[…] Ainsi que tu le formules, ce silence est un aveu de culpabilité et relève pour certains du box des Assises. A force d’acculer les réprouvés au désespoir, on provoque des comportements extrêmes, souvent irréversibles tel celui ayant eu lieu cette semaine ; un de plus.
J’ai constaté, ici et ailleurs, la création de quartiers hybrides, situés entre la détention ordinaire et l’isolement. On y place ceux que l’on estime psychologiquement fragiles (diagnostic médical ou administratif?), accentuant par là même leur précarité psychique, s’il en est, puisque le régime alloué confine à tous les excès dans un rapport de force entretenu. L’oppression est telle que certains finissent par craquer. L’un d’entre eux a avant-hier incendié la cellule, prenant par là même sa vie en otage. Extrait de l’endroit, il a été illico emmené au mitard, dans un état physique que je te laisse imaginer. Dans leur logique perverse, ils le rétrogradent d’un échelon, le sursanctionnant par là même alors que son geste n’est que le reflet d’un profond désespoir. Poussé dans ses derniers retranchements, il n’a d’autre option que de commettre l’irréparable avec tout ce que cela induit. La prédation de cette administration n’est plus à démontrer, elle détient dans ses serres celui qu’elle supprimera demain.
Lorsque tu évoques la liberté d’expression, je te répondrai que c’est une notion aléatoire dans cet univers. Durant des années, j’ai dû m’accommoder de nombreuses rétentions épistolaires, voire de disparitions définitives, au gré de magistrats instructeurs ou de l’administration concernée. C’était mon talon d’Achille puisqu’à l’époque (jusqu’en 2008) la faculté de téléphoner n’existait pas en maison d’arrêt conformément à l’archaïsme médiéval entretenu. Même les dessins d’enfant subissaient cette abjection. Si nous n’avions pas été forts, mon noyau familial aurait été pulvérisé. Il a fallu user de subterfuges (portable, etc) dans un devoir de riposte avec les risques que cela engendrait. Évoquant cette situation aux Assises, l’un des présidents a tacitement admis que c’était une infamie. A ce jour, je ne suis jamais certain que mon propos te parviendra, conscient de leur potentiel de nuisance.
Ces artisans, que dis-je, ces orfèvres de la récidive s’ingénient à la reproduire tant en altérant la sphère familiale qu’en brisant les vecteurs de sociabilité impératifs à toute réadaptation.
Abordons ce dernier point. J’ai obtenu […] la première permission de sortir depuis 2001. Il ne s’agit pas d’une victoire, contrairement à ce que pense une majorité et dont elle se contente d’ailleurs. A force d’imprimer une translation entre le monde extérieur et cet univers contre-nature, ils se résignent à cette perspective jusqu’à omettre que la libération conditionnelle est l’unique option resocialisante. Le reste n’est qu’un pis-aller, un artifice judiciaire à dessein de contenter l’intéressé tout en confortant les statistiques. Ce ne sont que les reliefs de l’assiette que l’on présente au chien à la fin du repas pour s’être bien comporté. […]