Lettre de Xavier Valencker, du mitard de la prison d’Annoeullin, 4.11.12 (G.E.P.)

J’attaque mon 25e jour de mitard et je tiens bon. […]

Le 19 septembre, vers 9 heures, au départ des promenades, une première altercation verbale a lieu au 1er étage droit du bâtiment C, ce pseudo centre de détention, avec une équipe spécifique, opérant principalement le week-end, s’attachant au principe du règlement à géométrie variable, spécialisée dans la provocation, amalgamant l’endroit à une maison d’arrêt. Bref, on en vient aux noms d’oiseau et cela se termine en un face à face tendu entre une dizaine de détenus et un nombre égal de nervis. Il faudra l’intervention du 1er surveillant de permanence, l’humaniste de service, pour que la situation ne s’édulcore. Je serai, dans la foulée, entendu par la direction, faisant valoir ce que je pense de ces secouées administratives, toujours à même de générer de l’incident. Forcément, n’étant guère en odeur de sainteté, je trinque au premier degré, écopant d’un rapport disciplinaire pour injure et incitation à un mouvement collectif, c’est là que tout devient intéressant.

Convoqué devant la commission de discipline le 12 octobre à 14h30, j’arrive à 14h, m’attendant à rencontrer X., qui s’est décommandé de ses rendez-vous afin de m’assister. On m’introduit derechef dans une salle d’audience, attenante au prétoire, où il se trouve, consultant le « dossier ». Il se lève face à moi pour me saluer et s’allonge aussitôt au sol, m’invitant à le rejoindre dans un « lie-down » pacifiste sous le regard hébété du 1er surveillant de service, lequel referme aussitôt la porte.

La machine se met en marche. Situation de crise mais aucune réaction réelle dans un premier temps si ce n’est d’obstruer la fenêtre principale avec une couverture et d’investir dans un second temps la pièce (le 1er surveillant et un agent) afin d’en déménager le mobilier (chaises, table-bureau, ordinateur) et les effets de X., sans en requérir l’avis.

Intervient un long moment avant que ne se présente le directeur-adjoint, censé présider le prétoire. X. lui dit qu’il souhait parler à son bâtonnier. Le directeur se retire et le temps s’écoule. A présumer qu’il consulte sa hiérarchie. Il réapparaît avec un poste fixe, tendant le combiné à l’avocat allongé pour mieux tenir le dit-poste (le chancelier ?), le fil étant assez long, toutefois insuffisamment pour accorder l’intimité nécessaire aux deux professionnels de la défense. Je crois saisir que le Bâtonnier ne cautionne pas l’action entamée, exigeant qu’il y soit porté terme, ce que réfute X., invoquant être solidaire de son client. Ces positions antagoniques coupent court à l’échange, le recteur s’en retournant avec l’appareil. Cela fait presque une heure que la situation est engagée mais rien ne se décante, nous sommes toujours allongés, main dans la main (ne vous y méprenez pas!), ravivant notre passé judiciaire commun.

Le temps est long et nous ne savons à quelle sauce ils vont nous consommer sachant qu’ils viennent nous filmer discrètement l’aide d’un portable par un interstice de la fenêtre recouverte. Ils nous ont également enregistrés vocalement par je ne sais quel biais (je ne le saurai qu’après les événements). Ce n’est qu’après deux heures trente passées à même le sol qu’ils interviendront. Nous pensions être chargés et bien non ! La porte s’ouvre et les pandores en nombre (le Parquet est donc alerté) se pointent, accompagnés du gratin des lieux. Les premiers s’adressent à X., lui demandant très posément que cela cesse avant de devoir, en ultime recours, faire usage de la force. Je le sens rétif, peu enclin à obtempérer. Je ne souhaite par qu’il surenchérisse, risquant plus avant de mettre sa carrière et a fortiori son cabinet en péril. Je le dissuade donc de prolonger cette situation sachant que l’impact a été porté et qu’il y aura inéluctablement des conséquences individuelles suite à cela. Un dernier regard pour se saluer et je m’oriente sereinement vers le mitard, à deux pas de l’endroit, tandis qu’il est emmené en garde-à-vue. J’écope de huit jours de mitard (+ 20 de sursis) pour le rapport initial, jugé en notre absence, alors qu’il sera relâché quelques heures plus tard, devant être prochainement convoqué devant l’instance disciplinaire du Barreau afin de s’expliquer sur les faits.

Personnellement, je fais alors l’objet d’un nouveau rapport d’incident, amené à comparaître le 19 octobre devant la commission disciplinaire pour m’être allongé près de mon conseil. Fidèle à nos principes, désireux de ne pas désavouer la portée de son engagement, un geste symbolique en soi, et de porter ombrage à sa réputation, je récuse la légitimité du prétoire et ne m’y rends pas, laissant le soin à une avocate, commise d’office, en toute apparence administrativement inféodée et donc incapable de saisir notre point de vue, d’orchestrer une défense sirupeuse, étant personnellement conscient que les jeux sont déjà faits. M’étant préalablement entretenu avec elle, j’avais appréhendé les limites de son engagement à l’aune de sa réaction quasi-révulsée lorsque je lui eu signifié que je venais de perdre un conseil pour gagner un ami ! A un tel seuil d’implication, le corporatisme possède ses limites et nombreux sont ceux préférant préserver leur fonds de commerce que soutenir le bien-fondé d’une résistance passive, dictée par la désapprobation de conditions iniques d’enfermement. Fort heureusement, certains de ses confrères ont eu un réflexe antagonique, amusés par les faits, estimant qu’il fallait oser entreprendre un tel acte, symptomatique du malaise persistant caractérisant l’endroit.

J ‘ai été sanctionné de 7 jours supplémentaires de cachot mais qu’est-ce au regard de ce qui fut entrepris ? Il n’y rien à prétendre en ces lieux si ce n’est des ennuis supplémentaires. Ici, c’est le royaume du sophisme, à savoir que tout est axé sur un discours spécieux, de belles promesses, chacun manipulant la langue de bois avec brio. J’ai forcément écrit à X. afin de lui apporter mon soutien et de témoigner en son sens, espérant que cela puisse être retenu par l’instance qui examinera les faits.

Refusant de quitter le mitard à l’issue de la sanction pour regagner ce lieu délétère qu’est le bâtiment C, j’ai été à nouveau sanctionné de douze jours de quartier disciplinaire, ayant de nouveau dénié de me rendre au prétoire, une instance arbitraire digne des tribunaux de l’Inquisition où tout avise hérétique relève du bûcher. Dois-jet te préciser qu’ils mont reproché notre contact lors de la rédaction du premier compte-rendu ? Estimant que je participais par écrit à l’élaboration d’un site anti-carcéral ?!? C’est te dire si la liberté de pensée a place en l’endroit. Entretenir son libre-arbitre est hors de prix. J’ai, plus que jamais, l’impression d’être pris en otage, de leur appartenir et d’avoir à endurer ce qu’ils souhaitent me faire subir. Certains, dont moi-même, ont renoncé à toute démarche, complètement désabusés, patientant de quitter l’endroit au plus vite.

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