« On étouffe », écrivent notamment ceux qui sont détenus en Guyane et ont saisi l’Observatoire international des prisons pour dénoncer leur situation.
51 détenus du centre pénitentiaire guyanais de Rémire-Montjoly ont saisi l’OIP (Observatoire international des prisons) pour dénoncer leurs conditions de détention. L’OIP reçoit des plaintes depuis plusieurs années, mais « ça s’est précipité » en mai, selon le coordinateur Outre-Mer pour l’OIP François Bès, qui l’explique par une « dégradation des conditions de détention », un « ras-le-bol général » et « l’espoir de voir l’Etat condamné, comme les 15 détenus de l’établissement qui ont fait condamner l’Etat en octobre 2011 pour conditions de détention indignes. »
Tous dénoncent de « déplorables » conditions de détention. « On prépare les recours auprès du tribunal administratif » poursuit François Bès, « ils seront tous déposés pendant l’été. »
« Le Nouvel Observateur » a questionné le coordinateur Outre-Mer pour l’OIP François Bès, qui nous a communiqué des extraits de témoignages de détenus.
Quelle est la situation de la prison guyanaise de Rémire-Montjoly ?
– En mai 2012, elle comptait 632 détenus pour 536 places. L’établissement accueille des hommes et des femmes adultes, et des mineurs, en quartier maison d’arrêt et en centre de détention. La situation est bien plus problématique en quartier maison d’arrêt, où le taux d’occupation est de 135,5% (370 détenus pour 273 places), qu’en centre de détention (262 détenus pour 263 places). La plupart des détenus ont déjà écrit au directeur, à l’administration pénitentiaire, à la justice,… Le plus souvent en vain. Beaucoup disent que « rien ne bouge » et dénoncent le peu d’écoute et de réponse.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les détenus ?
La surpopulation
– En quartier maison d’arrêt, la surpopulation est particulièrement problématique. Notamment à cause de l’obligation d’avoir un matelas supplémentaire au sol.
Un détenu : « La cellule doit faire 28 m². Pour six détenus, cela est limite. Il n’y a aucune aération et les toilettes sont à proximité du lieu de repas… On étouffe ! »
Un détenu : « Les odeurs des autres détenus parfois sont pénibles et lorsqu’on est à 3 dans une cellule, cela pose des soucis avec ceux qui ne se lavent pas, font du bruit et le problème lorsqu’on se fâche avec l’un d’entre eux, c’est qu’on a peur de se faire tuer pendant notre sommeil. »
La violence
– Dans toute la prison, la violence, très liée à la promiscuité, est particulièrement décriée. Certains détenus n’osent pas sortir de leur cellule. On a eu un ou deux cas d’homicides dans l’année. Des armes blanches artisanales circulent. Les agressions sont fréquentes. Certains détenus se mettent à fabriquer des armes pour se défendre… Sans compter les violences contre le personnel.
Un détenu : « Les détenus en promenade n’ont aucune sécurité. Si une bagarre éclate, ou que quelqu’un se fait piquer, il n’y a plus qu’à prier pour que le Samu arrive vite ! »
Un détenu : « Un détenu a été tué lors de la promenade, et les surveillants n’ont rien fait pour l’aider, il a succombé à ses blessures dans la cour de promenade… »
L’hygiène
-La prison de Rémire-Montjoly date de 1998 et n’est pas spécialement vieille. Mais le manque d’entretien a très rapidement accentué sa dégradation. Les particularités de la Guyane n’aident pas : l’humidité permanente et les milliers d’oiseaux dont les fientes recouvrent l’établissement. Les parasites comme les rats, cafards, fourmis ou autres sont nombreux. Les détenus se plaignent de la proximité des WC avec le lieu où ils mangent. Seul un petit muret les séparent. Les douches sont très dégradées par les fientes. Et il n’y pas de WC accessibles pendant les promenades de deux heures.
Un détenu : « Dans notre cellule, les cafards et fourmis sont nos amis. Les toilettes étaient séparées par une cloison en métal, mais celle-ci a été détruite à cause de la saleté. Maintenant, il n’y a plus de porte, du coup on récupère nos tissus, draps pour en faire un rideau. (…) Cela pose problème et crée des disputes lorsque l’un d’entre nous souhaite utiliser les toilettes. »
L’alimentation
– Les problèmes concernant l’alimentation sont importants et réguliers. Les détenus disent que la situation est de moins en moins supportable. Quasiment 70% d’entre eux sont sans ressources et dans l’impossibilité d’acheter des produits en cantine.
Un détenu : « Les repas sont mal faits et immangeables, je suis quand même obligé de manger, mais cela ne suffit pas à mes besoins nutritionnels. »
Un détenu : « Maintenant au parloir, ils vous interdisent l’entrée de produits divers de la part de la famille, qui étaient autorisés auparavant. Le problème, c’est qu’à la cantine c’est plus cher qu’à l’extérieur. »
Parloirs/fouilles
– Les détenus se plaignent beaucoup des parloirs, de l’absence d’intimité et des fouilles systématiques après les parloirs.
Un détenu : « Je n’ai aucune intimité avec ma famille. Et les parloirs ne sont pas propres. »
Le peu d’activité/l’absence de réinsertion
– Il y a très peu d’activité, quasiment pas de travail, et les perspectives de réinsertion sont quasiment nulles. Le manque des moyens est criant pour développer l’alternative à la prison et l’aménagement de peine. La plupart des détenus sont condamnés à des courtes peines qui pourraient être purgées autrement grâce à des aménagements de peines ou des mesures alternatives comme les mesures de probation, le sursis avec mise à l’épreuve, les travaux d’intérêt général (TIG), le bracelet électronique… Mais encore faudrait-il que les collectivités aient les moyens pour débloquer des places de TIG. A Rémire-Montjoly, le taux d’aménagement des peines est beaucoup plus faible que sur le reste du territoire : quand le taux moyen au niveau national est de 19,56%, ce qui est déjà peu, celui de la mission Outre-Mer est de 12,70%.
Un détenu : « Il n’y a aucune activité, aucune structure pour nous aider à repartir sur de bons pieds et éviter de récidiver »
Comment expliquez-vous cette situation ?
– Les prisons d’Outre-Mer ont toujours été délaissées. C’est loin, on en parle moins, et il n’y pas forcément de relais au niveau de l’administration centrale. Ce qui ne veut pas dire que les acteurs locaux ne se battent pas et ne font pas leur maximum, mais ils se heurtent au manque de moyens.
Quelle est, selon vous, la priorité ?
– Faire sortir tous ceux qui peuvent l’être en débloquant les moyens nécessaires à la mise en place de mesures d’alternatives à la prison ou d’aménagements de peine avec accompagnement. Cela désengorgerait déjà considérablement l’établissement. Surtout qu’une journée de peine aménagée coûte beaucoup moins cher qu’une journée en prison. Mais encore faut-il en avoir la volonté.
La situation de cette prison est-elle représentative de celles d’Outre-Mer ?
– Les témoignages recueillis décrivent la situation spécifique de Rémire-Montjoly, mais on peut relever une situation équivalente dans les prisons de Guadeloupe, Martinique, Polynésie, Nouvelle-Calédonie et Mayotte. La situation est un peu différente à la Réunion où une prison neuve, pas encore tout à fait surpeuplée, a ouvert en 2008, et à Saint-Pierre et Miquelon où il y a très peu de détenus.
Des détenus de Toulouse ont également dénoncé dimanche leurs conditions de détention…
– La prison du Camp Est de Nouméa vient aussi de rencontrer un refus des détenus de réintégrer leurs cellules. Le ras-le-bol est atteint, et revient régulièrement.
Qu’en pense le ministère de la Justice ?
« Ces dernières années, la vétusté de certains sites s’est ajoutée aux taux d’occupation en croissance continue » écrit le ministère de la Justice dans un communiqué publié mardi 17 juillet. « Cette situation –particulièrement alarmante dans les outre-mer – est le fruit d’une politique excessivement carcérale avec laquelle la ministre de la Justice entend rompre. (…) Nous proposons d’autres formes de sanctions qui devraient rapidement soulager les conditions d’exercice de notre politique pénitentiaire au quotidien ».
source : http://tempsreel.nouvelobs.