Témoignage du 10/02/12 depuis la prison pour étrangers de Vincennes

Vincennes – Centre 1
« L’hygiène ça va, le manger c’est pas trop bien, c’est comme la gamelle en prison. Y’en a qui se coupent les bras, y’a la bagarre, c’est pas trop… c’est le bordel, voilà, c’est pas trop bien. Ils viennent… y’a toujours la police. On peut pas fumer, on a rien, ils t’aident pas, y’a rien. On peut rien avoir, on peut pas avoir d’argent pour aide, y’a pas d’aide, y’a rien. Moi là j’suis arrivé, j’suis sorti de prison avant hier, ils m’ont ramené directement ici, j’ai tapé 5 mois à Fresnes, et après ils m’ont ramené ici. Ils m’ont dit que j’allais sortir et ils m’ont embarqué pour me ramener.
Par rapport aux chambres ça va, on est deux par chambre ou quatre par chambre, ça va ça se passe bien, à part au niveau accueil pas trop, y’a la police, y’a toujours la police qui tourne, y’en a marre. Mais avec eux franchement ça se passe bien.
En ce moment niveau expulsion j’saurais pas vous dire, y’en a pas beaucoup, y’en a beaucoup qui sont libérés aussi. La solidarité ça dépend des CRA. Par exemple le CRA 1 était moyen, y’a des petits et des moyens. Ca se passe bien, mais par exemple au CRA 2 et au CRA 3 y’a des grosses têtes et c’est un peu la guerre entre eux. Dans le CRA 1 ça va y’a ceux qui viennent de banlieue, y’a des jeunes-jeunes et tout, y’a pas des grosses têtes, mais y’a des CRA ou y’a des grosses têtes et tout. Des fois … ça dépend, ça dépend. Moi c’est la 3ème fois que je suis en CRA.
Vous pouvez pas m’aider ? Parce que y’a pas d’aide, y’a rien du tout à manger. Y’a l’ASSFAM ici à place de la Cimade, ils font des recours pour les juges et tout ça, ils t’aident pour le dossier pour le juge, mais ils font pas grand chose, à part ça c’est tout.
Moi deux fois j’ai été libéré par le médecin pour cause médicale, j’ai une broche au pied. Ca arrive souvent qu’il libère des gens sur avis médical. Moi ça fait 21 ans que j’suis arrivé en France.
Franchement y’en a trop marre y’a des caméras partout, et on est surveillé de partout, c’est trop surveillé. Sinon ici c’est calme. Ca se passe entre nous.
J’avais une carte de 10 ans, elle a expiré et puis ils m’ont arrêté pour contrôle de papiers, puis vu que j’avais pas de carte… j’étais en prison, j’étais emprisonné, j’ai demandé à la faire renouveler, ils ont pas voulu me la faire renouveler, comme t’as pas d’accès au droit et tout ça, ils ont pas voulu me donner de permission…  »
Vincennes – Centre 2
 » J’suis retenu ça fait longtemps que je suis là, vraiment, si tu rentres à l’intérieur tu vas voir des trucs bizarres, et c’est insupportable, y’a des trucs que tu peux pas imaginer, ici y’a des gens qui se coupent, y’a des gens qui se suicident et qui font des tentatives de suicides, y’a plein de trucs. D’ailleurs ils te donnent à manger… comme le petit déjeuner c’est des trucs périmés, c’est comme la douche c’est de l’eau froide. On souffre ici franchement. C’est très dur au niveau de l’hygiène.
Chaque jour y’a des tentatives de suicide. C’est des trucs réels, c’est des trucs véridiques, c’est pas comme ça… c’est des gens sérieux qui veulent se suicider. Y’a des gens qui prennent des lames et ils se coupent. Ils se coupent leurs mains, même ils se coupent les veines, de leurs mains, de leurs jambes avec les lames. Le couloir où il y a les chambres, y’a plein de sang dans le couloir, on dirait que c’est du béton, tu peux pas marcher dans le sang. En plus comme les flics y font ici…Quand quelqu’un est expulsé ils utilisent le scotch, normalement c’est interdit dans la loi, c’est interdit. Ils attachent les gens avec du scotch, c’est un grand rouleau de scotch. C’est des trucs que tu peux pas savoir avec tes yeux, c’est insupportable.
Hier on a vu un mec qui s’est cassé la jambe à cause d’un vol. Il a cassé la jambe avec la porte. T’imagines la cheville ? Il a cassé sa cheville avec la porte à cause d’un vol. Mais les flics ici ils sont fous. On dirait on est dans un coin perdu. Y’a toujours des violences avec la police. Les flics à chaque fois ils frappent des retenus normalement c’est interdit ça. Même chez nous on a pas ça. Comment ça tu frappes quelqu’un, tu frappes un retenu ? C’est pas évident, d’ailleurs tu trouves des taches. Ici les policiers ils sont solidaires ensemble, a chaque fois ils font des trucs contre…voilà ils sont solidaires ensemble.
Moi je me suis fais arrêter, contrôle de papiers. Ca fait longtemps que j’suis en France et pour la première fois ils m’ont saisi les empreintes, j’ai fait aucune connerie, pour la première fois ils m’ont fait les empreintes, et ils me ramènent directement ici en centre de rétention. C’est bizarre pourtant j’ai rien fait. Aucune connerie, j’suis quelqu’un de sérieux. Les gens qui étaient avec moi en garde à vue avant qu’ils me ramènent ici, ceux qui faisaient des vols qui se sont fait attraper avec des iphone et tout, ils sont libérés et moi ils me ramènent ici. J’ai été jugé devant le tribunal administratif mais j’ai pas été libéré, j’ai un avocat mais il m’a dit c’est les ordres qui viennent de là haut.Y’a des gens…On est tous dans le même cas, mais y’en a qui sont libérés et d’autres non. On est tous le même cas, c’est un contrôle de papiers, c’est un problème de papiers. C’est pas question chacun son cas, on est tous en centre de rétention. Comment ça moi j’y suis depuis 26 jours, y’a quelqu’un moi j’suis rentré avant lui et il est sorti avant moi. Pourtant tous on est le même cas. C’est pas grand chose les gens expulsés, parce qu’ici quand quelqu’un il voit son vol, il doit se couper et…Donc voilà ils le ramènent forcément avec du scotch, à 5h du matin quand il est endormi, et hop ils le ramènent avec le scotch et tout, donc forcément comme ça c’est bizarre. On dirait qu’y a pas de droits, on dirait que liberté, égalité, fraternité, c’est juste un décor, voilà, c’est juste un tableau, sinon y’a rien y’a rien y’a rien…
J’ai vu le médecin car moi j’ai une maladie, j’ai une hépatite B. Normalement il faut que je me soigne dehors, parce que j’ai mon docteur dehors, mais non ils veulent pas me libérer, c’est comme ça. En plus j’ai un régime alimentaire, parce que cette maladie elle attaque le foie, il me faut un régime alimentaire mais ils en ont rien à foutre de moi, ils me laissent ici crever, voilà. J’ai les preuves, j’ai les ordonnances, les prises de sang, j’ai toutes les preuves. Ils me donnent pas les médicaments, ils m’ont dit « on a pas ton traitement ». Alors Je lui ai dis « tu peux me libérer pour que je me soigne, pourquoi je reste ici ? » il m’a rien répondu. Ici y’a que des cachets, que des calmants, c’est tout. Si t’as besoin de calmants, de drogues, des anti-stress et tout, d’accord, si t’as besoin de ça, sinon à part ça y’a rien. C’est fait exprès. Beaucoup de gens qui n’ont jamais mangé de calmants avant, ici ils les mangent. Y’a des bagarres, c’est le stress, tout le monde il stresse ici c’est normal, tout le monde est énervé, c’est normal, tant qu’on est dans un coin limité. Ils en ont rien à foutre de ça, ils voient des bagarres comme ça mais ils regardent comme ça de l’extérieur et c’est tout. Dans mon cas, j’ai une maladie vraiment très grave, c’est bizarre j’ai toutes les preuves, j’ai tout, j’ai mon docteur dehors qui me suit, il faut qu’il me soigne, il me faut un traitement, il me faut ça, il me faut ça, mais ils me laissent ici, ils veulent pas me libérer, c’est comme ça.
Hier y’a eu une tentative de suicide ici, les policiers ils regardent, normalement ils l’engueulent les policiers, ils le laissent pas faire sa tentative de suicide. Heureusement y’a quelqu’un, c’était un retenu, il l’a descendu il a pu le sauver. Lui même il est tombé parterre, il s’est cassé le pied, ils l’ont amené à l’hôpital, il est revenu ici avec le plâtre il est là.
Pour résister aux expulsions, faut perdre le demi de ton corps, faut se couper, faut faire ça avec une lame. Tout simplement, vraiment, j’ai pas imaginé que je trouve ça dans ce pays. J’ai pas imaginé ça du tout. J’ai été en Italie, j’ai été un peu partout, j’ai pas vu ça. Ici c’est bizarre. On est pas en temps de guerre, mais ici c’est la guerre, c’est des trucs qui se passent à l’intérieur dans des coins perdus, fermés. C’est pas l’Irak, en Irak c’est la guerre, c’est normal, y’a des blessés, y’a des morts mais ici c’est pas la guerre, mais c’est en silence. J’ai été en centre de rétention en Italie, on était vraiment super. Au contraire, quand on sort, les flics italiens ils sont généreux. On dirait que je suis chez moi, je suis pas en centre. Si je sors je dois quitter la France une fois pour toutes. Pour la première fois j’ai vu des cas que j’ai jamais vu dans ma vie, pourtant je voyage beaucoup, j’ai beaucoup aventuré, ici c’est une autre façon, c’est avec un autre système. On est là, pays des droits de l’homme et tout, voilà la réalité. C’est insupportable, insupportable. »

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