Ce jour-là à l’audience, l’homme comparaissait pour le vol d’un stylo dans une société d’assurances. Certes, il s’y était introduit en brisant une fenêtre, et ces cinq dernières années, il avait déjà été condamné pour vol. Cas flagrant de récidive. Ce jour-là, donc, la présidente lui rappela qu’il risquait une peine plancher de trois ans ferme… Comme bien souvent (lire ci-contre), face au voleur de stylo, la peine plancher ne fut pas retenue. Les juges ont utilisé la marge de manœuvre que leur laissait la loi pour échapper aux peines automatiques.
Les magistrats racontent aussi ces affaires de prévenus risquant une peine minimale de deux ans pour s’être retrouvé deux fois de suite en possession d’un téléphone portable volé. Ou les dossiers concernant des personnes précarisées, premières victimes collatérales des peines planchers : «Un clochard avait volé un sandwich et une bouteille dans le supermarché… et sans alcool la bouteille ! rapporte Henri Ody, président de la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Caen et membre de l’Union syndicale des magistrats. Comme cela arrive souvent avec les personnes désocialisées, il ne s’est pas présenté à l’audience. Les juges ont donc estimé qu’ils ne pouvaient justifier une dérogation aux peines planchers. Il a pris un an.» Sa peine a été allégée en appel.
Facture. Et ce SDF qui récupérait les tickets de caisse à la sortie d’un grand magasin, volait un des biens répertoriés sur la facture et le retournait au magasin pour se le faire rembourser ? Peine plancher de deux ans (finalement écartée). «Le pire, ce sont les affaires de détention de stupéfiants… Etre pris avec 10 grammes de shit en récidive entraîne une peine plancher de quatre ans de prison, explique un juge d’application des peines. On voit des gamins arriver avec leur condamnation de quatre ans, et on ne sait vraiment pas quoi en faire…» A Paris, «on peut s’arranger pour trouver des motivations de dérogation», témoigne un juge de la capitale. Mais «dans les juridictions de l’Est, sur la route de la Hollande [et ses coffee shops, ndlr] les juges peuvent être très sévères», rapporte un ancien magistrat de la région.
Rétroviseur. Aux premières années de la loi, la pression est forte : la chancellerie de Rachida Dati demande aux parquets de faire remonter chaque mois leurs statistiques et convoque les mauvais élèves. Mais peu à peu, et de manière inégale d’une cour à l’autre, les dérogations se multiplient. Les magistrats n’appliquent pas les seuils minimaux lorsque l’infraction concerne un vol de faible valeur ou un rétroviseur cassé. Pour trouver de quoi motiver leur refus d’une peine plancher, ils s’attachent à la personnalité du prévenu : il bénéficie d’une promesse d’embauche sérieuse, s’occupe de ses enfants, perdrait son emploi en cas de prison.
«Beaucoup de collègues prononçaient des peines planchers mais entièrement assorties de sursis avec mise à l’épreuve», note Henri Ody. Les condamnés n’effectuaient donc pas leurs peines en prison sauf s’ils ne respectaient pas les obligations de la mise à l’épreuve. «Mais là encore, les désocialisés risquent davantage la prison que les autres, ayant plus de mal à honorer leur rendez-vous.» Les juges ont accumulé les stratégies d’évitement. Quite à rendre les condamnations illisibles. «La peine a perdu son sens», conclut Henri Ody.
Par SONYA FAURE en date du 6.02.2013
http://www.liberation.fr/societe/2013/02/06/un-an-de-prison-pour-un-sandwich-vole_879868
Un an de prison pour un sandwich volé
Les personnes « désocialisées » sont les premières victimes collatérales des peines planchers.
Ce jour-là à l’audience, l’homme comparaissait pour le vol d’un stylo dans une société d’assurances. Certes, il s’y était introduit en brisant une fenêtre, et ces cinq dernières années, il avait déjà été condamné pour vol. Cas flagrant de récidive. Ce jour-là, donc, la présidente lui rappela qu’il risquait une peine plancher de trois ans ferme… Comme bien souvent (lire ci-contre), face au voleur de stylo, la peine plancher ne fut pas retenue. Les juges ont utilisé la marge de manœuvre que leur laissait la loi pour échapper aux peines automatiques.
Les magistrats racontent aussi ces affaires de prévenus risquant une peine minimale de deux ans pour s’être retrouvé deux fois de suite en possession d’un téléphone portable volé. Ou les dossiers concernant des personnes précarisées, premières victimes collatérales des peines planchers : «Un clochard avait volé un sandwich et une bouteille dans le supermarché… et sans alcool la bouteille ! rapporte Henri Ody, président de la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Caen et membre de l’Union syndicale des magistrats. Comme cela arrive souvent avec les personnes désocialisées, il ne s’est pas présenté à l’audience. Les juges ont donc estimé qu’ils ne pouvaient justifier une dérogation aux peines planchers. Il a pris un an.» Sa peine a été allégée en appel.
Facture. Et ce SDF qui récupérait les tickets de caisse à la sortie d’un grand magasin, volait un des biens répertoriés sur la facture et le retournait au magasin pour se le faire rembourser ? Peine plancher de deux ans (finalement écartée). «Le pire, ce sont les affaires de détention de stupéfiants… Etre pris avec 10 grammes de shit en récidive entraîne une peine plancher de quatre ans de prison, explique un juge d’application des peines. On voit des gamins arriver avec leur condamnation de quatre ans, et on ne sait vraiment pas quoi en faire…» A Paris, «on peut s’arranger pour trouver des motivations de dérogation», témoigne un juge de la capitale. Mais «dans les juridictions de l’Est, sur la route de la Hollande [et ses coffee shops, ndlr] les juges peuvent être très sévères», rapporte un ancien magistrat de la région.
Rétroviseur. Aux premières années de la loi, la pression est forte : la chancellerie de Rachida Dati demande aux parquets de faire remonter chaque mois leurs statistiques et convoque les mauvais élèves. Mais peu à peu, et de manière inégale d’une cour à l’autre, les dérogations se multiplient. Les magistrats n’appliquent pas les seuils minimaux lorsque l’infraction concerne un vol de faible valeur ou un rétroviseur cassé. Pour trouver de quoi motiver leur refus d’une peine plancher, ils s’attachent à la personnalité du prévenu : il bénéficie d’une promesse d’embauche sérieuse, s’occupe de ses enfants, perdrait son emploi en cas de prison.
«Beaucoup de collègues prononçaient des peines planchers mais entièrement assorties de sursis avec mise à l’épreuve», note Henri Ody. Les condamnés n’effectuaient donc pas leurs peines en prison sauf s’ils ne respectaient pas les obligations de la mise à l’épreuve. «Mais là encore, les désocialisés risquent davantage la prison que les autres, ayant plus de mal à honorer leur rendez-vous.» Les juges ont accumulé les stratégies d’évitement. Quite à rendre les condamnations illisibles. «La peine a perdu son sens», conclut Henri Ody.
http://www.liberation.fr/societe/2013/02/06/un-an-de-prison-pour-un-sandwich-vole_879868