Lettre de Xavier Valancker, prison d’Annoeullin à l’Envolée, 5.10.12 (G.E.P.)

Abou Ghraïb, le 5 octobre 2012,

Hello l’équipe,

Je pense ne pas vous avoir contacté depuis novembre 2008. Mea culpa mais le fait de ne plus vous lire et de ne plus vous entendre oblitère d’autant le contact.

Le « Groupe Enquête Prison », avec lequel nous sommes en relation constante, nous a fait savoir que vous consentiez à relayer le communiqué inhérent à notre situation. On s’adjoint donc à la démarche afin de la cautionner et de l’étayer.

Ce que nous vivons actuellement n’est ni plus ni moins que le bis repetita de Sequedin 2007, à savoir des écarts ignobles confinant aux pires résultats. Vous nous aviez soutenus à l’époque et je présume qu’il en sera de même cette fois. Notre but est de divulguer, non de nous inscrire dans un exposé victimaire, assumant tant que possible le régime infligé.

Composé de deux quartiers de maison d’arrêt (environ 500 personnes), d’un quartier centre de détention (qui n’en a que le nom, 250 personnes), et d’un quartier « maison centrale » (la vitrine de l’établissement, 20 personnes), l’endroit présente autant de disparités que de règlements à géométrie variable. Vous saisirez dès lors que les cerveaux reptiliens de la matonnerie, sujette à un turn-over bimestriel sur les différentes structures, ont le plus grand mal à adapter leur attitude au lieu de travail. De fait, les transgressions déontologiques sont monnaie courante et la litanie des détenus tabassés n’est que le témoignage palpable du malaise persistant caractérisant ce pseudo-CD.

Nombreux sont ceux qui ont écopé de trente jours de Q.D., de dix-huit mois (voire plus) de prison supplémentaire et d’un transfert à la clé après les violences endurées. Ils ont transformé la relation gardien-gardé en un rapport dominant-dominé, certaines équipes syndicalisées tirant notre sort à la courte paille au gré de leur prise de service. Brimades, humiliations, et exactions sont la marque de fabrique des lieux.

Il n’est peut-être pas inutile de préciser que la direction actuelle est composée, en majeure partie, de celle officiant à Séquedin en 2007. Arrivé au mercato pénitentiaire et jouant dorénavant en première division répressive, ceci explique clairement cela. Il y a bien eu quelques mouvements de réaction, aussitôt réprimés et annihilés par des transferts matinaux dans un silence dont l’administration gardienne a le secret. La direction interrégionale et le Ministère sont parfaitement alertés mais rien ne change en l’état. Les longues peines ne veulent pas stagner dans cette fosse sceptique. Par conséquent, l’hémorragie des transferts est proportionnelle à leur comportement outrancier. Quoi de plus logique? Je suis moi-même en attente de réaffectation, toutefois conscient qu’ils feront tout pour endiguer cette transhumance collective. J’ai été condamné à vingt-trois ans de réclusion et je n’ai pas su que la torture psychique était corrélée au verdict.

Quant au parquet lillois, il fait la sourde oreille, classant les plaintes sans suite, préférant se pavaner dans les quotidiens inféodés, cédant par de là-même aux flatteries obséquieuses et s’auto-congratulant des résultats judiciaires de l’année écoulée. Cela en devient pathétique et ferait presque sourire sans les nombreuses sorties sèches diluées par une ou deux permissions de sortir faisant office de lot de consolation. C’est ainsi qu’ils confrontent leurs statistiques, plan de carrière oblige…

S’agissant du partenaire privé (Thémis pour ne pas le citer), il est omniprésent et quasiment omnipotent. Viendra-t-il à sponsoriser le prétoire et le mitard par divers calicots aux slogans ravageurs (avec Thémis, la sanction propice…)? Il est troublant de voir ces esclavagistes participer aux commissions PEP (projet d’exécution de peine) dans un déballage général (motif de sentence, quantum, paramètres familiaux, etc.) durant lesquelles le moindre pékin viole votre existence sans autre forme de considération. Cela témoigne autant de la privation du carcéral que d’une justice industrialisée. La masse pénale est devenue une ressource naturelle illimitée pour l’industrie de la répression tandis que l’univers carcéral n’est qu’un marché commercial comme les autres.

Ces prison de la « 3ème génération », plus déshumanisantes que les autres, ne sont que des usines du crime, des fabriques de la récidive, et ceux qui en ont la charge, au même titre que l’application des peines, sont les orfèvres de la désocialisation et de l’aggravation pénale. Accomplir ou achever une sentence dans de telles circonstances revient à régurgiter à l’extérieur ce qui a été préalablement infligé intra muros.

Présentement, certain(e)s possèdent une définition trop zélée, trop restrictive, de l’enfermement pour envisager l’amorce d’un quelconque dialogue constructif nécessaire à l’évolution d’un nouveau centre de détention. Dès lors, se dégager de l’emprise délétère des lieux, de par l’insécurité régnante, devient un impératif de survie. Voici plus d’un an que je croupis dans cette ratière et j’ai eu à y voir et à y subir ce que je n’ai jamais constaté ni enduit par ailleurs pendant plus d’une décennie recluse. Depuis son ouverture, cette structure est demeurée une page blanche dont l’introduction fait encore défaut. Ces grands utopistes technocrates pensent pouvoir gérer de lourds profits sur la base d’une jachère intellectuelle et d’une friche physique tant les activités de toute nature sont portion congrue. Je rétorquerai que je ne suis pas disposé à tout accepter du seul fait d’être incarcéré. Ces pervers ruinent tous les réflexes de sociabilité recouvrés par un long travail personnel opéré sur soi-même au fil du temps. Ils ne font que ravager les espoirs et instiller un sentiment haineux, salvateur car moteur de survie.

J’espère que nos lettres seront dignes d’antenne et d’impression. Notre présent dessein est aussi d’informer la population pénale pour éviter ce bourbier dont il est très difficile de s’extraire sans un rapport de force et un prolongement afflictif. J’oserai ajouter que nous sommes les bâtards de l’endroit, comparés aux « people » du quartier maison centrale, à qui toute faveur (par crainte d’une alerte médiatique?) est consentie. On passe là du Carlton au Formule 1. N’y voyez aucune amertune, tout au plus un constat objectif car après tout, une cage dorée n’est demeure pas moins une cage…

Merci de l’attention portée. Prenez soin de vous.

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