Nos peines sont généralement subordonnées au mutisme ou relèvent de lieux communs, terrain d’enlisement d’âmes chaleureuses, d’essence parlementaire ou autres corps officiels, s’apitoyant sur le sort des réprouvés au gré des opportunités carcérales.
Dans le contexte actuel de suremprisonnement et dans une logique économique, la population enfermée est assimilée à une matière première, à un capital à intérêt administratif. Ainsi que l’avait suggéré Foucault, l’homo economicus intra muros est bien réel tant nous sommes le fonds de commerce des instances répressives.
Si fermer une entreprise revient à inaugurer une prison, le matériel humain sera bientôt un stock ordinaire. Qui plus est, l’amélioration de la condition carcérale n’est qu’un leurre car l’octroi d’un pseudo-confort physique corrélé à la création de nouveaux établissements s’accompagne invariablement d’un surcroît coercitif étayé de diktats aux relents états-uniens. A n’en pas douter, l’ère des supermax républicains est en marche…
Le travail pénal
Il relève surtout de tâches ingrates, sous-payées. Il y a incontestablement une exploitation des personnes concernées. Cette main d’œuvre bon marché est en permanence spoliée, la pénibilité n’étant pas un critère retenu au sein des murs. L’enfermé ne peut se recommander d’aucun droit, faisant illico les frais de toute contestation, voire revendication légitime. Il en va alors d’un déclassement et d’une mise à l’index, portant sur la suite (diminution des réductions de peine supplémentaires de l’année à venir vu le rapport de l’administration).
Les formations professionnelles
J’en ai suivi plusieurs (bureautique, téléconseiller), je n’ai entrevu aucune perspective associée à celles-ci malgré leur nature qualifiante ou diplômante. Elles ne sont qu’une composante de l’alibi pénitentiaire en matière réadaptative. Elles sous-tendent les effets d’annonce, partie de la vitrine pénitentiaire destinée à gruger ceux qui visitent les lieux ou s’interrogent quant à la réinsertion.
Les études
Le maître mot est la volonté, le désir d’aboutir. Rares sont les soutiens internes. Il faut le plus souvent solliciter l’appui d’organismes extérieurs tels AUXILIA ou le GENEPI (lorsqu’il a accès à l’établissement). Dans la cas contraire, la jachère intellectuelle est omniprésente. En ce domaine, rien n’est fait pour assister ou favoriser les initiatives personnelles. En 2001, je possédais le BEPC en tout et pour tout. Je me suis consacré aux études afin d’évoluer et de donner un sens à la peine, tout en travaillant sur moi-même afin d’éclaircir les zones d’ombre, envisager les études telles une thérapie. J’ai constaté au fil du temps que la progression scolaire et étudiante devenait dérangeante au fil des démarches d’inscription et de certains impératifs corrélés. Globalement, les responsables locaux d’enseignement sont réfractaires à assister les cas atypiques, frileux de s’engager professionnellement ou dépassés par la nature des sollicitations. […] Je navigue donc en solitaire. Ceci pour vous confirmer que la friche intellectuelle est une valeur même de l’enfermement.
Les services annexes
Le service pénitentiaire d’insertion et de probation
Ce service n’a de social que le nom tant l’esprit inquisiteur et le zèle dont il fait montre lors d’une demande de permission de sortir ou d’aménagement de peine. Ce sont les flics de demain, à la solde de l’application des peines, des béni-oui-oui qui opèrent rarement dans le sens du détenu et complexifient d’autant sa situation. L’adjonction du qualificatif « pénitentiaire » à leur dénomination est révélateur du mimétisme opéré.
Le service médical
Une piètre qualité de soins et de nombreux diagnostics approximatifs. Sa principale compétence réside en la délivrance de traitements (antidépresseurs, anxiolytiques, etc) afin de réguler la détention et d’anesthésier la population carcérale. L’addiction médicamenteuse de certains est conséquente, dès lors le trafic se développe au sein des murs.
L’expertise psychologique
Facteur incontournable de la peine tant en détention préventive qu’en situation de condamné définitif. Qu’il en soit d’experts mandatés par la magistrature (lors de l’information ou nommés par le JAP) ou dispensant intra muros, ils sont devenus la béquille du monde judiciaire. Leur avis est si prépondérant que ces conseillers en punition déterminent notre avenir par leurs conclusions, aussi hâtives que spécieuses, car est-ce là une science ou une simple théorie spéculative ? Que la moindre permission de sortir soit subordonnée à leur avis reflète parfaitement l’état d’esprit du moment, à savoir que la grande majorité des cas enfermés constitue en l’état le laboratoire expérimental de l’instance juridico-pénitentiaire. Être réfractaire à ce caractère imposé revient à renoncer à toute perspective d’assouplissement et par conséquent à toute clémence de l’appareil judiciaire. S’en excentrer, c’est mettre d’autant en péril les remises de peine octroyées (amputation progressive ou finale). Dois-je pourtant rappeler la validité des expertises de femme de ménage citée à la barre du procès d’Outreau en 2007 par l’un d’entre eux ?
Les aménagements de peine
Ils sont devenus portion congrue au fil des ans. La lutte contre la récidive et la sensibilité politique du moment ont eu raison des facultés d’élargissement et force est d’admettre que les sorties « sèches » sont de plus en plus nombreuses. Le comportement timoré, quasi-général, des magistrats en poste fait que les libérations conditionnelles relèvent plus de l’aumône judiciaire que de la confiance octroyée. Ces mesures sont généralement consenties en fin de peine, à quelques mois de la libération à dessein de conforter les statistiques et de ménager la valeur professionnelle de chacun. Les longues peines sont logées à la même enseigne et nul n’est dupe à cet effet. À savoir que la frilosité des uns conduit à la mendicité des autres quoique certains achèvent le parcours à terme, avec l’amertume de la spoliation, ce qui induit d’autant une faculté potentielle de récidive. A l’heure actuelle, ce sont les permissions de sortir qui ont pris l’ascendant sur les mesures de libération conditionnelle, sachant que faire la navette entre ces deux milieux ne saurait être une solution durable.
La faculté de plaintes collectives ou individuelles
S’opposer à cette institution, c’est prendre des risques. […] Dans cet univers opaque, dévoiler, c’est se placer en déséquilibre et envisager la réplique.
Le prétoire, les quartiers disciplinaires et d’isolement
Il existe actuellement un petit Guantanamo dans chaque établissement, là ou de nombreuses exactions sont perpétrées, certains zélateurs venant y assouvir leurs pulsions, ce qui en fait des tortionnaires, au gré de leur mal-être et de leur amertume sociale. Avant, rien ou si peu ne filtrait, le huis clos des murs concédant une quasi-impunité à la soldatesque administrative. Je soulignerai par là même la cécité opportune des services parallèles (en exemple, un médecin refusant d’établir un certificat au regard d’hématomes constatés) qui, par pusillanimité ou impératif alimentaire, entretiennent cette déficience, cautionnant par là même ce qui s’y déroule. N’est pire aveugle que celui qui ne veut voir. Quant au prétoire, ce n’est qu’un lieu d’autosatisfaction perverse d’une direction en mal de jugement, permettant de compenser la frustration corrélée à l’unique surveillance du cheptel. A noter que la présence de l’avocat est le plus souvent d’ordre symbolique tant ce micro-pouvoir se targue de posséder un droit annexe, appliquant une infra-pénalité.
Les avocats, les jugements, les longues peines :
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La paranoïa sécuritaire, socialement entretenue, n’a fait qu’accentuer la longueur des peines (en exemple les peines « plancher »). Ce n’est nullement dissuasif et la récidive augmente en conséquence.
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La durée de la détention préventive est inacceptable. La notion de « durée raisonnable » qui s’y rattache n’est qu’un principe sans effet tant la justice française est régulièrement condamnée à ce titre par les instances européennes. J’ai « patienté » presque huit ans avant de comparaître aux Assises.
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Concernant les avocats, ils ont un rôle et une capacité d’action limités. Quant aux convictions dont ils relèvent, je pense que l’on est plus dans l’obligation de moyens que dans celle de résultat, à savoir qu’ils sont majoritairement attachés à leur « fonds de commerce », c’est-à-dire à leur Barreau et n’entacheront guère leur plan de carrière compte tenu d’exigences diverses émanant de clients singuliers (en exemple, entreprendre tel acte qui pourrait indisposer magistrat et Parquet). On demeure dans le professionnellement correct, dissimulant la frilosité ou l’intérêt premier sous un vernis déontologique, éthique.
Pour résumer, je dirai que l’humanisation des prisons équivaut à l’humanisation des cimetières, il suffit de constater le taux annuel de suicides pour savoir que le malaise est prégnant.