Des détenus, leurs familles, les contrôleurs de prisons mettent en cause une équipe de surveillants de la centrale pénitentiaire. « Robin des lois »* demande une enquête.
L’administration se tait…
Que s’est-il passé le mardi 13 novembre à la centrale de Saint-Martin-de-Ré ? Officiellement, rien. L’administration pénitentiaire nie tout incident et refuse de répondre aux questions. Officieusement, pourtant, la prison aurait été le théâtre ce jour-là d’un « blocage » comme il s’en produit de temps en temps. Quelque 80 détenus ont « fait du tapage » dans la cour, à l’heure de la promenade, raconte la mère de l’un d’eux. « Ils voulaient voir le directeur parce qu’ils en ont ras-le-bol de leurs conditions de détention. Il a refusé. Il leur a fait dire que s’ils continuaient, il ferait intervenir les équipes de sécurité. Ensuite, en représailles, les surveillants les ont empêchés de regagner leurs cellules. Ils les ont obligés à rester dans la cour alors qu’il faisait très froid. »
Dans la soirée, un détenu, considéré comme le meneur, a été expédié au centre de détention de Poitiers-Vivonne. « Sans même pouvoir prendre ses affaires », dénonce un proche. Les détenus ont à nouveau manifesté le lendemain par solidarité avec lui.
Ce n’est pas le premier mouvement de grogne à Saint-Martin, ni le dernier. En cause, le quotidien carcéral, la vétusté des locaux, le manque de travail, l’alimentation trop chiche. À ce cahier de doléances commun aux 191 établissements de l’administration pénitentiaire, s’ajoute une spécialité bien rétaise : la fameuse « équipe 4 », des surveillants dont un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, pointait déjà en 2009, avec un grand sens de l’euphémisme « les pratiques professionnelles plus rigoureuses que les autres ».
Plus rigoureuses ou plus vigoureuses ? L’équipe 4 est l’une des six équipes qui interviennent à la Caserne, l’un des deux quartiers de la centrale, réputé le plus difficile. Les détenus reprochent à cette quinzaine de surveillants (sur 230 au total) des « abus de pouvoir répétés ». Des brutalités, parfois, mais surtout des brimades, des vexations. Les douches sont souvent froides quand ils sont de service, rapporte un témoignage, l’accès aux cabines téléphoniques est plus compliqué. Un détenu condamné pour une affaire de mœurs s’est plaint aux contrôleurs « d’être régulièrement l’objet d’insultes et de menaces. » D’autres ont vu le motif de leur condamnation dévoilé à leurs codétenus, avec les conséquences que l’on imagine.
La femme d’un prisonnier s’irrite : « C’est du harcèlement. Ils cherchent systématiquement la petite bête, ils font monter la pression, ils veulent pousser les détenus à la faute. Elle raconte qu’elle n’apporte jamais de colis à son mari si l’équipe 4 est de service parce qu’elle sait « qu’ils refuseront tout. » Une autre renchérit : « Dès que je les vois, je suis morte de trouille, rien qu’à leur façon de vous détailler de la tête aux pieds. Ils m’ont refusé un jour un parloir sous prétexte que je n’avais pas pris rendez-vous alors que c’était faux. Personne n’ose se plaindre de peur que cela retombe sur les détenus. »
« Dérapages individuels ». Les services de Jean-Marie Delarue sont revenus en 2011 à Saint-Martin pour une nouvelle visite. Le documentariste Stéphane Mercurio les accompagnait à travers leurs tournées d’inspection pour montrer le quotidien de la prison. Dans son film « À l’ombre de la République », sorti au printemps, on entend les détenus se plaindre à nouveau de l’équipe 4 et un contrôleur stigmatiser « une équipe de surveillants qui feraient une application extrêmement stricte du règlement avec un certain nombre de dérapages individuels ». On y entend aussi le directeur de l’époque, Jean Letanoux – devenu depuis contrôleur des prisons – se réjouir de voir une autorité indépendante s’emparer du problème. Ce qui a fait grincer pas mal de dents parmi son personnel et dans sa hiérarchie.
« J’ai interrogé l’un des surveillants de l’équipe 4, raconte Stéphane Mercurio. Il m’a expliqué qu’il ne faisait que son travail, consciencieusement, un point c’est tout. Mais il n’a pas voulu que je garde son témoignage au montage. »
Ces fonctionnaires zélés sont décrits par des familles comme « toujours ensemble, soudés l’un à l’autre ». Ce sont pour la plupart des professionnels expérimentés, présents à Saint-Martin depuis des années, et fortement syndiqués. « Un véritable bastion, résume un observateur extérieur. Les directeurs passent, eux restent. Même si l’équipe a été remaniée depuis la visite des contrôleurs, les méthodes demeurent. À croire que c’est une stratégie délibérée de l’administration. »
Le rapport du contrôleur général est depuis six mois sur le bureau de la garde des Sceaux, Christiane Taubira. Cette femme de détenu n’y croit plus : « C’est le deuxième en trois ans, il y a eu le film, des articles de presse, et rien ne bouge… Je sais que ce ne sont pas des enfants de chœur à Saint-Martin, bien sûr qu’il faut un règlement strict et des gardiens pour le faire respecter, mais ils pourraient le faire plus humainement, non ? »
*http://robindeslois.org/
source : sudouest.fr