait entendre. Des coups de feu sont échangés. Les détenus ont deux surveillants en otage et menacent de s’en prendre à eux si les dernières portes qui les séparent de la liberté ne sont pas débloquées. Après de longues minutes, le directeur de la prison ordonne leur ouverture. La cavale durera deux jours.

Mardi 2 avril, près de quatre ans après les faits, les deux détenus et trois de leurs complices présumés se retrouveront pour trois semaines devant la cour d’assises de Lyon face à 29 parties civiles afin de s’expliquer sur les circonstances de l’évasion et de la cavale qui a suivi.

Un choc pour l’équipe de la prison. Comment des armes et des explosifs ont-ils pu rentrer dans l’enceinte de l’établissement, réputé l’un des plus sécurisés de France ? Y a-t-il eu des complicités internes ou externes? Et surtout, comment Christophe Khider, détenu particulièrement surveillé (DPS), dont une note de l’établissement datée de fin 2008 mentionnait « un projet d’évasion imminent », a-t-il pu tromper la vigilance du personnel? Lui le sait. A 41 ans aujourd’hui, il a déjà passé plus de dix-sept ans en prison. « Deux cent dix mois ou 6 300 jours », précise-t-il par écrit depuis sa cellule au Monde. Il est libérable le 28 janvier 2037. Peine à laquelle pourrait s’ajouter une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité dans le cadre du procès de Lyon.

« IL N’A PLUS RIEN À ATTENDRE NI À PERDRE COMPTE TENU DE LA DURÉE DE LA PEINE QU’IL EXÉCUTE »

Et toujours l’évasion comme seul horizon. Presque une obsession, qu’un psychiatre avait formulée ainsi en 2001 : « Il présente une dangerosité certaine car il n’a plus rien à attendre ni à perdre compte tenu de la durée de la peine qu’il exécute. Une récidive est à craindre. » Christophe Khider n’a d’ailleurs jamais fait mystère de ses intentions. Au juge qui l’interrogeait après les événements de Moulins, il déclarait: « Je dois vous dire qu’une partie de mon temps est occupé à la recherche d’une solution pour m’évader. » L’évasion de Moulins est sa quatrième tentative. La seule qui a réussi. Selon l’administration pénitentiaire, il y en aurait eu sept, ce que dément son avocate, Me Delphine Boesel. La première fois qu’il a tenté d’échapper aux autorités remonte à 1997 quand, jugé par le tribunal de Bobigny pour vol aggravé, il avait enjambé le box des prévenus avant d’être rattrapé par les gendarmes.

La plus spectaculaire s’est produite en 2001. Après avoir braqué un hélicoptère et son pilote, Cyril, son frère cadet, avait tenté de l’extraire de la prison de Fresnes en positionnant l’engin au-dessus de la cour de promenade. Le filin qu’il avait lancé s’était révélé trop court pour que Christophe Khider s’en saisisse. Ce dernier s’était rendu après vingt heures de siège. Cyril sera condamné à dix ans de prison. Christophe à quinze. Leur mère, Catherine-Charles, décédée depuis, qui ne quittait plus son petit pendentif en forme d’hélicoptère, en tirera un livre, intituléFraternité à perpète. Elle s’engagera ensuite dans la lutte pour l’amélioration des conditions de détention. « Je ne lui demanderai pas de se rendre pour mon petit confort personnel de maman, disait-elle alors que son fils était en cavale après l’évasion de Moulins. Cela reviendrait à lui demander d’accepter l’incarcération jusqu’en 2040, une peine de science-fiction. Je refuse de condamner une cavale du désespoir. Même si ça dure deux jours, au moins il vit. » Doté d’une « intelligence au-dessus de la moyenne », selon les termes d’un expert, Christophe Khider a élaboré de multiples scénarios d’évasion. Chaque fois, grâce à son charisme, il s’est attiré le soutien de complices dans et hors les murs de la prison.

D’après l’enquête sur l’évasion de Moulins, deux femmes ont ainsi joué un rôle déterminant. La compagne d’alors de Christophe Khider. C’est elle qui a fourni l’arme, les munitions, les détonateurs et les explosifs. « Par amour », dira-t-elle plus tard. Mais rien n’aurait été possible sans la concubine d’un codétenu. A la suite d’une intervention chirurgicale au cours de laquelle des broches métalliques lui ont été posées au niveau du dos, elle faisait sonner le détecteur de métaux à chaque fois qu’elle passait le contrôle de sécurité. Une particularité qui, certificat médical à l’appui, lui a permis de faire rentrer le nécessaire à l’évasion.

Plus tôt, en 2006, alors qu’il était incarcéré à Lannemezan (Hautes-Pyrénées), il avait tenté de se faire la belle en accédant par des gaines électriques à une pièce réservée aux surveillants d’où il pouvait subtiliser des outils susceptibles de lui permettre d’ouvrir la porte de sa cellule. Il a été arrêté avant de passer à l’acte et condamné à trois ans de prison.

Plusieurs condamnations ponctuent sa biographie pénale. La première, en janvier 1992, quand la cour d’assises des mineurs l’a condamné à cinq ans de prison dont deux avec sursis pour un vol avec arme commis à l’âge de 17 ans. Un père absent, une mère toxicomane, des braqueurs en guise de beaux-pères et des placements en foyer ou en famille d’accueil ont accéléré l’écriture de ce destin de hors-la-loi.

« JE N’AI PAS UNE ESPÉRANCE DE VIE DE 150 ANS… »

En novembre 1999, il est condamné à trente ans de prison pour meurtre, séquestration, vol, recel et port d’armes prohibés. Un verdict qu’il n’a jamais accepté, ne cessant de jurer, contre la version des experts balistiques, que le tir mortel était accidentel. Après un braquage, il avait tué un automobiliste à qui il tentait de voler la voiture pour prendre la fuite. Dès lors, il n’a cessé de remettre en cause l’ordre pénitentiaire, qu’il voit d’abord comme la promesse d’une mort lente. « Trente ans, quarante ans, cinquante ans, soixante ans, je ne suis pas une tortue des Galapagos, je n’ai pas une espérance de vie de 150 ans… », lâche-t-il.

Désormais détenu à la prison d’Annoeullin (Nord), Christophe Khider a connu près de 40 établissements pénitentiaires. « Pour les gars comme moi, la réinsertion est un mensonge, un jargon politicien », explique-t-il. Pour décrire son quotidien en prison, il a banni le mot « agréable ». « Il y a un vocabulaire qui n’existe plus intra-muros, un vocabulaire qu’on s’interdit, sinon c’est Gillette ou la corde. » Il a aujourd’hui trois enfants. Ses journées sont rythmées par la boxe, l’infographie, la lecture et les parloirs. En 2012, il s’est marié à une femme qui lui avait déclaré sa flamme dans une lettre, après les événements de Moulins.

Il attend l’audience devant la cour d’assises comme on s’apprête à « aborder un bateau ennemi ». « Compte tenu de la longueur de sa peine, et du peu d’horizon qu’elle lui laisse, c’est sûrement la question des complicités qui sera au centre des débats », analyse MeBoesel, qui le défend avec son confrère Me Bernard Ripert. Quant à sa libération, Christophe Khider assène : « Je l’envisage dès que je peux. »

 

source : Le Monde.fr | 01.04.2013
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