Le droit du travail en prison passera ( t’il ) par la case constitution ?

Les détenus travaillant en prison finiront-ils par avoir un véritable contrat de travail ? C’est entre autres sur cette question que le Conseil constitutionnel devra se prononcer, après la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Tout a commencé en décembre dernier, quand deux détenus de la prison de Metz ont saisi le conseil des prud’hommes d’une QPC. Procédure de contrôle de la constitutionnalité de lois déjà promulguées, elle portait sur leurs conditions de travail en détention. En cause, leur rémunération, qui s’élevait à trois euros de l’heure, ainsi que la constitutionnalité de l’article 717-3 du code de procédure pénale, qui stipule que «les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail».

La demande a été transmise dans la foulée à la Cour de cassation. Qui a décidé mercredi d’adresser cette QPC au Conseil constitutionnel, «en raison de son caractère sérieux». Les Sages ont désormais trois mois pour l’examiner, afin de déterminer si le caractère dérogatoire du droit en prison est conforme aux droits et libertés garanties par la Constitution.
Est-ce une première ?

Le débat du droit du travail en prison avait déjà été relancé en février dernier, lorsqu’une détenue de la maison d’arrêt de Versailles, Marilyn Moureau, était parvenue à faire reconnaître la fin de sa collaboration avec la société MKT Sociétal comme un «licenciement abusif». A ce titre, la jeune femme, qui purge une peine de huit ans de prison, avait reçu de nombreux dommages et intérêts, notamment pour «inobservance de la procédure de licenciement». MKT Sociétal avait à cette occasion été reconnue comme «employeur dans des conditions particulières». «C’est un jour historique. Le droit du travail entre en prison», avait réagi Maître Fabien Arakelian, l’un de ses avocats.

La démarche entreprise aujourd’hui tend une nouvelle fois vers la reconnaissance du travail des prisonniers. D’après maître Xavier Iochum, défenseur d’un des détenus de Metz, «ces différentes affaires montrent bien l’émergence de cette problématique et sa prise en considération».
Comment le travail en prison est-il encadré ?

Jusqu’en 1987, les détenus étaient contraints de travailler, l’activité professionnelle faisait alors partie de la peine. C’est désormais dans une optique de réinsertion qu’ils ont cette possibilité. En théorie, car dans les faits ils sont relativement peu à travailler, alors qu’une majorité écrasante souhaiterait le faire. En 2011, 27,8% d’entre eux exercaient une activité professionnelle. Mais l’inexistence de contrat de travail, stipulée par l’article 717-3 du code de procédure pénale, implique l’absence de Smic, de congés payés, de droits syndicaux… Ce n’est qu’en matière de règles d’hygiènes et de sécurité que le droit du travail s’applique derrière les barreaux.

En guise de contrat, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 veut qu’on parle de «classement» et de «déclassement» pour signifier l’accès à l’emploi et sa sortie. Etabli entre l’établissement et le détenu, cet engagement peut donc être cassé à tout moment par l’administration pénitentiaire, si c’est elle qui emploie. Car à défaut de comporter des droits, l’organisation du travail dans le monde carcéral s’établit autour de trois régimes bien précis, selon que l’activité s’exerce directement au service de l’établissement ou pour des entreprises qui sous-traitent certaines prestations à des détenus. Dans ce dernier cas, le contrat de travail n’existe qu’entre l’entreprise et l’administration pénitentiaire.

A l’absence de contrat de travail s’ajoute l’interdiction pour l’inspection du travail de se rendre inopinément dans les prisons. Il faut en effet que les administrations pénitentiaires l’y invitent. D’après Marie Crétenot, juriste à l’Observatoire international des prisons, il arrive que l’inspection du travail retrouve les mêmes irrégularités lors d’un second déplacement. Dans de «très rares cas», l’instance alerte les autorités judiciaires.

En matière de rémunération, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a modifié l’article 717-3 du code de procédure pénal. Indexé sur le smic, le salaire des détenus dépend du régime sous lequel ils travaillent. Leur rémunération varie, en théorie, entre 20% et 45% du Smic. En effet, il n’est pas rare que les détenus soient moins rétribués.
Qu’est ce que le Conseil constitutionnel pourrait faire évoluer?

Contrairement à l’action en justice portée par Marilyn Moureau, qui ne concernait que les relations établies entre un détenu et une entreprise venue sous-traiter dans l’établissement pénitentiaire, la QPC touche au code de procédure pénale. Les conséquences qui en découleraient s’appliqueraient donc à tous les détenus exerçant une activité professionnelle.

Pour améliorer leurs conditions de travail, deux priorités s’imposent pour Me Xavier Iochum : définir les modalités de rémunération et de rupture de contrat. «Il faut définir le statut juridique des détenus car ils n’en ont pas», estime l’avocat, optimiste quant à l’issue du dossier.

Mais pour la juriste Marie Crétenot, un des principes primordiaux reste l’application du droit commun. «Dans la mesure où le but ultime est la réinsertion, on ne peut laisser ces détenus à l’écart, souvent en rupture avec la société au moment de leur incarcération». La décision du Conseil constitutionnel pourrait donc pousser le législateur à s’emparer de la question et à faire entrer le droit du travail en prison.

source : http://www.liberation.fr/societe/2013/03/23/le-droit-du-travail-en-prison-passera-par-la-case-constitution_890279
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