Ces quelques lignes dans le but de vous informer de la situation de Monsieur Philippe El
Shennawy, cinquante-huit ans. Il a décidé depuis deux semaines de se laisser mourir de faim dans
une cellule de la maison centrale de Poissy, près de Paris. Il n’a rien avalé depuis le 23 mai dernier.
Peut-être connaissez-vous Monsieur El Shennawy, personnellement ou de réputation. Son
nom évoque pour la presse à sensations une condamnation de la France par la Cour européenne des
droits de l’homme à cause des fouilles incessantes imposées par l’administration, son évasion de
l’Unité pour Malades Difficiles (UMD) de Montfavet pour résister à la folie vers laquelle le poussait
l’institution psychiatrique, sa présidence d’honneur de l’association Ban Public, ou encore le célèbre
braquage de l’avenue de Breteuil, au milieu des années 70, dans lequel il nie toujours formellement
la moindre implication.
Philippe El Shennawy incarne aussi, pour beaucoup, une sorte de figure emblématique de la
« longue peine », de la très longue peine. Bientôt de la peine infinie.
A cinquante-huit ans, il a vécu emmuré vivant presque en continu depuis 1975, date de sa
première incarcération pour un vol à main armée.
Il a tourné dans quasiment toutes les prisons de France, baluchonné, étiqueté D.P.S, placé
pendant 19 ans à l’isolement.
Plus de trente-sept années plus tard, il est toujours en prison, accumulant des peines qu’il lui
reste à faire de 3 ans, 5 ans, 10 ans, 2 ans, 13 ans… Toujours sans avoir la plus petite goutte de sang
sur les mains. Il est sous le coup d’une peine de sûreté qui court jusqu’en 2018.
Comme les condamnations dont il a écopé sont tombées pour des faits commis tous en
même temps (à vrai dire, pour financer ses quelques mois de cavale), Monsieur El Shennawy a
demandé une confusion de peines aux magistrats, afin que les peines les moins graves soient
« absorbées » par les peines les plus importantes. Il l’a fait pour essayer de retrouver un horizon,
pour pouvoir à nouveau s’imaginer un avenir, pour ne pas continuer à attendre et à faire attendre
sa femme, ses enfants et petits-enfants, comme ça, sans savoir.
Mais le 18 mai dernier, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Versailles s’est
contentée de ramener sa date de fin de peine de 2036 à 2032, comme si cela changeait
véritablement quelque chose, comme si c’était ce qu’il lui demandait, alors qu’elle aurait
légalement pu rapporter cette date de fin de peine vers l’année 2017.
Il n’y a aucune motivation à cette décision.
La seule chose à comprendre, c’est que pour la Chambre de l’instruction, il serait
parfaitement normal que Monsieur El Shennawy ne sorte qu’à 78 ans, après avoir été privé de ses
libertés pendant près de 54 ans.
La trajectoire de Philippe El Shennawy est très particulière, elle ne ressemble à aucune autre.
Il n’empêche qu’il fait partie de ces centaines d’hommes en France qui, condamnés à la réclusion
criminelle à perpétuité ou, tout simplement, à des peines à temps d’une longueur infinie ou qui
s’accumulent entre elles, perdent de plus en plus l’espoir d’une perspective réaliste de sortie.
Son histoire est tout à fait propre à sa personne, son caractère, son entourage (heureusement
encore extrêmement présent). C’est un homme d’une grande intelligence et d’un grand courage.
Dans le même temps, son histoire pose vraiment des problèmes beaucoup plus généraux
comme l’allongement et l’accumulation des peines prononcées par les magistrats et les jurés, les
discours publics de plus en plus présents sur la « dangerosité » supposée des uns et des autres,
l’isolement et la solitude toujours plus grands ou, tout simplement, les peines de mort déguisées.
Philippe El Shennawy n’attend plus rien. Il ne demande plus rien. Il veut juste essayer de
faire en sorte que les gens, dehors, sachent que des situations comme la sienne existent. Et combien
elles sont difficilement supportables pour ceux qui les vivent et leurs proches.
Monsieur El Shennawy espère que les choses vont changer. Pas pour lui, il n’y croit plus,
mais pour les autres.
S’il a complètement cessé de s’alimenter, il boit encore de l’eau.
C’est un homme fort, solide, mais déjà affaibli par une grève de la faim précédente, de 80
jours.
Son désespoir commence à être plus que pesant.
Surtout, il faut bien comprendre une chose. Cette fois, Monsieur El Shennawy n’est pas en
grève de la faim.
Il n’a pas de revendications.
Il n’en peut tout simplement plus.
Il veut juste que ça s’arrête. Et il importait que vous en soyez averti, que ce déni d’humanité
ne reste pas dans l’ombre.
Si vous voulez écrire à Monsieur Philippe El Shennawy, son adresse est la suivante :
Maison centrale de Poissy,
17, rue de l’Abbaye,
78 303 Poissy Cedex.
Merci de bien vouloir faire en sorte que cette information circule le plus possible, dans tous les
établissements pénitentiaires de France.
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