Pau : les gardiens de prison prenaient leurs aises dans les miradors

Un rapport confidentiel dénonce des habitudes « maison » prises par un groupe de gardiens syndiqués à la prison de Pau. Ils sont convoqués devant le conseil de discipline

Neuf gardiens de la maison d'arrêt de Pau sont convoqués mercredi et jeudi devant le conseil de discipline, à Paris.

Neuf gardiens de la maison d’arrêt de Pau sont convoqués mercredi et jeudi devant le conseil de discipline, à Paris. (photo « Sud Ouest »)

 

Cinquante gardiens pour 266 places : la prison de Pau, pourtant en sous-population, nage en pleine zizanie. La mainmise syndicale opérée par une dizaine d’agents sur l’établissement tourne au cauchemar. « C’est le bordel depuis près d’une dizaine d’années », assure à « Sud Ouest » l’un des 50 surveillants palois, pour qui « une direction parallèle tenue par un petit groupe de personnes s’est imposée au fil du temps sans que l’administration bouge ».

Révélé par « Sud Ouest », le dispositif technique permettant de contourner l’obligation de pointage de nuit, mis en place par certains gardiens, restera sans doute dans les annales des instances disciplinaires du ministère de la Justice. Installé sur l’interrupteur de pointage du mirador, ce minuteur se déclenchait automatiquement toutes les 30 minutes, permettant vraisemblablement à certains gardiens qui avaient même monté un matelas de passer des nuits de garde très tranquilles. Il constitue le point d’orgue d’une invraisemblable série de dérives.

Menaces et quarantaine

« Une telle pétaudière, où tout le monde se déteste, se tire dans les pattes et, au final, où chacun fait ce qu’il veut, je n’avais jamais vu ça », confie un magistrat palois. Au final, neuf surveillants pénitentiaires, suspectés de fautes professionnelles graves, sont convoqués en conseil de discipline national, mercredi et jeudi prochains, à Paris.

Parmi eux figurent les représentants des deux principaux syndicats de l’établissement, l’Ufap (majoritaire) et Force ouvrière (en deuxième position). « On s’attend à se faire pilonner par l’administration sans preuves », lâche toutefois l’un des convoqués.

Ces deux sections syndicales sont en tout cas largement étrillées dans le rapport confidentiel pondu par l’Inspection générale des services pénitentiaires (IGSP), comportant plus d’une cinquantaine d’auditions, que « Sud Ouest » a pu consulter intégralement. Tracts personnalisés où les noms d’oiseaux fleurissent, dénonciations, menaces, mises en quarantaine de certains surveillants considérés comme des « balances » constituent la toile de fond du constat vitriolé dressé par les inspecteurs.

« Un chef de bande »

Une ambiance qui n’aurait pas été sans conséquences sur la sécurité de l’établissement. Ainsi, entre deux services, les matons se dispensaient-ils régulièrement de tout appel et même d’un simple passage de consigne entre personnel. Cet usage s’explique, selon un surveillant auditionné, « par le fait des mises en quarantaine. Les agents refusent de se serrer la main, ils ne se parlent pas. »

« Pour moi, la difficulté, c’est d’être en permanence en marge des règles élémentaires de sécurité sans que personne s’en émeuve », poursuit un autre surveillant devant les IGSP. Et les manquements soupçonnés par les inspecteurs relèvent d’une liste à la Prévert : abandons de poste pour aller boire un café, rondes de nuit aléatoires, grilles de sécurité ouvertes en permanence, visionnage de la télévision au sein des postes de travail, dégradation des talkies-walkies, entrée de personnes non autorisées pendant un service de nuit…

La mission s’est particulièrement attendrie sur des consommations de nourriture destinée aux détenus, ainsi que sur des refus d’effectuer certaines vérifications de routine. Ainsi, « les surveillants ne veulent pas faire le sondage des barreaux, disant que si un détenu scie un barreau, il arrivera dans la cour de promenade, donc ce n’est pas grave », balance même une ancienne stagiaire de la prison. Quant aux rondes de nuit, un surveillant avait pris l’habitude de les effectuer comme à la maison, « en short et claquettes » !

Sans stigmatiser l’ensemble des agents, le rapport pointe « un sentiment de toute-puissance et d’impunité de certains personnels » qui ont mis en place « des façons d’opérer maison pour le seul confort des bénéficiaires, dont certains ont pu s’abriter derrière un engagement syndical de simple façade ». À la retraite depuis peu, un représentant Ufap, « pilier de l’établissement », est accusé par l’IGSP de mener une stratégie « visant à pérenniser les dysfonctionnements ». Il sera décrit comme « un véritable chef de bande » par ses collègues lors de leurs auditions.

Une enquête pénale ouverte

Comment en est-on arrivé là ? Rappelons qu’en 2004, la maison d’arrêt de Pau avait déjà fait parler d’elle avec l’arrestation de sa directrice de l’époque, condamnée en 2007 pour avoir détourné de l’argent des détenus. Les mauvaises habitudes auraient pris racine lors de cet épisode.

« Les directeurs suivants n’ont pas mis le holà. La plupart voient Pau comme une rampe de lancement pour leur carrière : ils y arrivent officiers de l’administration pénitentiaire pour y gagner leurs galons de chef d’établissement, n’y passent pas plus de trois ans en général et ne font pas de vagues pendant leur séjour », explique un surveillant.

Pour certains, l’actuelle direction, en place depuis septembre 2008, aurait tenté de remettre de l’ordre. D’autres, au contraire, l’accusent de laxisme. « Pour sortir de cette situation affligeante, il faut une direction ferme, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui », pense Thierry Dumontheil, représentant régional de FO Pénitentiaire. Contacté, le représentant local de l’Ufap ne souhaite pas s’exprimer avant la tenue du conseil de discipline.

Aujourd’hui, « l’ambiance s’est calmée », confie un surveillant qui craint toutefois que le feu ne reprenne. « Le rapport de l’IGSP a été envoyé à toutes les organisations syndicales. Du coup, tout le monde sait qui a dit quoi sur qui. Pour apaiser les choses, on a connu mieux », soupire un autre.

De son côté, la Direction interrégionale de l’administration pénitentiaire assure que « des actions ont été engagées en lien avec la direction de la maison d’arrêt, depuis plusieurs mois, afin de corriger les pratiques nuisant à la sécurité des personnes et de supprimer les atteintes à la déontologie relevées dans le rapport de l’Inspection des services. » En attendant, les gendarmes, saisis par le parquet de Pau, poursuivent les investigations de l’IGSP, mais cette fois dans le cadre d’une enquête préliminaire.

 

source : http://www.sudouest.fr/2012/11/25/gardiens-en-shorts-et-matelas-dans-le-mirador-889293-4344.php
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