Témoignages de Xavier Valancker sur la prison d’Annoeullin, été 2012 (G.E.P.) Partie 1

Concernant la sphère du travail pénal, elle relève de l’arbitraire de l’administration pénitentiaire. Pour y accéder, il faut faire partie de la catégorie des bons détenus. Ce qui t’explique pourquoi j’en suis écarté. Il faut aussi accepter une certaine dépersonnalisation, j’entends par là de porter une blouse ou un uniforme de couleur frisant bien souvent le grotesque. Tant et si bien que la prison est irisée dès le matin de toutes les nuances du prisme de l’exploitation. Quant à l’ambiance régnante, reprenons le cas de Malin. Pour impératif alimentaire, il intègre un atelier de confection de tapis d’auto. Après quelques mois, il constate que certaines quantités de travail disparaissent des comptes et ne lui sont pas rétribuées. Il s’adresse au responsable civil qui met aussitôt sa bonne foi en doute face à l’administration pénitentiaire. Cela dégénère progressivement au point que l’intéressé bousculera physiquement Malin. Dès lors, l’administration pénitentiaire décide de déplacer mon camarade vers un autre atelier (confection à la pièce), bien moins rémunérateur, conforme à l’exploitation salariale intra muros, afin de le protéger (on croit rêver !). Malin n’en reste pas là et porte plainte au Parquet. Il devient gênant. Quelques temps après, cet intervenant (Ahmed pour ne pas le citer)sera interpellé à l’entrée de l’établissement lors de son arrivée, placé en garde à vue par la gendarmerie, suspecté de faire entrer shit, alcool et portables afin de gagner les faveurs de certains membres de son atelier, les grugeant par là même sur leur production. Conjointement, une surveillante, Noémie pour les amis, est interpellée dans des conditions similaires pour des motifs quasi-identiques et quelques faveurs affectives accordées aux reclus. Les deux ont depuis disparu des lieux. Il va de soi que cela contraste avec le prétendu caractère sécuritaire de ce cloaque. Il y a une information ouverte au parquet. J’ai omis de te signaler qu’ils amènent actuellement dans ces lieux des longues peines libérables entre 2020 et 2030. Comment vont-ils les gérer ? En les maintenant enfermés dans des étages où il n’existe aucune activité ou en leur proposant du travail qu’ils n’ont pas, vu la conjoncture ? On est dans une gestion du stock humain à flux tendu, réalisée par de piètres administrateurs dont l’impéritie est le trait majeur.
Le divorce est consommé. Je leur ai dit que je ne solliciterai rien jusqu’au départ (condi ou perme, encore moins l’accès au régime ouvert), ne faisant pas l’aumône administrative, ni judiciaire. J’ai hâte de partir, tu t’en doutes. Depuis son ouverture, cette prison est demeurée une page blanche, ils feront en sorte qu’elle le demeure malgré leur prétendue bonne volonté d’ouvrir le dialogue avec les détenus par l’entreprise d’un groupe de rencontre ainsi que cela se fait dans certaines centrales. Présentement, vu leur optique répressive, cela se résumera soit à de la poudre aux yeux, soit à de la masturbation intellectuelle, peut-être aux deux. Il va de soi que je n’y participerai pas, ayant fait le deuil intellectuel de ce lieu, donnant tout au plus quelques pistes de réflexion à mes camarades.
Concernant l’aspect économico-esclavagiste des lieux, je te ferai part de ma perception lors d’un prochain courrier. Parmi les exploiteurs, tu as de grands noms tels Louis Vuitton, Chanel (confection de sacs d’emballage avec leur logo) mais aussi des entreprises locales telles Pocheco (confection d’enveloppes cartonnées), il y a aussi les tapis de sol de voiture (Renault si je ne m’abuse). J’essaierai d’avoir plus d’informations, mais sache que cela se résume à une paye de misère.
Lorsque j’étais à Bapaume, je travaillais pour MKT-conseil, une société de télé-conseil dont le siège est à Versailles, ayant déjà implanté une première plateforme à la maison d’arrêt des femmes de Versailles. Jean-Marie Delarue l’avait déjà visitée. Question salaire, c’est éloquent. Tu bosses pour 300 euros mensuels maximum ! Si tu veux, je t’envoie les fiches de paie.
Fin juin, un prisonnier de 24 ans, libérable en juillet 2014, demande à être transféré, ne supportant plus l’endroit. Ignoré dans sa requête, la situation dégénère progressivement jusqu’au point de non retour. S’en prenant physiquement à un agent féminin, il est conduit manu militari au quartier disciplinaire et écopera de trente jours de cachot pour violence physique sur personnel, sans omettre une prévisible comparution devant l’instance judiciaire qui lui vaudra un allongement de peine. Il en était déjà à trente-huit jours de cachot, refusant de réintégrer la détention, alors qu’il n’était toujours pas transféré. Plus de nouvelles depuis. Cela atteste une nouvelle fois que l’on ne quitte pas l’endroit sans un ajout pénal.
Concernant cet autre détenu, incarcéré depuis presque neuf ans et libérable en 2015, les provocations ont démarré préalablement à son passage en commission d’application des peines dans le cadre d’une requête initiale de permission de sortir, en devenir depuis novembre dernier. Le dimanche 22 juillet, vers 17h30, portant une djellaba du fait du ramadan, il se voit apostrophé par le premier surveillant Grégory Skzempek qui lui fait une remontrance en ce sens, lui signifiant qu’il regagnera dès le lendemain l’étage inférieur des enfermés comme sanction immédiate ( ?!?) alors qu’il se trouve à celui des semi-ouverts (2ème étage, ouvert l’après-midi). Il est à préciser qu’il n’est pas le seul à porter cette tenue, vu la fête précitée et qu’il n’y avait présentement aucune ostentation de sa part. Dès le lendemain, il se voit dans l’obligation de bloquer sa porte de cellule de l’intérieur (avec des morceaux de spatule), ce jusqu’à intervention de la direction et d’un serrurier, afin de placer ses arguments quant aux provocations de ce week-end opérées par certains gradés zélés ayant soif d’autorité et compensant leur mal-être social dans l’assouvissement de pulsions sous couvert de leur exercice professionnel. La directrice du centre de détention lui rendra raison et annulera la mesure inique d’une rétrogradation arbitrairement décidée.
Le dimanche 29 juillet, ce même détenu achève la confection d’un plat dans l’office du second étage destiné à cet effet. Il est 17 heures 45, heure d’interruption des activités et alors qu’il a obtenu un délai du surveillant d’étage, de quelques minutes pour achever ce qu’il a entrepris, intervient de manière abrupte le premier surveillant Frédéric Blondel qui, s’adressant au détenu, lui signifie qu’il y a refus de réintégration ( ?!?), le provoque verbalement, porte la main sur son épaule, déclenche l’alarme silencieuse et, assisté des renforts, le place directement dans une cellule du premier étage (régime fermé) sans qu’il n’ait pu faire son paquetage. Il a pris sur lui-même afin de ne pas céder aux provocations, conscient que cela lui serait préjudiciable puisqu’il devait se présenter le lendemain même devant la commission d’application des peines, dans le cadre du débat contradictoire, afin de défendre sa demande de permission de sortir. L’ « incident » sera toutefois rapporté et lui vaudra un rejet de la requête. Il a présentement vécu une situation quasi-similaire à celle qu’à éprouvé Malin Mendy, à savoir que l’arbitraire de certains membres du personnel fait d’un règlement à géométrie variable un instrument de provocations permettant d’assouvir leur ressentiment à l’égard de certains détenus. On est face à un procès d’action-réaction dont le dessein patent est d’altérer, voire d’annihiler tout effort d’amendement et d’hypothéquer les réflexes de sociabilité recouvrés grâce au régime assoupli rencontré dans d’autres établissements, dignes d’un centre de détention, ce qui n’est présentement pas le cas.
Le 18 juin, vers 17h30, un autre prisonnier de 27 ans, condamné à une courte peine, libérable dans quatorze mois, revient d’une permission exceptionnelle accordée afin d’assister aux obsèques de l’un de ses parents. Dès qu’il pénètre dans l’établissement, on lui fait observer qu’il sent l’alcool et qu’il est éméché. Orienté vers le local de fouille, on lui demande de se dévêtir intégralement, lui confisquant par là même un paquet de cigarettes qui disparaîtra définitivement. Patientant dans le plus simple appareil, on l’enjoint de s’accroupir, dans un dessein avilissant, ce qu’il refusera de faire. Voulant par la même le soumettre à l’éthylotest, il décline la démarche. Le ton s’élève, il est projeté au sol et menotté dans le dos. Intégralement nu, il est ainsi traîné vers le quartier disciplinaire, les parties génitales en contact avec le sol sur la longueur du trajet. Jeté au cachot, il demeurera ainsi la nuit entière, sans vêtement, sans matériel de couchage, avec un unique matelas pour dormir ou tenter d’y parvenir. C’est ainsi qu’il fera son deuil…

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