« Je vous prends en otage » : en 2010, le détenu Francis Dorffer a fait de Cyrille Canetti, psychiatre à la Santé, sa « victime ».
C’est en victime que le médecin a témoigné mardi aux assises, mais aussi pour évoquer la prison comme « lieu de souffrance » pour les personnes incarcérées.
« Je ne veux pas faire entendre un soutien », « je ne travaille pas en prison parce que j’estime que les détenus y sont maltraités », « je reprouve le chantage » : au cours de sa déposition, le responsable du pôle de santé mentale de la prison parisienne de la Santé prend mille précautions. Cyrille Canetti, 49 ans, se défend de toute complaisance, de tout syndrome de Stockholm et prend longuement le temps de décrire ses sentiments contrastés lorsque Francis Dorffer, ce 7 avril 2010 peu avant midi, a refusé de réintégrer sa cellule à l’issue de leur entretien, le séquestrant durant près de six heures sous la menace d’un bout de bois taillé. Il décrit d’abord son court moment « d’effroi », puis comment il a « cessé d’avoir peur », convaincu par Dorffer qui lui répète qu’il ne lui fera pas de mal. Le détenu lui explique l’avoir choisi, pensant qu’ « un psychiatre se remettra mieux » d’une prise d’otage. Mais ce médecin posé, qui travaille depuis seize ans en milieu pénitentiaire, a d’autres choses à raconter. « Certaines situations poussent à des extrémités et amènent au chantage, à la prise d’otage et je me suis demandé comment on arrivait là », analyse-t-il face à la cour. « Dans les condamnations à une longue peine, j’ai vu le désespoir que peut engendrer l’absence de tout espoir et de perspective de sortie (…) et s’il n’y a pas d’espoir, on pousse les gens au pire d’eux-mêmes », estime-t-il.
« Fabrique de bombes »
Francis Dorffer, 29 ans, est incarcéré depuis l’âge de 16 ans. Enfant placé en foyer, adolescent voleur, il a été condamné pour le viol d’un camarade, puis pour le meurtre d’un codétenu égorgé en cellule après une dispute « pour un programme télé ». Il a écopé de trente ans de prison dont vingt de sûreté, rencontré au parloir la soeur d’un compagnon de prison devenue sa compagne et la mère de leur petit garçon de trois ans. Changé une trentaine de fois d’établissements pénitentiaires depuis le début de son incarcération, il est l’auteur, entre 2006 et 2011, de quatre prises d’otage contre des surveillants ou médecin travaillant en prison pour obtenir d’être rapproché des deux seuls êtres qui le relient au monde extérieur, tout contact avec sa famille étant rompu. Il se dit déterminé à « changer ». La cour d’assises le juge jusqu’à vendredi pour deux de ces séquestrations.
« Je me suis demandé si l’organisation des choses ne poussait pas Dorffer au pire de lui-même », explique le Dr Canetti, évoquant ses multiples transfèrements, ses années de détention à l’isolement et ce qu’elles impliquaient: « une cellule dans un rez-de-chaussée sombre dont le détenu ne sort qu’une à deux heures par jour pour faire quelques pas dans un petit espace clos ».
Les avocats de l’accusé enfoncent le clou en détaillant son régime pénitentiaire: fouilles à nu, obligation de répondre toutes les demi-heures, jour et nuit, au surveillant qui contrôle sa présence à l’oeilleton. « Un effet catastrophique », reconnaît Cyrille Canetti. « La prison est un lieu de souffrance », observe-t-il, ajoutant avoir eu souvent l’impression, en travaillant avec de jeunes détenus, « qu’on fabriquait des bombes en détention, des gens qui n’ont plus rien à attendre ».
Un peu plus tôt à l’audience, l’avocate générale avait averti contre la tentation de faire du procès de Francis Dorffer celui de l’administration pénitentiaire. Les débats en ont parfois l’allure. Mercredi, la cour doit entendre le témoignage du contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue.
Source : http://www.oip.org/index.php/component/k2/item/1085-afp-sans-espoir-en-prison-on-pousse-les-gens-au-pire-deux-m%C3%AAmes