Comment un dealer oblige des enquêteurs à dévoiler leurs sources

Le revendeur embarrasse les magistrats dijonnais au point de pouvoir faire exploser la machine à réprimer les trafiquants.

C’est l’histoire d’un type qui a déjà eu plusieurs fois dans sa vie maille à partir avec les services de police, toujours pour le même motif : commerce illicite de cannabis. Il s’appelle Mokhtar Matallah, il est né en 1976 à Dijon, mais demeure officiellement à Vénissieux, dans cette banlieue lyonnaise que la PJ considère comme l’une des plaques tournantes du shit en France. Début septembre, il est renvoyé devant le tribunal correctionnel pour une nouvelle affaire, mais tout ne se passe pas exactement comme l’avaient prévu magistrats et policiers de la Côte-d’Or.
Dès la première approche, son avocat parisien, Thomas Bidnic, bute sur un os. Le dossier qu’il consulte n’est pas complet. Malgré ses protestations, la magistrate qui examine la prolongation de la détention de Matallah couvre ses confrères. «Votre avocat a raison, mais vous verrez ça avec la chambre de l’instruction, qui va m’étriller», fait-elle en regardant ses chaussures.
L’avocat découvre rapidement que l’accusation ne tient qu’à deux fils, deux accusateurs anonymes dont on ne sait à peu près rien. Rien d’exceptionnel à première vue, dans la mesure où la police des stups ne carbure qu’aux indicateurs, sauf que le client affirme qu’il est innocent sur ce coup-là… Et ne voit absolument pas d’où sortent ces dénonciateurs sans nom.
Fervent partisan d’une stricte application du droit, Me Bidnic entre en rébellion et demande les fadettes de la cabine téléphonique qui aurait permis au premier informateur de se manifester. «Trop tard, lui dit-on, on ne les garde qu’un an.» L’avocat demande alors que soit identifiée l’autre «source». Son interlocuteur tergiverse un moment en lui expliquant qu’il n’est pas certain que les policiers connaissent vraiment son identité. Me Bidnic insiste tellement qu’une magistrate, trop sûre d’elle ou inconsciente, finit par exiger par écrit la levée de l’anonymat de «l’autre source selon laquelle Mokhtar Matallah serait de nouveau impliqué dans des importations de produits stupéfiants». Elle veut aussi connaître «les conditions exactes dans lesquelles les enquêteurs en ont eu connaissance».

«Aider à la manifestation de la vérité»

Interrogé, le capitaine de police en charge de l’enquête oppose à la magistrate une fin de non-recevoir. «Il n’est bien sûr pas envisageable de divulguer l’identité de l’informateur, par ailleurs enregistré au bureau central des sources», déclare-t-il, entraînant derechef les véhémentes protestations de l’avocat. «Aucun texte n’autorise un policier à braver l’autorité du juge, s’exclame-t-il. Un policier, ce n’est tout de même pas le bon Dieu ! » A ses yeux, la lutte contre la drogue ne peut conduire la police à se soustraire ainsi à tout contrôle, au risque de créer un espace où tout serait permis.

Dans le petit milieu des magistrats dijonnais, on se rebiffe en dénonçant cette «défense de rupture» pratiquée par l’avocat. Me Bidnic leur renvoie la balle en assurant qu’ils sont eux-mêmes en rupture avec la loi. Puisque le policier ne veut pas «aider à la manifestation de la vérité», il réclame son audition comme témoin… en sa présence.

En attendant un rendez-vous judiciaire qui s’annonce houleux, puisque l’avocat réclame rien de moins que l’annulation de la procédure, l’accusation tente de rassembler ses maigres billes, à commencer par les empreintes du suspect retrouvées à bord d’une voiture dont on suppose qu’elle a participé à la remontée d’une cargaison de shit de l’Espagne vers la France. Ou le fait que plusieurs de ses amis aient loué des voitures qui ont parcouru des milliers de kilomètres. Mais la justice s’est mise dans une telle impasse en exigeant la levée de l’identité de la «source» qu’elle aura du mal à transformer cette prise de guerre en véritable victoire. Même si le suspect a un casier qui plaide contre lui.

Source : Marianne, septembre 2012.

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