Le 1er avril 2014, vers 15h, deux policiers en civil interviennent dans un bâtiment de la cité Fontvert, dans les quartiers nord de Marseille. Morad Touat, 16 ans, tente d’échapper aux policiers et se réfugie dans un appartement au deuxième étage. Poursuivi par l’un des policiers jusqu’au balcon, Morad chute. Le 5 avril, après quatre jours dans le coma, il décède. Depuis, sa famille se bat de toutes ses forces pour comprendre les circonstances exactes du décès du minot. Le 10 juillet 2014, la police des polices remet les conclusions de son enquête, sur la base desquelles le Procureur de la République de Marseille décide de fermer le dossier pour « absence d’infraction » de la part des policiers. La réaction de la maman de Morad est immédiate. Pour elle, l’enquête a été bâclée et son « fils est mort deux fois : une fois le 5 avril, une deuxième fois le 10 juillet ». Elle décide de se constituer partie civile et porte plainte, cette fois-ci auprès du doyen des juges d’instruction. Nous espérons que cela permettra de relancer l’affaire. A ce jour, aucune information judiciaire n’a été ouverte. La famille de Morad est dans l’attente, totalement délaissée par les institutions.
Trop de questions restent sans réponse. Le Procureur de la République, la police des polices et les journalistes de La Provence et de Metronews veulent laisser croire que Morad serait décédé par sa faute. Pour eux, après tout, il n’était qu’« un charbonneur (1) ». Pour nous, les nombreux éléments contradictoires que nous exposons ici devraient justifier l’ouverture d’une véritable enquête. L’enquête de la police des polices n’est pas satisfaisante. Nous ne nous contenterons pas de la thèse d’un « simple accident dans le feu de l’action ».
Le policier qui poursuivait Morad a menti dans ses dépositions et de nombreux témoins n’ont jamais été entendus par les autorités. Nous ne cherchons pas à affirmer à n’importe quel prix que Morad a été tué par un policier. Ce dont nous sommes certains, c’est que si les policiers n’étaient pas intervenus comme ils l’ont fait ce jour là, Morad serait encore parmi nous. Nous voulons savoir ce qui s’est exactement passé dans ce bâtiment, surnommé « le bâtiment de la mort » par ses habitants en raison des nombreux décès qui y sont survenus. Nous voulons poser la question des modalités d ’intervention et des pratiques policières dans les quartiers populaires comme Fontvert.
Voici les principaux faits que nous avons pu établir et les questions que nous nous posons :
1. Le policier lancé à la poursuite de Morad a menti. Dans une première déposition à la police des polices, il affirme ne pas être entré dans l’appartement où Morad voulait se réfugier. Dans une autre déposition, il revient sur ses propos et s’excuse d’avoir menti. Il avoue avoir suivi Morad jusqu’au balcon. Il ajoute lui avoir saisi le poignet droit au moment de la chute, pour tenter de le sauver. Quelle crédibilité peut-on accorder à ses propos sachant qu’il n’a pas dit la vérité dès le départ ?
2. Le policier explique qu’il a menti car il n’était pas sûr d’avoir le droit de poursuivre Morad à l’intérieur de l’appartement. Nous pensons qu’il s’agit là de la première infraction commise par l’agent. Une infraction « pas assez caractérisée » selon la police des polices ?
3. La police des polices a fondé ses conclusions principalement sur les dépositions d’un unique témoin, en plus de celles des policiers présents. Or les dépositions de ce témoin se contredisent sur au moins deux points : la position de Morad par rapport au balcon et l’attitude adoptée par « l’autre personne sur le balcon ».
Plusieurs autres témoins sont prêts à faire leurs dépositions. Un an après, ils n’ont pas été entendus par les autorités. Pourquoi ?
4. Le dossier a été classé sans suite après qu’un habitant du quartier a déclaré de lui-même à la police que d’autres habitants s’apprêtaient à établir de faux témoignages pour « enfoncer les policiers ». Ce qui, un an après les faits, peut être démenti puisque cela n’est jamais arrivé.
Cet informateur n’était pas présent au moment des faits. Nous avons appris qu’il entame une carrière dans la police, en tant qu’adjoint de sécurité. Et pour couronner le tout, il s’avère être le fils du seul témoin écouté. Quelle est sa crédibilité ?
5. La police des polices a été appelée suite à « la découverte d’une personne grièvement blessée ». Morad n’est pas mort sur le coup, mais des séquelles de la chute. Or, plusieurs témoins non entendus, affirment qu’entre le moment où Morad était au sol et le moment où les secours sont intervenus, il a été violemment secoué par un agent. Nous posons donc la question suivante : Morad aurait-il pu survivre à la chute s’il n’avait pas été secoué par ce deuxième policier ?
6. Morad portait une sacoche. Les policiers affirment que la sacoche a été récupérée à l’intérieur du bâtiment, avant la poursuite. A contrario, plusieurs témoins affirment que la sacoche lui a été enlevée après la chute, par le policier qui l’aurait secoué avec force. Ce point ne mérite-t-il pas vérification ?
7. Les renforts sont arrivés très rapidement (sept voitures de police) bien avant les secours. Pour nous, c’est une honte. Cela a peut-être pu contribuer à aggraver l’état de Morad, à un moment où chaque seconde peut être vitale. La priorité absolue aurait dû être d’appeler les secours, pas de constituer un cordon de sécurité pour protéger les policiers.
8. Selon les forces de l’ordre, une vidéo montrant la scène après la chute, prise par un policer en tenue, existe. Pourtant, elle n’a pas été versée au dossier. Pourquoi ?
9. Le policier lancé à la poursuite de Morad connaissait son identité et l’avait déjà contrôlé et interpellé plusieurs fois. Était-il vraiment nécessaire de le prendre en chasse alors qu’il lui aurait été possible d’aller le chercher à son domicile dans les heures ou jours suivants ?
10. Les policiers impliqués dans la mort de Morad sont toujours en fonction. Le 9 juillet 2014, l’un d’eux a même reçu une médaille, celle de la sécurité intérieure, échelon bronze. Cette médaille a été décernée par le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, alors que l’enquête de la police des polices était en cours. Il est à noter, d’ailleurs, que cette enquête à été fermée dès le lendemain, soit le 10 juillet.
En toute logique, ces contradictions auraient dû inciter la police des polices à approfondir son enquête plutôt qu’à la classer sans suite. Cette décision est une marque de mépris pour la famille de Morad. Et la décoration du policier une provocation indécente. Nous appelons à l’ouverture d’une véritable enquête qui devra commencer par le recueil de tous les témoignages possibles. Nous demandons à ce qu’une reconstitution des faits soit réalisée dans les meilleurs délais, avec au préalable une expertise de la chute. Cette expertise devra prendre en compte la taille et le poids de Morad, la hauteur de la chute, et donc sa vitesse. Elle devra également prendre en compte la position du corps une fois à terre, en considérant d’une part qu’il y a eu contact physique entre le policier du balcon et Morad, et d’autre part qu’il a pu être secoué une fois à terre. Nous voulons que tous les éléments, dont la vidéo existante, soient ajoutés au dossier. Ces policiers ne peuvent pas ne pas rendre des comptes. Ils doivent être punis à la hauteur des fautes commises, car fautes il y a. Leurs supérieurs devraient également rendre des comptes et cesser de bénéficier de l’impunité. Nous connaissons la politique sécuritaire du parti socialiste au niveau national, et celle de la droite au pouvoir à Marseille, sans oublier celle, encore pire, de l’extrême droite montante. Les quartiers populaires sont perçus par l’État et la grande majorité des municipalités comme des territoires à reconquérir. à leurs yeux, cet objectif
justifie l’application de méthodes quasi militaires contre des gamins. Nous refusons ces méthodes.
Nous avons rencontré la famille de Morad et plusieurs témoins. Voici ce qu’ils disent :
Un jeune homme de 17 ans, présent sur les lieux : « J’étais au terrain de jeu quand j’ai entendu des cris. Quand j’ai rejoint le bâtiment K, j’étais choqué, Morad était au sol tandis qu’un policier lui enlevait sa sacoche en le secouant violemment. Les renforts sont arrivés très rapidement, sept voitures en tout. On ne pouvait pas s’approcher de Morad. Les pompiers ont été appelés par un habitant, pas par les policiers ». Quand nous lui demandons pourquoi Morad ne s’est pas laissé interpeller, voici ce qu’il nous répond : « Il y a un mois, deux flics sont venus dans le bloc, ils sont venus pour frapper. Je te jure. Ils ont même mis des coups de matraque télescopique dans la tête d’un des jeunes. Franchement, ils viennent pour gazer tout le monde, ils s’en foutent complètement, ils gazent ta mère, ton frère, tous les habitants du bloc, pourtant il y a des enfants, et même des asthmatiques. Ici, à Fontvert, rien que c’est la répression. Surtout avec les CRS. Maintenant, c’est contrôle en force. Et ils le savent, quand ça part comme ça, ça part d’entrée, ils le savent et le font exprès. Ils nous provoquent ». Le témoin ajoute : « Il faut savoir que trois jours avant le décès de Morad, deux flics ont débarqué. Morad jouait sur son IPAD, ils l’ont coursé, pris sa tablette, sa sacoche avec ses affaires personnelles et même les clés de son scooter ! ».
Un autre habitant, un jeune homme de 19 ans, ajoute ceci : « J’ai vu un attroupement en bas du bâtiment K et là j’ai compris qu’il était tombé très fort. Je m’approche à 30 ou 40 mètres de la scène, je ne pouvais pas m’approcher plus avec le périmètre de sécurité mis en place par les policiers. Je n’ai pas vu la chute, mais j’ai vu et entendu un policier en civil sur le balcon crier à son collègue en bas : « Laisse le, le touche pas ! ». Morad a été secoué par le col par le policier qui lui a enlevé sa sacoche et l’a posée juste à côté du corps. Morad, c’était un jeune de quartier comme nous, on rigolait bien, il mettait l’ambiance, il était apprécié à Fontvert et dans d’autres quartiers de Marseille. En quatre ans, tous les ambianceurs du quartier sont morts ou en prison. Les condés ont tué le quartier. Ils nous cherchent, nous insultent, nous lancent des « Va niquer ta mère », ils nous provoquent ».
La tante de Morad : « Morad était suivi par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) depuis l’âge de 12 ans. Il fumait beaucoup et voulait arrêter. Il avait demandé à ce que la mesure de suivi judiciaire soit reconduite jusqu’à sa majorité, mais cela lui a été refusé, considérant qu’il n’en avait plus besoin. Déscolarisé, Morad a très mal pris ce refus et s’en sortait comme il pouvait. Dans l’affaire de mon petit neveu, il faut rappeler que ce n’était qu’un gamin de 16 ans. On veut nous criminaliser pour que les gens gardent confiance dans la police. La police des polices a classé l’affaire sur la base d’un seul témoignage et d’un jeune homme qui dénonce les autres pour faux témoignages potentiels. Ces deux personnes sont mère et fils. En plus, le fils est dans la police. Pour moi, ce n’est pas crédible une seule seconde. Or, l’enquête a été arrêtée suite à ce témoignage là. Une personne était présente dans l’appartement où Morad est entré. Au niveau des horaires, son témoignage ne colle pas du tout. De nombreux témoins n’ont jamais été entendus, franchement c’est pas sérieux. Pour moi, il y a une vraie impunité policière, c’est la parole sacrée du policier contre celle du jeune. Si tu es policier et que tu comprends ça, tu fais ce que tu veux, les policiers se foutent de la gueule des jeunes de Fontvert, surtout quand ils leur lancent : « Oh les gars, attention au balcon ! ». Je croyais que la peine de mort était abolie… mais elle revient, sous d’autres formes en fait. Quand il n’y a pas de justice, c’est simple, on a envie de se rebeller. Les jeunes respectent moins les forces de l’ordre parce que la confiance est brisée. On a fait confiance à la police des polices. Quand on s’est aperçu que c’était des conneries, on n’a décidé de plus avoir peur d’eux ».
Un des frères de Morad : « Ce qui me touche, c’est qu’on a l’impression que si on est jeune, on sera plus vite puni que les forces de l’ordre. On nous parle d’égalité, mais c’est que pour eux. Ils se couvrent entre eux. On a l’impression que c’est normal, alors que non, il faut le dire, c’est pas normal. Mon frère n’aurait pas pu connaître un pire sort. Il n’est pas handicapé, il est mort. C’est horrible, surtout pour une mère. A l’extrême, on peut imaginer que c’est un accident. Mais il faudrait aussi qu’ils assument leurs actes et qu’ils disent la vérité. Ils se font de moins en moins respectés pour des faits similaires. On ira jusqu’au bout pour mon frère ».
Sa maman : « Pour moi, Morad est mort deux fois : une fois le 5 avril, puis une autre fois, le 10 juillet, lorsque la police des polices a décidé de classer le dossier sans suite. Ils ont fermé le dossier sans chercher à comprendre. La seule réponse de l’État est que Morad était un « charbonneur ». J’ai été entendue par la police des polices, j’ai même été reçue par le commissaire. Ca n’a pas duré longtemps. On m’a expliqué comment Morad avait chuté, que le policier était dans le feu de l’action. Sur le coup, j’ai été un peu rassurée, je pensais qu’ils allaient mener l’enquête sérieusement, que j’allais savoir ce qui s’était passé. Le commissaire m’avait demandé si on pouvait se revoir pour parler de la vie quotidienne de Morad, mais je n’ai plus jamais eu de nouvelles. Un an après, toute notre famille souffre. Pire, nous faisons l’objet d’un harcèlement policier au quotidien. Au fur et à mesure, on a moins peur de la police et on la respecte moins, franchement, ça rend service à personne. Quand je vois que pour Abdelhakim Ajimi (2), les policiers n’ont eu que du sursis, alors qu’il a été tué par trois policiers en plein centre ville de Grasse en 2011…
en résumé, ce qu’il faut comprendre c’est que le premier meurtre pour les policiers, il est gratuit ! Voilà le message que le gouvernement nous envoie ».
Dix ans après le décès de Zyed Benna et Bouna Traoré à Clichy-sous-Bois (3) (93), poursuivis par des policiers qui seront jugés à la cour d’appel de Rennes du 16 au 20 mars 2015, des gamins de nos quartiers continuent à mourir dans le cadre d’interventions policières.
Depuis 2005, ce sont près de 150 personnes qui ont ainsi perdu la vie. Cette statistique ne s’appuie que sur les cas révélés par la presse, donc connus du public (4), et ne concerne que des personnes non-armées. Malheureusement, à chaque fois, c’est le même scénario qui se reproduit pour les familles qui vivent ce cauchemar. Elles doivent supporter le silence ou les mensonges des médias les plus regardés, écoutés et lus. Elles doivent mener, à leurs frais, un combat judiciaire long et âpre, qui généralement ne mène à aucune condamnation, lorsque procès il y a, ce qui est très rare. Aucun soutien psychologique et financier ne leur est apporté. La politique de « reconquête » des territoires populaires, menée par l’État et ses services de répression, mentionnera-t-elle dans son bilan le nombre de blessés et de morts inconsidérés qu’elle produit ?
Organisons-nous pour nous défendre ! Organisons-nous pour connaître la vérité et obtenir justice ! Nous croyons que nous pouvons mettre fin aux brutalités policières en les dénonçant publiquement, en épuisant tous les recours judiciaires possibles et en se mobilisant ensemble pour défendre nos droits élémentaires. La réalité est plus effroyable encore. Quasi systématiquement, la justice couvre les policiers impliqués, leur délivrant par la même occasion un « permis de tuer » (5).
Organisons-nous pour Morad ! Organisons-nous pour Wissam El-Yamni, lynché par des policiers le 31 décembre 2011, à Clermont-Ferrand (63) ! Organisons-nous pour Amine Bentounsi, tué d’une balle dans le dos le 2 avril 2012, par un policier à Noisyle-Sec (93) ! Organisons-nous pour Lahoucine Aït Omghar, abattu de cinq balles le 28 mars 2013 par trois policiers, à Montigny-en-Gohelle (59) !
Organisons-nous pour Zyed et Bouna ! Continuons aussi à nous organiser pour les frères Kamara, condamnés pour l›exemple, sans preuve, à 12 et 15 ans de prison suite aux révoltes de 2007, à Villiers-le-Bel (6) (95).
Organisons-nous partout où nous sommes informés de violences ou de crimes policiers ! Organisons-nous pour l’égalité des droits !
Le 11 mars 2015, à Marseille.
Collectif Angles Morts – anglesmorts@gmail.com
1. Voir : www.laprovence.com/article/actualites/2820814/un-charbonneur-de-17-ans-gravement-blesseen-tentant-de-fuir-la-police.html et http://www.metronews.fr/marseille/marseille-mort-a-17-ans-en-voulantfuir-la-police/mndf!7uJcumEbDHYOE et http://www.metronews.fr/marseille/marseille-mort-a-17-ans-en-voulantfuir-la-police/mndf!7uJcumEbDHYOE
2. Abdelhakim Ajimi est mort le 9 mai 2008 des suites de son interpellation par pas moins de quinze agents de police, en pleine rue, devant témoins, à Grasse
3. Le décès de Zyed Benna et Bouna Traoré avait été le déclencheur de trois semaines de révoltes dans toute la France, de centaines de condamnation et de la mise en application de couvre-feu dans certaines villes. Ce qui était inédit depuis la guerre de libération de l’Algérie
4. www.bastamag.net/Homicides-accidents-malaises
5. Permis de tuer, Chroniques de l’impunité policière, Éditions Syllepse, 2014
6. Vengeance d’État. Villiers-le-Bel, des révoltes aux procès, Éditions Syllepse, 2011
Vous pouvez télécharger l’article en pdf ici:
Brochure-Vérité et Justice pour Morad.pdf (231.18 Ko)
Incarcération des prisonnier-e-s politiques Palestinien-ne-s, punition collective pour tout un peuple
Plus de 6200 prisonnier-e-s politiques palestinien-ne-s sont actuellement détenu-e-s dans les geôles israéliennes et sont bien souvent privé-e-s des droits humains les plus basiques. L’un des nombreux droits dont ils sont privés est celui de communiquer avec leurs familles et de recevoir des visites régulières, punissant ainsi tout un peuple.
Depuis 1967, environ 750 000 Palestinien-ne-s ont connu les geôles israéliennes. Il est ainsi difficile de trouver en Palestine un foyer qui n’ait jamais été concerné par la détention ou l’emprisonnement et c’est d’ailleurs une raison pour lesquelles le peuple palestinien voue un respect aussi profond à ses prisonniers.
En matière de détention et de visites des familles, l’état israélien s’assoit une fois de plus sur le droit international et sur les devoirs envers la population occupée qui lui incombent en tant que puissance occupante.
Pour ceux qui aiment les textes de loi, le droit aux visites familiales est un droit enraciné dans le droit international, expressément prévu par la Quatrième Convention de Genève, l’Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus, l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement les règlespénitentiaires européennes, la convention relative aux droits des enfants (concernant les enfants détenus).
Premier obstacle aux visites : Israël détient des Palestinien-ne-s originaires des Territoires Occupés dans des centres de détention et des prisons situés en dehors de ces territoires, contraignant les familles à obtenir un permis pour entrer en Israël afin d’atteindre les prisons. Les permis étant eux-mêmes délivrés au bon vouloir de la puissance occupante, on imagine aisément quel machiavélique outil de punition collective représente la délivrance de ces permis. Dans le meilleur des cas, ces permis sont difficiles à obtenir et pour de nombreuses personnes, ils sont tout simplement impossibles à avoir, l’état israélien prétextant toujours les mêmes « raison de sécurité » pour justifier son refus, mais sans jamais définir ce qui se cache derrière cette formulation. La procédure pour obtenir un permis est longue, elle peut prendre entre un et trois mois, alors que le permis en lui même n’est valide qu’un an.
Les visites sont réservées aux parents de premier degré uniquement – enfants, époux, épouse, parents et grands-parents – isolant les détenu-e-s de leur environnement social et professionnel. Les membres de la famille de sexe masculin âgés de 16 à 35 ans se voient souvent interdits de visite toujours pour des « raisons de sécurité ». Dans la pratique, ce sont des centaines de familles qui se voient régulièrement refuser leur permis arbitrairement, sans autre explication que les fameuses « raisons de sécurité ». Certaines familles témoignent avoir été victimes de chantage afin d’obtenir ces permis (vente de leur terre, dénonciation de leurs voisins…) et se retrouvent ainsi privées de visite n’ayant pas collaborées avec l’occupant.
Quand les visites sont autorisées, elles ont lieu toutes les deux semaines, durant 45 minutes.
Les habitants de Cisjordanie sont récupérés par des bus du Comité International de la Croix Rouge, à 6h du matin, à Ramallah (les habitants des villages les plus éloignés ayant donc déjà fait plusieurs de route pour atteindre Ramallah). Ils doivent ensuite passer le checkpoint de Beit Seira, où ils attendent environ deux heures, pendant lesquelles ils doivent se soumettre à des fouilles électroniques et physiques. Une fois arrivés à la prison, ils sont accueillis par de nouveaux contrôles de sécurité, et doivent être une nouvelle fois fouillés électroniquement et physiquement. C’est assez fréquent que les familles attendent plus de cinq heures avant de pouvoir entrer dans la prison. Certaines familles doivent compter plus de 10h de transport et d’attente pour espérer voir leur proche 45 minutes. Tous les visiteurs doivent se soumettre à ces nombreuses fouilles, alors qu’à aucun moment ils n’auront de contact physique avec les détenu-e-s. Les enfants ne sont parfois autorisés par l’administration pénitentiaire qu’à visiter lors des jours de classe et doivent donc délaisser l’école un jour entier une semaine sur deux pour aller visiter leur père ou leur mère.
Après les nombreuses fouilles, une fois entrés dans la prison, les familles doivent encore attendre pendant près d’une heure dans une salle d’attente qui n’a ni toilettes ni accès à de l’eau potable.
Dans la salle de parloir, une vitre sépare les prisonniers de leurs familles Les communications ont lieu grâce à des téléphones ou par des trous dans la vitre. Bien souvent, les téléphones sont défectueux et il est difficile d’entendre son interlocuteur. Chaque prisonnier peut recevoir au maximum lors d’une visite trois adultes et deux mineurs. Il n’y a jamais aucun contact physique entre le prisonnier et sa famille, y compris entre les parents et leurs jeunes enfants.
Ces visites et les étapes qui les précèdent s’avèrent être très pénibles pour les prisonnier-e-s comme pour leurs familles.
Les visites sont également utilisées par l’administration pénitentiaire pour punir collectivement les détenu-e-s et leurs familles. Chacun peut être arbitrairement privés de visites pour une durée variable.
Par exemple, suite aux résultats des élections palestiniennes de 2006 ainsi qu’a capture du soldat Franco-Israélien Gilat Shalit, Israël a suspendu pendant 6 ans toutes les visites familiales pour les prisonnier-e-s de Gaza détenu-e-s dans les geôles israéliennes justifiant cela par des « raisons de sécurité non spécifiées ».
Suite la grève de la faim collective des prisonniers en avril 2012, Israël a accepté de rétablir les visites pour les Gazouïs, mais partiellement, puisque ces visites n’ont lieu que tous les deux mois. Plus récemment, pendant la guerre à Gaza, en juillet 2014, toutes les visites familiales ont été interdites pour les prisonniers de Gaza et en octobre 2014, cette interdiction est toujours en place. Ils n’avaient pendant la guerre aucun moyen de contacter leurs familles et apprenaient parfois la mort de leurs proches par les familles des rares détenus non Gazaouis qui avaient l’autorisation d’être visités.
Les visites ont également été interdites pendant la durée de la guerre aux prisonniers de Cisjordanie affiliés au Hamas, au Jihad Islamique et au Front Populaire de Libération de la Palestine. Pour ces prisonniers, les visites ont pu reprendre désormais mais uniquement tous les deux mois.
Dans tous ces cas d’interdiction de visite, c’est tout un peuple qui est concerné, ceux qui sont derrière les barreaux et ceux qui sont dehors, tous privés du droit de visiter leurs proches.
Les études et témoignages ont relevé de nombreuses séquelles psychologiques touchant les détenu-e-s, de par leurs conditions d’interrogatoire tout d’abord -de nombreux témoignages rapportent des tortures psychiques et physiques – et de par leurs conditions de détention ensuite – accès restreint à l’éducation, contact non adapté avec l’extérieur, soins médicaux sommaires, carences nutritionnelles importantes, absence de programme de réinsertion… – mais de nombreuses séquelles touchent également les familles. Quand celle-ci est possible, la visite d’un proche relève du parcours du combat et est à la fois source de joie et de frustration pour chacune des deux parties qui ne peut voir l’autre que derrière une vitre. Les courriers ne sont pas toujours distribués et quand ils le sont, c’est bien souvent plusieurs semaines après leur réception.
En septembre 2014, on dénombrait 6200 prisonnier-e-s politiques palestinien-ne-s parmi lesquels 500 en détention administrative, c’est à dire qu’ils n’ont ni chef d’inculpation ni procès, 201 sont des enfants, 18 femmes et 19 députés Palestiniens. De nombreux leaders des partis politiques sont incarcérés, parfois ils sont mis à l’isolement, afin de limiter leur participation à la Résistance. La prison est utilisée par la puissance occupante pour tenter d’affaiblir toute la société palestinienne, les resistant-e-s palestinien-ne-s et leurs familles. La question des prisonnier-e-s politiques palestinien-ne-s est primordiale, c’est une question politique majeure, et un enjeu sociétal de grande ampleur.