Témoignage du 25 mars 2012, d’une personne détenue en maison d’arrêt (G.E.P.)

Corrélée à des références personnelles et à une expérience en cours, ma perception de l’appareil judiciaire et de son fonctionnement ne peut être objective. Face à une judiciarisation intense de la société et au tout-répressif qui s’y rattache, il serait naïf de croire que la loi est faite pour tout le monde au nom de tout le monde. Il est évident qu’une catégorie dominante, pour ne pas dire une caste, préposée à l’ordre, en sanctionne une autre, accessible au désordre. Ce qui m’amène à penser que l’autorité judiciaire et son corollaire la prison se doivent d’investir, dans un dessein pérenne, certains « illégalismes » dans un mécanisme de punition-reproduction. De fait, le système justice-prison profile une délinquance maniable en tant que fonds de commerce nécessaire à la survie de l’ensemble. On considérera également que la récidive participe du constat d’échec d’un système qui en punissant ne parvient pas à réformer.

Le juge et le pouvoir de sanctionner

Il y a de plus en plus d’enfermements « hors-la-loi », de plus en plus d’enfermements arbitraires et parfois massifs relevant d’infra-pénalités, dans un exercice de traduction tronquée des textes selon un principe d’incarcération extra-pénale. Si certains magistrats, au regard d’une sensibilité personnelle, expriment parfois une difficulté à juger, beaucoup témoignent par contre d’une hâte à condamner. Au même titre que l’intime conviction se mue en conviction intime, la demi-preuve fait bien souvent un demi-coupable et rarement un demi-innocent, sans plus d’examen. Certains magistrats instructeurs ont souvent une utilisation « hors-la-loi » de la détention préventive, aussi arbitraire qu’indéterminée (j’ai patienté presque huit années avant de comparaître aux Assises). Dès lors, la prison s’inscrit dans un exercice détourné du droit uniquement, destiné à faire pression, voire à éliminer. Les parquets sont des entités judiciaires se recommandant essentiellement d’une micro-pénalité à l’instar d’un découpage suzerain. Sinon comment expliquer autant de disparités au sein des décisions rendues ? Cette « sensibilité » de fief confine parfois aux excès les plus insanes tant on rend pénalisables les infractions les plus tenues de la conduite. Certains, dans la démesure de leur tâche, s’attribuent une fonction punitive spécifique, sanctionnant des éléments en apparence indifférents à une majorité. Pour ceux-là, se sentant investis d’une mission sociale et partant en croisade dans une optique épurative, il faut que tout puisse servir à punir le moindre écart.

Pour juger, il faut avoir l’intelligence du rôle. Or le pathétisme grotesque de certains petits tribunaux dans leur forme théâtrale de grand appareil judiciaire ne doit pas nous mystifier, ils sont dangereux dans cette opposition binaire du permis et du défendre, venant à appliquer un nouveau fonctionnement punitif sans concession, j’en veux pour preuve l’instauration et le recours outrancier aux peines « plancher ». L’actuel exercice de la justice ne fait qu’entériner, voire accentuer la dissymétrie et par conséquent la stratification des classes.

Le juge et les instances annexes

Nous sommes passés d’une justice inquisitrice à une justice « examinatrice ». La dislocation interne du pouvoir judiciaire s’exprime par un furieux désir de jauger, d’apprécier et de différencier le normal de l’anormal. Depuis des années les instances annexes se sont multipliées autour du jugement principal. Si aucune ne possède réellement le droit de juger, il n’est pas moins observable qu’elles morcellent le pouvoir légal de punir. L’appel aux psychologues exprime une volonté revendiquée de guérir et de réadapter. Comte-tenu de cet appétit de médecine, le pouvoir judiciaire est forcément dénaturé. Il intègre dorénavant une notion normative à son exercice. Le psychologue (ou autre psychiatre) qui se présente aux Assises n’est pas un seul expert en responsabilité mais également un conseiller en punition. Il ne formule pas un rapport, il suggère une « prescription » sur le traitement « médico-judiciaire » à appliquer. Quant à affirmer que les cours et autres tribunaux formulent des verdicts thérapeutiques et décident d’enfermements réadaptatifs, il y a là une part de vérité incontestable.

Dans le prolongement du verdict, cela se ressent également dans le microcosme de l’exclusion où le condamné définitif passe des mains du médecin-juge à celles du travailleur social-juge ou à celles de l’éducateur-juge. Tous ces maillons font régner les visées normatives de l’appareil judiciaire à l’égard de la population recluse, profilant par là même son avenir. Gare à celui qui réfutera leur légitimité ou leur compétence, s’aliénant d’autant toute mesure de clémence.

Toutefois, si l’on tient compte du pourcentage de récidivistes, force est d’admettre que cet exercice d’orthopédie du coupable à dessein de le redresser psychologiquement parlant est pour le moins défaillant.

Qui plus est, selon moi-même, toutes les prétendues « sciences » à préfixe « psy » ne sont que des théories spéculatives (se référer à Karl Popper et au critère de fiabilité scientifique). Dès lors, on peut prétendre que les mécanismes scientifico-disciplinaires ne sont pas fiables, le domaine de l’homme calculable n’étant qu’une vaste utopie.

Le ressenti de la sentence

De par la sentence infligée, le pouvoir judiciaire agit de manière invisible et néfaste sur l’esprit du condamné, induisant un profond ressentiment chez celui-ci. Dès lors, le sentiment d’injustice qu’il éprouve ne fait que radicaliser son caractère, le rendant inaccessible à l’interprétation de la sentence, au sens de la peine et fertilisant par la même le terreau de la récidive. Il voit un bourreau dans les représentants de l’autorité judiciaire, diluant le sentiment de culpabilité pour faire de la justice une coupable.

Or, tout ce qui est subi, enduré lors de la garde-à-vue, de l’inculpation, de l’information et finalement du jugement jusqu’à l’élargissement risque d’être tôt ou tard régurgité sur le système social si l’intéressé n’opère pas une prise de conscience suffisante à désamorcer le procès et à s’extraire de la chaîne de la récidive (en référence à l’actualité toulousaine). Cet exercice de contraintes sur le mode de l’abus de pouvoir, couplé à l’arbitraire de l’appareil judiciaire, lui-même pétri d’a priori et d’approximations, forment le soubassement d’une récidive exponentielle. L’inquisition judiciaire n’est pas tout à fait exsangue. Si dans l’intention de la loi, le temps était opérateur de la peine, ce n’est plus le cas. La peine était censée amender celui qui la subit. De fait, quelle est donc son utilité si elle devient définitive et si elle relève d’une mort sociale autant que d’une exclusion ad vitam eternam? La durée de la sentence n’a de sens que par rapport à une correction possible.

Actuellement, l’exercice de la justice se limite à une institution coercitive alimentant les enceintes punitives, les casernes du crime, et le pouvoir de l’application des peines s’avère aussi arbitraire que despotique.

Pour conclure, il convient de souligner que l’appareil judiciaire connaît parfaitement les inconvénients de la prison, à savoir qu’elle est dangereuse lorsqu’elle n’est pas utile. C’est pourtant la détestable solution dont on ne souhaite faire l’économie. Ses substituts (bracelet électronique, surveillance à domicile, placement en chantier extérieur, etc) sont un genre mineur et suscitent toujours une défiance infondée de la part des esprits rétrogrades de la magistrature, lesquels estiment que la peine, dans sa notion afflictive, doit se résumer à l’unique technique de coercition des enfermés. Il ne me semble pas que la longueur du temps reclus peut avoir valeur d’échange de l’infraction ou du crime. La durée de la claustration doit être synonyme d’une transformation utile du coupable, ce dernier se devant de travailler d’une façon personnelle (introspection), ou assistée, sur ses zones d’ombre au cours de la condamnation. Force est d’admettre que les résultats probants sont portion congrue. Dans le contexte aseptisé de la société moderne, la pénalité de la « norme » est la nouvelle loi applicable, sous-tendue par un pouvoir aliénant.

[…] Construire de nouveaux établissements en supprimant ceux vétustes n’a jamais servi à humaniser le système pénitentiaire. Cela n’autorise, dans une logique de surenchère, qu’à enferme toujours plus, toujours plus longtemps.

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