« Présumé coupable ». Entretien avec un ex-détenu, 14 avril 2012 (G.E.P.)

La garde-à-vue :

Je vais avoir vingt-huit ans, j’habite en banlieue parisienne, dans l’est. Je n’ai pas fait beaucoup de gardes à vue, moi, j’ai dû en faire trois, quatre dans ma vie, de 24 heures en général. La première, c’était jeune, franchement. La première, elle ne m’a pas marqué plus que les autres. Tu sais, t’es enfermé dans une cellule, la seule chose que tu trouves à faire, c’est de dormir, d’essayer de dormir. Tu te sens sale, t’as juste une envie, c’est de prendre une douche et d’être dans un lit. T’as toujours accès à un avocat et un médecin, suivant si tu le demandes ou pas. En général, tu demandes à avoir tout, parce que même si ça te permet de sortir deux secondes de ta cellule, c’est déjà ça de pris. Tu ne vas pas faire déplacer ton avocat en garde à vue, c’est rare, ça. C’est vraiment pour les mecs, la marginalité, c’est leur vie.

L’arrivée en prison :

Là, on est en 2012, je suis sorti de prison en 2008, ça fait quatre ans. J’ai fait deux ans et demi de prison. J’étais primaire, je n’avais pas de condamnations auparavant, juste de petites affaires insignifiantes. J’ai eu un procès… En fait, j’ai été incarcéré en mandat de dépôt, ça veut dire que t’attends ton jugement, ça veut dire que t’es enfermé présumé coupable, et j’ai fait la quasi-totalité de ma peine en tant que présumé coupable. Après mon jugement, il ne me restait plus beaucoup à faire, en fait, j’ai fait trois ou quatre mois, après mon jugement et je suis sorti. Les mandats de dépôt correctionnels, ça dure un an, je crois. Moi, ça a duré deux ans, c’était un mandat de dépôt criminel. Le juge d’instruction l’avait décidé, étant donné que j’étais en fuite quand ils m’ont attrapé, c’était logique qu’ils ne me laissent pas ressortir. C’est un peu angoissant au sens où ton sort est entre leurs mains, quoi. Toute l’instruction était au criminel et ils l’ont fait redescendre en correctionnelle avant le jugement. Les avocats, c’est la première chose qu’ils essaient de faire, c’est d’enlever un maximum de charges afin que ça descende au plus bas niveau.

Les avocats :

Au départ, j’avais un commis d’office, j’avais l’impression qu’il s’en foutait un peu, mais tu vois, c’est ça, un avocat qui est commis d’office, qui n’est pas payé, il ne va pas se démener. De toute façon en général les avocats, ils ne viennent pas te voir souvent au parloir. S’ils viennent souvent, c’est que tu les payes bien, parce qu’en toute logique, à chaque fois que tu le payes, c’est pour qu’il se déplace. Après, j’ai pris un avocat payé. C’est mieux, parce qu’il était plus compétent. C’était un plus gros avocat, il était au barreau de Paris, il était plus habitué à ce type d’affaires que celui que j’avais au départ. Le commis d’office, il venait une fois tous les trois mois, une fois tous les deux mois. Ca dépend de l’évolution du dossier ; s’il y a plein de nouvelles choses, ouais, peut-être qu’il va être amené à venir plus souvent. Et puis quand il se déplace dans une prison, en général il essaie de venir voir un maximum de détenus dont il traite les affaires. Il va éviter de se déplacer dans une prison juste pour voir une personne. Donc en général il essaie d’aligner son agenda : « là, si je vais dans telle prison, je vais voir tous mes dossiers ». Mon deuxième avocat ne s’est pas foulé, mais, en fait, vu la position qu’il avait, il n’avait pas besoin de se fouler. C’était un ténor, il n’avait pas besoin de parler beaucoup. De toute façon, j’ai vu qu’il était en confiance. Pour lui, c’était du gâteau, il y est allé les doigts dans le nez. Je l’ai senti. Et puis même, les personnes qui m’avaient conseillé ce mec-là, c’était pas pour rien.

La condamnation :

Le juge, il n’a pas été très sévère. En fait, c’est le procureur, c’était un jeune procureur et franchement je l’ai trouvé complètement contraire à l’image du procureur qu’on a en général, qui, lui, veut vraiment t’éclater la gueule. Le procureur qu’on a eu, vraiment, il n’était pas du tout comme ça. Il a tenu compte du fait que j’étais primaire, que j’étais réinsérable, tout ça… Il a vraiment pris en compte tout ça, il l’a entendu. J’ai été condamné à cinq ans, dont deux ans de sursis. Ca fait trois ans ferme. Quand je suis entré en prison, j’avais vingt-deux ans et quand j’ai été jugé, j’en avais vingt-quatre. Je pense que je l’ai beaucoup mieux vécu, parce que tu vois, t’arrives en prison, t’es au début de ta peine et on te dit « t’as tant à faire »… je pense que ton moral, il est plus facilement cassable que si tu rentres et que c’est incertain donc tu as de l’espoir, tu peux te dire « ah, je ne sais pas pour combien de temps je suis là donc je peux espérer le minimum », tandis que si tu viens, tu rentres, tac ! C’est le premier jour, on te dit « ah, t’es là pour tant de temps », je pense que ça te met un coup.

Sortir :

Je suis sorti en fin de peine, j’avais tout fait. J’aurais pu sortir beaucoup plus tôt, mais il se trouve que les travailleurs sociaux qui sont là pour t’aider dans tes démarches administratives, machin, ils ne se sont pas foulés, ils ne se sont pas bougé le cul : c’est-à-dire que j’aurais pu sortir bien sept mois plus tôt… En fait, j’aurais pu sortir dès mon jugement, j’étais déjà libérable, j’aurais pu déjà être libérable. Pourquoi ? Parce que pendant toute ma peine j’ai cumulé toutes les activités qui donnent accès à des remises de peine, tout ça, et j’avais droit, en tout à sept mois de remise de peine. J’en ai eu qu’un alors que pendant toute ma peine, j’ai fait toutes les activités, j’ai eu aucun problème. Si, j’ai eu un problème, une fois, j’ai eu dix jours de mitard, mais c’était au début de ma peine donc je suis excusable dans le sens où je ne connaissais pas la prison, c’est excusable que tu pètes un câble, mais sinon j’ai eu un comportement exemplaire et malgré ça, malgré ça je n’ai pas eu droit au maximum des RPS auxquelles j’avais droit, pourquoi ? Parce que les travailleurs sociaux ne se sont pas foulé pour justifier auprès du juge qui décide des remises de peine de toutes les activités auxquelles j’avais participé.

Ils changent tout le temps, les travailleurs sociaux. Ce sont des gens qui sont souvent mutés, donc t’as jamais le même très longtemps. Quand t’en as un, il ne te voit jamais, tu communiques avec lui en lui envoyant des courriers et tu ne sais même pas s’il les reçoit. Il ne répond même pas pour le dire. Moi, dès que j’ai été jugé, j’ai envoyé des courriers pour dire « j’ai été jugé, merci de justifier de toutes les activités que j’ai faites », et je n’ai jamais reçu de réponse. Pour les remises de peine, je ne suis passé devant personne, on ne m’a convoqué devant personne… L’information, tu l’as entre détenus. Les détenus les plus aguerris peuvent te donner des conseils, et encore, tu sais, c’est le téléphone arabe, il y en a un qui te dit un truc, l’autre qui va te dire tout le contraire, donc tu ne sais jamais vraiment. Il y a un écrivain public qui est censé être là pour aider les détenus, un écrivain public qui est un détenu lui-même. Un médiateur, je ne sais plus comment ils appellent ça, un détenu qui est désigné comme étant celui qui connaît, qui peut aider les autres détenus. Même lui, pour y accéder, pour aller le voir, c’est toute une bataille. De toute façon, pour transmettre les informations quand t’es en prison, c’est toujours une bataille, que ce soit pour une fuite dans ta cellule ou n’importe quoi, n’importe quelle information c’est une bataille pour qu’elle remonte à la hiérarchie.

J’ai fait des demandes de psychologue, au début, je crois, parce que ça aussi ça te donne accès à des RPS. Mais franchement, j’ai été convoqué devant le psychologue, je ne savais même pas quoi lui dire. Au final, je n’y allais pas. T’as l’impression que c’est le psychologue qui est en face de toi qui a un souci psychologique, franchement. J’ai essayé deux fois, mais bon. Peut-être que lui aussi a senti que j’avais demandé un rendez-vous juste par intérêt, qu’en fait je n’avais pas besoin de lui. Je ne sais pas, en tous cas je me suis retrouvé deux fois devant le psychologue, je n’avais rien à lui dire. Il y a aussi les rapports de psychiatres, deux fois. Je crois qu’il y a une expertise et une contre-expertise. Eux, pareil, les deux psychiatres, j’avais l’impression d’être en face de deux fous. Même, j’essayais de lancer un débat avec eux, genre savoir leurs critères, sur quoi ils se basent… Même, j’ai essayé de leur parler des sciences psychologiques en général, leur montrer ce que je pensais de ce que c’était. Ce sont des sciences basées sur des critères, sur des codes, alors que chaque individu est différent et perçoit les choses différemment, tu ne peux pas établir de critères de jugement là-dessus. Ca va loin, ce débat, tu vois. Il me calculait pas, en fait, il continuait dans son truc, il ne cherchait pas à entrer dans mon débat. Vraiment, il est là, il te regarde et il va interpréter tout ce que tu vas faire. Moi, j’essayais d’interpréter ce que lui il faisait, en fait. Donc à partir de là, comment tu veux que lui, ce qu’il a écrit sur sa feuille, ce soit crédible, et peu importe ce qu’il a écrit, il n’a pas écrit de trucs spéciaux, que j’étais quelqu’un de normal, machin, mais comment tu peux tirer un trait de personnalité, basé sur des critères qu’on t’a appris dans certains cycles d’études sur un individu que tu vois en dix minutes. Tu peux lui dire ce que tu veux, c’est-à-dire qu’on va faire trois fois le même rendez-vous avec le même psychiatre, je vais lui répondre trois fois des choses différentes et il va faire trois expertises différentes, donc à partir de là ça n’a aucune valeur. Du coup, t’as peur de ce que tu vas dire au psychiatre, tu ne sais pas comment tu dois la jouer pour que ça joue en ta faveur. Si tu parais quelqu’un de calculateur, qui contrôle tout ce qu’il fait, tu vas clairement passer pour un mec qui sait vraiment ce qu’il fait et qui a pleinement été conscient de ce qu’il a fait, qui l’a organisé. Donc c’est bien, aussi, de passer pour un con. L’avocat te briefe, c’est le briefing classique, je pense. Fais profil bas, présente des excuses…

Ouais, il y avait un avocat pour la partie civile, je crois. Mais les parties civiles en elles-mêmes n’étaient pas présentes. Elles n’avaient rien demandé, en fait, elles n’avaient pas demandé d’argent. Elles avaient demandé à ce que l’on pourrisse en cage.

Les conditions d’incarcération à Meaux, franchement, je pense que voilà, étant une nouvelle prison, j’ai pas fait les autres, tu vois, mais je pense que c’était plus que correct. C’est au niveau surtout de l’organisation qu’ils ont beaucoup de problèmes, étant une nouvelle prison. Non, je pense même que c’est propre à tous les systèmes pénitentiaires ; il y a des problèmes de communication, de transmission de l’information et c’est la merde. J’ai été seul en cellule souvent, ouais, mais j’ai aussi été plusieurs dans des cellules individuelles. Quand tu as un codétenu, dans la plupart des cas, tu ne le choisis pas, sauf si ça fait longtemps que t’es là, qu’on commence à te connaître, là, t’es plus simplement un numéro de sécu, là tu deviens quelqu’un. Mais sinon, en général, on te fout un codétenu au hasard, en fonction de leurs places. Eux, ils ont beaucoup de détenus qu’ils doivent caser dans très peu de places, donc ils font comme ils peuvent, tu vois, et ils ne te demandent pas spécialement ton avis. Je me suis parfois retrouvé avec des codétenus qui sortaient de psychiatrie, qui étaient fous, n’avaient pas toute leur tête. C’est d’ailleurs pour ça que je me suis retrouvé au mitard, parce qu’on m’avait ramené un détenu qui n’avait pas toute sa tête, qui prenait des cachets, et moi j’avais décidé que je n’en voulais plus dans ma cellule. Mais il s’est trouvé que je suis tombé ce jour-là sur un surveillant de la pire espèce. Il a commencé à me faire un scandale, il a déclenché une alerte pour que tous les surveillants se pointent pour qu’on te ramène au mitard de force. Même les surveillants quand ils sont arrivés, tu sais, ils arrivent en courant genre état d’urgence, gyrophares… Et bien quand ils sont arrivés ils ont vu que c’était lui qui faisait du cinéma. Ils ne m’ont même pas emmené de force, alors que normalement, quand tu déclenches une alerte, automatiquement le détenu est emmené de force au mitard. Moi, je n’ai pas été emmené de force au mitard tellement ils ont vu que c’était lui qui faisait du cinéma et qu’il y avait de la haine dans ses yeux. C’est un opportuniste qui a choisi ce métier parce qu’il n’avait pas trop le choix, que c’était une bonne opportunité. Du coup, ce truc-là s’était passé un vendredi, j’ai fait le week-end dans ma cellule, et le lundi j’ai été convoqué au prétoire. Et là, pareil, devant le prétoire, j’ai pas voulu faire profil bas. Je ne connaissais pas encore le système, comment ça se passe, tu sais, « pardonnez-moi, mille excuses, je vous embrasse les pieds… ». Du coup, j’ai fait un peu le fier et je me suis pris dix jours de mitard dans la gueule.

Le mitard :

Le mitard, peu importe où c’est, je pense, c’est dur. C’est une espèce de garde-à-vue qui dure beaucoup plus longtemps. Quand je suis arrivé dans la cellule du mitard, première chose qui m’a étonné, c’est d’entendre des mecs, parce que les cellules sont côte à côte et que tu peux entendre les mecs, d’entendre des mecs que je connaissais, qui avaient toute leur tête. Quand je suis entré dans la cellule, je les ai entendu qui criaient, qui parlaient tous seuls. Ca faisait vingt jours qu’ils étaient là. Je pense qu’au bout de quinze ou vingt jours, t’es déconnecté et tu pètes un câble, tu te mets à parler tout seul, comme dans les films, sauf que c’est la réalité. Moi, je n’ai fait que dix jours, donc je n’ai pas connu ce stade, mais c’est vachement dur parce que t’es enfermé dans une cellule et tu vois rien, c’est même pas tu vois les oiseaux, un délire comme ça, tu ne vois rien du tout. T’es enfermé dans une cellule, tout ce que tu vois, c’est les murs, t’as rien, tu peux avoir un livre, ton repas, et toute la journée t’es là, tu réfléchis, t’as rien à faire. C’est spécial. Ce surveillant, c’est le genre à te dire « bonjour » mais à te dire « bonjour » en t’enculant, tu vois. En général, ça s’est bien passé, même s’il y en a un certain nombre dont tu vois clairement qu’ils sortent du fin fond du terroir et qu’ils en ont les convictions. Avec ceux-là, t’évites vraiment le contact.

Les conditions de détention :

A Meaux, il y a des douches en cellule, et ça, la douche en cellule, je pense que c’est vachement important et que ça change toute ta peine, toute ta condition. C’est vraiment quelque chose de très important. Quand t’es dans ta cellule, tu ne peux pas te doucher, tu transpires, t’as chaud… Même au niveau de l’hygiène, c’est la base, je ne sais pas, d’avoir une douche !

Déconnectés du temps :

Ce qui m’a le plus marqué, c’est que tous les jours sont les mêmes. Au bout d’un moment, quand ça commence à faire long, tu commences à être déconnecté du temps, quoi. T’es vraiment déconnecté du temps. D’ailleurs, je me suis rendu compte que là, ça fait quatre ans que je suis sorti, ces quatre années sont passées à une vitesse explosive, parce que j’ai pris un rythme léthargique pendant deux ans et demi où les choses n’avancent pas, où t’es au point mort. Quand tu restes au point mort pendant une longue période de temps, ton cerveau, ton horloge interne s’adapte à ce ralentissement et quand tu sors ! Il faut repartir à deux cents à l’heure. Du coup, ça fait quatre ans que je suis sorti, je ne les ai même pas vus, alors que j’ai passé que deux ans et demi en prison, et que j’ai l’impression que j’ai passé dix fois plus de temps en prison que ces quatre ans que j’ai passés dehors. C’est pas non plus la guerre en Irak… Non, non, il n’y a pas de traumatisme. Enfin ça dépend, peut-être qu’il y a des gens qui gardent des séquelles, mais moi, non, je n’ai pas eu de séquelles. Enfin, quand je suis sorti, j’avais tendance à rester un peu casanier pendant une petite période, mais après j’ai repris le rythme.

Faire passer le temps :

J’ai fait toutes les activités possibles et imaginables, même celles qui ne m’intéressaient pas du tout comme aller voir un psy. J’ai pris des cours de théâtre, j’ai repris des études, j’ai fait des cours d’anglais, j’ai repassé un diplôme équivalant au bac qui m’a permis de m’inscrire à l’université en sortant. Je m’inscrivais à tout, tout, tout. Quand on commence à connaître ta tête, celui qui fait la liste, il voit ton nom, il sait que c’est toi, donc il va t’inscrire. Et puis même, il y a des petites combines, aussi. Parfois, je n’étais pas spécialement inscrit, mais j’arrivais à faire croire que j’étais inscrit et j’arrivais finalement à m’éclipser de ma cellule. Mais durant les six premiers mois, je ne connaissais rien à la prison, j’étais en cellule individuelle, donc je n’avais pas spécialement de personne pour me conseiller, un exemple pour me montrer comment se passent les relations, comment faire pour arriver à tes fins… Donc pendant les six premiers mois, les huit premiers mois, j’ai eu droit à aucune activité, donc j’étais toute la journée dans ma cellule, une heure de promenade le matin, une heure de promenade l’après-midi. Après, quand je me suis retrouvé avec mon deuxième codétenu, lui, c’était un mec qui avait vingt-cinq piges et qui avait fait dix ans de placard, donc qui connaissait vraiment tous les rouages de la prison. En le voyant faire, j’ai appris beaucoup et après je suis devenu un expert en combines.

Et puis il y a beaucoup l’intérêt, aussi. Parce exemple, si quelqu’un va voir que t’es un détenu qui est « bien », au sens où tu es bien financièrement, tu reçois des mandats… Tu vas avoir des gens qui vont te solliciter, qui vont copiner avec toi. Et puis même, moi, je connaissais déjà pas mal de monde, dès que je suis arrivé, tu vois, des gens que je connaissais déjà dehors. Sinon, oui, il y a de l’entraide, c’est clair, il y a de l’entraide.

Expression individuelle et collective en prison :

Par quels moyens tu peux t’exprimer ? C’est quoi, refuser de remonter de promenade ? Tout le monde reste dans la cour de promenade et quand ils disent de rentrer, personne ne rentre ? Ca, on risque de rentrer en conflit avec eux, qu’ils t’envoient les brigades d’intervention pour faire rentrer tout le monde et au final, ça restera sur ton dossier. Tu prends le risque de faire du mitard, donc de rallonger ta peine, forcément. Donc les mecs, dans ces moments-là, ils auront tendance à être individualistes. C’est comme une grève, dehors, quand les gens font la grève, il y en a qui continuent à travailler, et puis ça s’estompe, et puis voilà. C’est pareil. Sauf que ça s’estompe beaucoup plus vite parce que là c’est vraiment la loi de la jungle, tu vois. Ca a survolé certains esprits, mais ça s’est vite estompé parce que ce n’est pas possible, chacun défend ses petits intérêts. Quand il y a un refus de remonter, ils encerclent la promenade, ils crient « rentrez, rentrez ! » et les mecs finissent par rentrer. Et s’ils ne rentrent pas, ils ont ce qu’il faut pour les faire rentrer, des bombes lacrymogènes, même des munitions à gommes, je crois. C’est arrivé deux ou trois fois. Enfin, dans tous les cas, l’Etat ne te laissera pas avoir le dernier mois, ça c’est sûr. Il te cassera, quitte à ce que tu finisses en psychiatre. J’ai vu des mecs qui avaient toute leur tête revenir de psychiatrie et ça m’a donné à réfléchir. Je me suis dit « wow, il vaut mieux se tenir à carreau ». Je n’ai pas envie de prendre le risque de me faire envoyer en psychiatrie et puis d’y perdre les neurones.

Les mouvements comme ça, ça va être surtout si on touche à la promenade. Par exemple, parfois, ça arrivait, des suppressions de promenade. Là, les mecs, ils pètent vraiment un câble, parce que ça leur chamboule tous leurs petits projets, parce que la promenade, c’est là que les détenus peuvent échanger entre eux, donc si tu lui enlèves sa promenade, tu contraries ses plans. La promenade, c’est ce qu’il y a de plus cher. Il y a aussi les cantines, les courses alimentaires, les biens de consommation… Souvent, il y a des problèmes avec ça. Soit tu ne reçois pas ce que tu as demandé, ou il y a des problèmes, et quand il y en a, pour les régler, c’est laisse tomber, en fait tu te la manges, c’est tant pis pour toi. Ca, ça peut faire péter des câbles aux gens, mais au final, t’as aucun pouvoir de révolte. C’est le genre de choses qui s’estompent, ça. C’est pas le genre de trucs qu’on veut qu’il se sache, tu vois. Quand t’es dans une prison comme Meaux, tu vas te tenir à carreau parce que t’as pas envie qu’on t’en change et de te retrouver dans un taudis. Donc tu te tiens à carreau. C’est ça, aussi, le gros risque. Tandis que si t’es à Fleury, et que t’es déjà au plus bas, que tu n’as plus rien à perdre, tu auras plus tendance à te révolter, plus facilement, oui. T’as plus rien à perdre. Ils ont tous les moyens de pression, ils ont tout. C’est eux qui ont le dernier mot. Le système est mis en place pour que ce soient eux qui aient le dernier mot, c’est comme ça. Par tous les moyens, ils arriveront à leurs fins, quoi que t’essaies de faire. C’est eux qui contrôlent tout, qu’est-ce que tu veux faire ? Tu vas faire des courriers ? des lettres ? Déclencher, même essayer de déclencher des condamnations, ça prend du temps, le mec il n’a pas que ça, il a d’autres problèmes. Donc au début, peut-être, il va être motivé. Après, il va lâcher l’affaire.

Dedans/dehors :

J’ai su que j’allais sortir un mois avant. Enfin non, en fait, dès que j’ai été condamné, je savais déjà pertinemment qu’il ne me restait plus beaucoup, à un, deux ou trois mois près. Donc à partir de là, mon objectif en tête, c’était vraiment de sortir. Quoi qu’il se passe, je me tiens vraiment à carreau, quoi qu’il se passe je ne veux pas faire un jour de plus. Ca a été mon seul objectif. Maintenant, il y a des gens qui sont moins organisés dans leur tête et qui auront tendance à s’éparpiller, tu vois. Moi, vraiment, de A à Z, ça a été ça, dans ma tête, clair et net. Ah, attention, je ne dis pas que… Non, c’était légitime que je sois en prison, tu respectes pas les lois, les lois sont faites pour établir un certain ordre dans une société et une société sans lois, c’est une société vouée à l’échec, donc si tu fais des conneries et que tu te retrouves en prison, tu ne peux t’en prendre qu’à toi, c’est clair. Ca m’a apporté de savoir ce que c’était, donc de savoir que je ne voulais pas y retourner.

La télévision en cellule :

L’artistique… Parce que je ne fais pas que du rap, tu vois, je fais aussi du dessin, je suis vraiment sensible à l’art, toute forme d’art. L’art, en général, ça a toujours été pour l’évasion, pas spécialement par rapport à la prison, même avant de connaître la prison, ça a toujours été une forme d’évasion de ta vie. Là, j’avais que ça à faire, donc il y a eu des périodes où j’ai beaucoup écrit, ouais. Ca avait le don de faire passer le temps, de faire oublier. Mais sinon, la principale source d’évasion en prison, c’est la télé. T’as une télé, t’as pas de télé, vraiment, ta peine, c’est deux choses différentes. J’en ai bouffé, j’en ai bouffé des heures, des vingt heures par jour, de la télé. Au point où je connaissais les répliques d’un film par cœur, tu vois. J’étais très calé sur l’actualité, enfin vraiment j’ai bouffé de la télé. Je ne regarde plus du tout la télé. Ce n’est pas un choix spécial, je ne regarde plus du tout la télé, j’ai autre chose à faire. Et puis la télé à haute dose, c’est une perte de temps, tu passes à côté de ta vie. Tu vis la tienne à travers celle des autres. L’arrivée de la télé en taule, je pense que ça a beaucoup calmé les gens. C’est peut-être suite aux mutineries dont tu parlais, là, qu’ils ont dû réfléchir à cette solution.

Justice de classe :

Je pense qu’en France, il y a un racisme qui n’est pas que de la justice, c’est global, c’est toute la société, donc, au final, la justice aussi. Je pense que ce n’est pas un racisme de races, mais un racisme de classes. Un racisme par rapport à la basse société dans laquelle on regroupe les gens démunis. Ouais, il y a beaucoup de surveillants qui sont racistes, beaucoup aussi qui ne le sont pas, tu vois. Il y en a beaucoup aussi qui font simplement leur métier et qui n’ont pas le choix de faire un autre métier. Alors ils se retrouvent à faire ce métier là, et puis il y en a beaucoup aussi… Je pense que quand tu donnes un certain pouvoir à l’être humain, ça a tendance à pervertir sa personnalité. Il y a un film qui traite de ça, ça s’appelle The experiment, l’expérience. C’est pas mal, c’est intéressant. Je pense que c’est la réalité : il y a certains surveillants, c’est des cons parce que ce petit pouvoir qu’on leur a mis entre les mains, ça leur a bouffé le cerveau, quoi. Mais sinon, il y en a beaucoup, une grande partie, qui, si tu es correct, sont corrects avec toi. Il y en a beaucoup, t’es dans le même bateau, presque. Pas du même bord, mais dans le même bateau, tu vois.

Avec la pénitentiaire :

Tu sais, les surveillants les plus cons, quand t’es dans cette situation de détention, où t’es à bout de nerfs, privé de ta liberté… Tu te retrouves face à un con en face de toi… Si tu n’as pas un certain contrôle, tu peux avoir une montée de nerfs et aller jusqu’à la violence physique. Je pense que dès qu’il y a une petite situation qui dérape, ils prennent un malin plaisir à se soulager, à évacuer leur stress sur lui.

Dans le système pénitentiaire, il y a de réelles relations avec le détenu, parce qu’ils cohabitent toute l’année, tu vois. Avec la police, tu ne cohabites pas. Le policier aura plus facilement tendance à se lâcher sur toi, alors que le surveillant pénitentiaire, à partir d’un certain moment il y a une certaine relation qui se crée. Je pense que par exemple, un détenu qui est là depuis dix ans, avec les mêmes surveillants, le jour où il pète un câble, on ne va pas se lâcher sur lui, parce qu’au final ce n’est pas un simple numéro de sécu. On reste des êtres humains malgré tout. Je pense que même la pire espèce garde son fond d’humanité, ne serait-ce qu’un grain de sable.

Avec la police :

Tu sais, avec les flics, avec les matons, moi… Avec tout ce qui est lié au pouvoir… Etant quelqu’un de logique, je sais que c’est lui qui a le pouvoir, donc je vais serpenter. Je ne vais pas aller à la collision, parce que dans tous les cas, celui qui a le pouvoir, c’est lui qui gagnera, tu vois.

J’ai déjà subi des contrôles, franchement… Je suis sûr que ces mêmes policiers qui m’ont contrôlé, ce jour-là, sans que je ne leur ai manqué de respect ni rien, ils n’auraient jamais eu ce comportement là… Je suis sûr qu’ils ne contrôlent même pas une certaine caste d’individus, et que s’ils devaient être amenés à les contrôler, ce serait une toute autre personne qu’ils auraient en face d’eux. Les gens ne se doutent même pas de la vraie face du mec. Le mec, il prend mes papiers, il les jette parterre, il me dit « ramasse, qu’est-ce que tu fous ici, casse-toi, rentre chez toi… Dis à ton pote d’arrêter de rigoler parce que je vais l’emplâtrer… ». Je suis sûr que ce même policier qui nous a contrôlé comme ça doit être un autre homme avec une autre caste de citoyens. Et ces gens-là ne vont pas se douter une seconde ! Ils vont dire « ouais, ce qu’on dit sur la police, c’est faux ». Et c’est normal, c’est normal que face à toi, il aura pas ce comportement.

Un détenu-boom : la sur-carcéralisation

Zemmour, il a dit qu’il n’y a que des noirs et des Arabes en prison, mais il a oublié de dire que c’est pour de petits délits. Genre pour les gros délits, pour la pédophilie, pour les meurtres, ce n’est pas des noirs et des Arabes qui sont en prison, tu vois. C’est vrai que sur cent détenus, tu vas en avoir quatre vingt qui sont basanés, issus de quartiers défavorisés, qui n’auront pas eu une grande éducation scolaire, qui n’auront pas eu les mêmes chances que d’autres, je pense, dans leur vie. Bon, je ne dis pas, hein, après tu as des gens qui ont toutes les chances dans leurs vies et qui choisissent volontairement la marginalité, tu vois. Moi, j’ai fait toute ma peine en maison d’arrêt. La majorité des détenus sont en mandat de dépôt, pas jugés, présumés coupables. D’où la surpopulation, parce que les mecs restent trop longtemps, ils ne sortent pas, il y en a d’autres qui rentrent et ça fait quoi ? Ca fait un détenu-boom !

Un autre truc que tu voudrais rajouter ?

Sur la prison… Je ne sais pas… N’y allez pas. N’y allez pas.

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