En 2010, la maison d’arrêt de Charles III à Nancy est démolie car trop vétuste. Juste avant sa destruction, le jeune photographe Paul Heintz s’y est rendu pour immortaliser les lieux et surtout les messages d’anciens détenus. Nous lui avons posé quelques questions.
C’est en passant tous les jours pendant quatre ans devant la maison d’arrêt de Charles III que Paul Heintz, à peine 20 ans à l’époque, commence à s’intéresser à cette vieille prison placée au coeur de la ville de Nancy. “Ce qui m’a marqué en premier lieu, c’était les familles et amis de personnes incarcérées, sur le trottoir, qui essayaient de communiquer, en criant, avec les personnes à l’intérieur. C’était très touchant“, nous confie-t-il.
À cette époque-là, Paul travaillait, dans le cadre de ses études aux Beaux-Arts, sur un film commandité par la ville de Nancy. Un projet sur le réaménagement du quartier du Haut-du-Lièvre et plus particulièrement sur l’implantation d’une nouvelle prison beaucoup plus moderne que Charles III.
En novembre 2010, je me suis permis de demander une autorisation pour entrer sur le chantier de démolition de la prison afin d’y faire des photographies et des vidéos. Pour l’obtenir, j’ai prétexté avoir besoin d’autres plans vidéo de la prison de Nancy Charles III pour mon film sur le quartier de Haut-du-Lièvre, or j’avais déjà en tête autre chose : récolter des documents, textes, images de cette prison pour un futur projet.
“Des témoignages bruts de leur vie d’enfermement”
La première fois qu’il s’est rendu sur les lieux c’est d’abord cette impression de vide dans un endroit qui jadis accueillait plus de 300 détenus, qui l’a envahi. Ce sentiment de rentrer également dans l’intimité des prisonniers en lisant leurs messages laissés sur les murs. Des phrases et des dessins à la fois très personnels au sujet de leurs familles mêlant amour et remords, mais aussi des messages politiques pour mieux se positionner contre le système carcéral, certains étant même empreints d’une touche humoristique.
C’était assez étrange lorsque je suis entré dans les lieux, étant donné que l’entreprise de démolition avait déjà coupé le courant dans le bâtiment. Toutes les cellules étaient très sombres, seul le hall central était éclairé car il disposait d’une grande verrière. Tout était vide et tous les sons résonnaient. Le son et la fumée engendrés par les marteaux-piqueurs du chantier détonnaient avec les textes et dessins des anciens prisonniers de Charles III.
Ces témoignages bruts de leur vie d’enfermement, c’est tout ce qu’il restait d’humain dans ce bâtiment froid, j’ai donc décidé d’en récolter un maximum afin d’abord de les consigner.
Les messages, les dessins ou les posters accolés sur les murs s’accumulaient dans les recoins de la prison. Certains se répondaient même, “créant une narration documentaire mais aussi imaginaire“, résume Paul. Et c’est comme si certains détenus communiquaient par graffs interposés.
J’ai été touché par l’extrême lucidité de certains détenus sur leur solitude et leur enfermement, des témoignages à la fois tragiques mais aussi comiques comme par exemple : “Si les amis ce contré sur les doigt de la main fodré m’enputer” ou “G le moral en barbeler” .
On ressent ainsi dans ces messages une nécessité d’écrire ou de dessiner. Une sorte d’exutoire ou une manière de marquer son territoire, de s’approprier le lieu dont les détenus ont besoin. Si dans la maison d’arrêt, les détenus étaient amenés à y rester en général moins d’un an en attendant leur jugement ou avant d’être affectés à un centre de détention, leur besoin de communiquer était bien présent.
Pour Paul, “ces graffitis mettent aussi en exergue toute la portée salvatrice de l’écriture ou du dessin. La cellule devient lors de l’enfermement la seconde peau du détenu, le graffiti est alors un tatouage ou une éraflure qui raconte“. Un tatouage amené à rester gravé sur les murs aussi longtemps que ceux-ci tiennent debout. C’est pourquoi le travail de documentation de Paul a encore plus de sens aujourd’hui puisque la prison a été détruite.
“C’était tout de même un lieu plein d’histoires”
Aujourd’hui, le plan de rénovation Nancy Gare en EcoQuartier a remplacé une des plus anciennes prisons de France où les conditions des détenus étaient devenues insupportables entre surpopulation, manque d’hygiène et insalubrité. Un constat qui lui avait carrément valu le surnom de “la prison la plus vétuste de France“, confirmé par un ancien détenu :
Avec mon voisin de palier qui avait été incarcéré à Nancy Charles III, je discutais parfois de la prison. Il avait surtout été marqué par le manque d’hygiène. Depuis son incarcération, chez lui, tout était toujours en ordre et très propre, certains disaient de lui qu’il était devenu un peu trop à cheval sur la propreté… Cela pouvait créer des conflits lorsqu’on lui rendait visite.
Quant aux autres détenus de la prison, ceux qui devaient encore rester, ils ont été incarcérés en 2009 dans le flambant neuf Centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville, installé dans le quartier Haut-du-Lièvre, relativement excentré par rapport au reste de la ville tandis que les bulldozers commençaient à rayer de la carte Charles III pour y installer parkings, logements et autres espaces verts. “C’est assez étrange que la plupart des nouvelles prisons soient construites en dehors des villes, comme si on voulait isoler, cacher encore plus la détention“, partage-t-il.
Face à tous ces questionnements quant à l’emplacement des prisons, un lieu qui intrigue toujours autant tant les informations dévoilées au grand public sont minimes, un autre aspect vient s’ajouter et trouble particulièrement Paul.
Je me pose tout de même la question : pourquoi ne pas avoir conservé les murs et reconverti le bâtiment comme dans d’autres villes ? C’était tout de même un lieu plein d’histoires : au 18ème siècle le bâtiment abritait une Manufacture à tabac par exemple, ensuite c’est devenu une prison à partir du début du 19ème… Il y a eu aussi les fameuses révoltes de la prison de Nancy dans les années 1970 avec l’intervention, entre autres, du philosophe Michel Foucault et du GIP.
De l’histoire de ce bâtiment, il semblerait qu’il ne reste aujourd’hui qu’un vitrail de la chapelle et une fontaine datant du 18ème siècle, lorsque la maison d’arrêt n’était pas encore là et qu’il s’agissait d’une Manufacture à tabac.
Un journal gratuit pour Paris Nuit Blanche 2014
C’est donc dans un soucis de documenter ce lieu et de le dévoiler au grand public que Paul Heintz, aujourd’hui diplômé des Arts Décoratifs de Paris, a décidé de monter un nouveau projet pour mettre en valeur ces témoignages, quatre ans plus tard.
J’ai décidé de prendre ces images telles qu’elles sont avec leur brutalité mais aussi leur fragilité. Cependant, je ne me voyais pas exposer ces photographies aux murs à la manière de tirages d’artistes. Ces graffitis, qui n’avaient pas vocation à être vus à l’extérieur, je n’en étais pas l’auteur. C’est alors que la forme du journal m’a parue la plus appropriée pour actualiser ces photos.
Ce qui l’intéresse particulièrement c’est alors ce rapport privilégié que peut avoir le spectateur avec le format d’un journal. En effet, les double-pages permettent à la fois de montrer comment les graffitis se répondent et de favoriser une approche personnelle avec les photographies.
J’aime l’idée d’un journal gratuit parce qu’il a quelque chose d’éphémère et de fragile : ce journal, on peut le conserver chez soi comme un document mais il peut aussi être détruit ou jeté en un instant, ce n’est pas un objet précieux.
Chaque journal aura sa propre vie, en fonction de chaque lecteur : certains pourront même abandonner cette édition dans le métro, d’autres voyageurs pourront le consulter ensuite… Je trouve ça poétique, l’histoire de ces documents qui naviguent, jetés comme des bouteilles à la mer.
Le projet du photographe, intitulé “La vie 2 rêve Nick Charles III”, reprend le message d’un des graffitis. Le journal de 48 pages sera tiré à hauteur de 5000 exemplaires et distribué dans l’ancienne gare RER de Reuilly, lors de Paris Nuit Blanche, le 4 octobre prochain. Une démarche qui se veut donc gratuite et pour laquelle il a lancé un projet de financement participatif sur Kiss Kiss Bank Bank.
Si en ce moment, Paul est bien occupé par ce projet qui lui tient à coeur, il est en train de commencer un film qui s’inscrit dans la lignée de “La vie 2 rêve Nick Charles III”, dans le sens où il souhaite questionner notre rapport à l’autorité et à la norme.
J’ai eu envie de m’intéresser à comment le pouvoir (par l’autorité de l’image, de la mise en scène ou de la mise en espace) contraint les individus mais surtout la manière dont certaines personnes tentent de résister en proposant un pas de côté.
Sauf que cette fois-ci, ce n’est pas le monde carcéral qui sera mis en avant, mais le monde de l’entreprise…
Si vous souhaitez soutenir son projet, rendez-vous sur la page Kiss Kiss Bank Bank qui lui est dédié.
Quatre braquages pour payer ses dettes
Janvier 2012. Des policiers arrêtent Patrice : il a perdu tous ses points de permis. Affaire banale, individu inconnu des fichiers, mais ils prennent quand même ses empreintes digitales. Et surprise ! elles correspondent à celles laissées lors du braquage d’un magasin Naf Naf à Paris début 2008. Branle-bas de combat, Patrice est placé en garde à vue. « Et là, vous avouez spontanément trois autres vols à main armée », raconte l’assesseure ce 4 mai 2015, sept ans après les faits.
Patrice ? Rien à voir avec les braqueurs de séries policières. Pas bien grand, un peu costaud, mais plus des hanches que des épaules, il ne fait peur à personne. À la barre, sa voix tremblotte. Le stress sûrement. Il avait arrêté les braquages « à cause de la peur ».
À gauche, le prévenu. Au centre, son avocate. À droite, Marie-Laure, la victime. (illustration : Clarisse Le Chaffotec)
Le problème de Patrice : les dettes, beaucoup de dettes. « J’ai tout essayé, j’étais désespéré, j’étais allé à la banque, j’avais demandé à mes parents… » L’assesseure s’énerve : « Vous pensez que tous les gens qui ont des difficultés financières décident de commettre des vols à main armée ? – En plus ça n’a rien arrangé du tout », répond Patrice les yeux baissés.
25 000 euros de crédits à la consommation
Patrice avait contracté pour 25 000 euros de crédits à la consommation, pour acheter deux voitures, pour lui et sa femme. Silencieuse jusque là, la présidente Isabelle Pulver prend la parole : « Quand on n’arrive pas à gérer son budget, on n’achète pas de voitures ! Parce que là on nous raconte du Zola. » Sauf que Patrice travaillait de nuit : il devait rentrer à temps pour amener ses trois enfants à l’école.Mais la présidente ne l’entend pas de cette oreille. Le couple gagnait 2 900 euros. « Plus toutes les aides ! s’exclame-t-elle. Tous ceux qui ont une bonne gestion arrivent à s’en sortir avec vos revenus. Je ne dis pas que c’est pas difficile. Il n’y aurait pas aussi un écran plasma ? Non ? »Après les faits, Patrice a essayé de s’en sortir. En plus de son boulot de nuit à la RATP, il a fait des extras comme cuisinier. « Vous ne pouvez pas vivre aux crochets de tout le monde tout le temps », réplique la présidente. Mais ses problèmes financiers ont eu raison de son mariage. Après une tentative de suicide, il tombe en dépression. Aujourd’hui, entre 400 et 600 euros sont saisis chaque mois sur son salaire (il est devenu contrôleur RATP).
Patrice et son avocate. (illustration : Pauline Dartois)
« Vous jugerez peut-être ces réquisitions trop indulgentes… »
Dès le début de son réquisitoire, le procureur rappelle la chance de Patrice : les faits ont été requalifiés en vols avec violence, lui évitant les assises pour vols avec arme – l’un des braquages est ainsi prescrit. Il pointe certains angles morts du dossier : l’arme n’a jamais été retrouvée. Patrice jure qu’il s’agissait d’un « pistolet à bille en plastique ».
Le procureur le reconnaît, le prévenu est « parfaitement inséré, pourtant, il faut envisager la sanction. » Il hésite : « Est-ce qu’il doit dormir ce soir à Fleury-Mérogis ? Si aujourd’hui on l’envoyait derrière les barreaux, on aurait trois enfants qui perdraient leurs ressources. » Il demande quatre ans, dont deux de sursis simple. Sans mandat de dépôt. « Vous jugerez peut-être ces réquisitions trop indulgentes… »
« Un personnage d’une gentillesse extrême »
Que pourrait rajouter la défense ? L’avocate de Patrice remercie le procureur et se concentre sur la personnalité de son client : « Un personnage d’une gentillesse extrême, un bon père de famille devenu lâche face à ses difficultés financières. » Puisque « préserver l’emploi et la famille, c’est la principale garantie contre la récidive », elle demande du sursis et la non-inscription sur le casier judiciaire.
S’il n’a rien à ajouter sur l’affaire, Patrice veut profiter des derniers instants de l’audience pour s’excuser, encore une fois, auprès de Marie-Laure.
Après 45 minutes de délibération, le tribunal condamne Patrice à quatre ans de prison, dont 30 mois avec sursis simple, sans mandat de dépôt, ni inscription au casier judiciaire, et 1 140 euros à payer à Marie-Laure. À la sortie de la salle, l’ancien braqueur et sa victime se saluent. « C’est bien que vous soyez venue », la remercie l’avocate.