La dénonciation de l’état déplorable des prisons a dépassé le stade des discours d’intention. L’Etat est désormais condamné. Comme le 15 juin dernier à Rennes. Mais un pan de l’incarcération demeure invisible. Indicible. Celui des familles de détenus. Plus de 400 000 personnes ont un proche en prison. La maison d’arrêt de Varces, vétuste et tristement célèbre pour le meurtre d’un détenu abattu depuis l’extérieur en 2008, est un exemple symbolique des anciennes prisons. Un univers hostile pour maintenir des liens familiaux. Près de 2400 proches y passent chaque année pour déposer du linge ou leurs rendre visite.
13h30, devant les portes de la prison de Varces. Le surveillant appelle les familles, non pas par leur nom, mais par celui de la personne détenue qu’ils vont visiter. Sans nom, les parents, frères, enfants et compagnes sont déjà assimilés à leur proche détenu. « On est libre sans l’être. Parce qu’il n’a pas de liberté ni de bien-être, je m’interdis d’en avoir » confie Martine en parlant de son fils. Son prénom a été changé, non pas à sa demande, mais à celle des responsables de l’association qui accueille les familles de détenus (Arla), à 20 mètres des murs de la prison. Entrer en prison, c’est mettre entre parenthèses son identité pour les détenus, comme pour les proches.
Le parloir ou le partage fugace de la détention
Quand Pierre a vu pour la première fois, il y a six mois, son jeune fils entre ces quatre murs, il a cru exploser : « Je voulais prendre sa place, ou venir avec mon camion pour défoncer la porte ». Révolté par le traitement « inhumain » des détenus, il a contenu « ses drôles d’idées » mais en parle encore avec une boule dans la gorge. Le « choc carcéral » n’est pas réservé qu’aux détenus.
Il y a les films, les fantasmes sur la prison. Et puis la réalité des conditions d’enfermement dans une prison construite dans les années 1970 et aujourd’hui délabrée. Une réalité que les familles ne peuvent éviter en se rendant au parloir. La saleté. C’est le premier mot qui vient aux familles pour décrire les dix box de 3m² où elles rencontrent leur proche. Il y a « des odeurs d’urine », « des crachats », « des déchets » et « la peinture est écaillée » témoignent plusieurs mères et compagnes de détenus. « Une porcherie » lance une mère de prévenu qui dit avoir vu des rats se balader sur les toits à proximité du parloir. Mathilde, collégienne, raconte que ses petits frères et sœurs ne veulent plus venir « tellement c’est sale ».
Pourtant Patrick Motuelle, Directeur de la maison d’arrêt, assure que « les parloirs ont fait l’objet d’une réfection totale il y a deux ans par les détenus eux-mêmes » et de nouvelles opérations « l’an dernier par des détenus en formation ». Un détenu est également chargé de nettoyer tous les jours les parloirs . Mais avant le ménage de fin de journée, les familles ont le temps de dégrader les espaces de parloirs, selon le Directeur. Une opinion que partage Martine Noally, présidente du Relais enfant-parent Isère qui accompagne au parloir avec des enfants dont le père est incarcéré : « Cela ne dérange pas les familles de salir. C’est lié au partie du concept de prison, qui n’est pas là pour être belle et propre ».
Outre l’odeur et l’aspect des parloirs, le confinement de la cellule y est reproduit. Enfermé entre deux grilles dans des cabines sans aucune aération, le confort est approximatif. En août 2009 l’expert architecte mandaté par le Tribunal administratif de Grenoble mesurait une température de 31°C, et une humidité supérieure à la normale. Il y a quelles années un réaménagement des parloirs avait été envisagé. Le projet est resté dans les tiroirs. Mais une nouvelle étude est en cours, au niveau de la direction interrégionale des services pénitentiaires, pour réhabiliter entre autres, les parloirs de Varces.
30 minutes de liberté surveillée
A l’intérieur de la prison, les familles passent plus de temps sans leur proche qu’avec lui. 30 minutes minimum d’attente, de passage un à un sous le détecteur de métaux et encore d’attente. 30 minutes avec le détenu. 30 minutes pour refaire le chemin en sens inverse. Sans compter le temps de trajet. Martine qui vient du Vaucluse mobilise une journée pour son fils. Mais elle a l’autorisation de le voir pendant une heure, une fois par mois. Dans l’autre maison d’arrêt iséroise de Saint-Quentin Fallavier, similaire en capacité d’accueil, les parloirs durent 45 minutes. A Varces, il est « matériellement impossible de faire plus », à cause du manque de salles et « du choix de réserver les matinées aux mineurs et détenus hospitalisés », justifie le Directeur.
Rien ne doit passer non plus par le parloir. Sauf des dessins et photos de famille. Jusqu’à peu, même les bouteilles d’eau étaient interdites, il fallait en acheter à l’intérieur de la prison. Des clémentines, quelques bonbons, un bout de gâteau passent quand même de temps en temps. Des mini transgressions « qui peuvent paraître insignifiantes, mais qui leurs redonnent peut- être un petit gout à la vie » admet Maria, mère d’un condamné. Des actes en apparence anodins mais qui conduisent à des suspensions voire suppression de permis de visite « relativement fréquentes » surtout si la personne « est de mauvaise foi », selon les mots du Directeur.
Dans des parloirs collés les uns à la suite des autres, où chacun peut entendre la conversation du voisin, l’intimité n’existe pas. Elle est même taboue. Le règlement interdit « tout comportement indécent », mais certains couples le brave. Comme Nadine, dont le mari est en détention depuis 12 mois, et qui, dans le jargon carcéral, est enceinte d’un « bébé parloir ». Pour arracher ces moments d’intimité « il faut savoir être discret », lâche-t-elle. Et avoir repéré les gardiens conciliants qui acceptent de surveiller de loin les parloirs.
La famille, un suspect potentiel
Selon le Centre de recherche pour l’étude des conditions de vie (Crédoc) auprès de 227 familles 3, 85% d’entre elles se rendent autant qu’elles le peuvent au parloir. Mais elles doivent patienter plusieurs semaines voire plusieurs mois avant d’en obtenir l’autorisation. En juillet 2009, le compagnon de Julie est condamné à une courte peine. Ils vivaient ensemble mais n’étaient pas mariés. Trois mois plus tard, le Directeur de la prison lui délivre son permis de visite. Parce qu’aux yeux de l’administration, ils ne sont pas suffisamment liés.
Alors la police enquête sur le demandeur de permis. Une enquête administrative rapide, qui consiste à vérifier si la personne est connue des services de police, mais qui est loin d’être une priorité, de l’aveu même de Philippe Malbeck, chef d’état major de la police de Grenoble.
Mais, quand le détenu est encore prévenu donc sous le contrôle du juge d’instruction, la famille peut se trouver sans nouvelle directe de son proche pendant de longues semaines. Bruno Lafay, Chef du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) observe « qu’il peut se passer un mois entre le moment ou le prévenu envoie un courrier et le moment où il est reçu »4 par sa famille. Alors que ce sont les premières semaines de l’incarcération les plus rudes. Le secret de la correspondance n’existe pas. Il passe soit pas le juge d’instruction, soit par l’administration pénitentiaire. Seulement depuis décembre 2009, les détenus ont accès au téléphone. Mais la loi autorise seulement les condamnés à s’en servir. Pas les prévenus, qui attendent leur procès.
Une fois le sésame du permis de visite obtenu, il faudra encore réussir à réserver un parloir. Appeler l’unique surveillant chargé des réservations entre 8h30 et 9h30. D’autant plus que les badges, pour réserver les parloirs à travers une borne magnétique installée à en face de la prison, fonctionnent de manière aléatoire. Mais « la solution technique est en marche » affirme Patrick Motuelle, le Directeur de la maison d’arrêt, sans préciser de date. La surpopulation de la prison complique aussi les réservations de parloirs. En moyenne 300 personnes (voire 350 à certaines périodes de l’année) sont incarcérées dans cet établissement de 233 places. Alors qu’en théorie les maisons d’arrêts ont été conçues pour les personnes en attente de jugement, deux tiers sont des condamnés. Et comme ces derniers n’ont droit qu’à deux visites par semaine, la file d’attente pour les parloirs s’allonge. Mécaniquement.
La famille, une assistante sociale bis
C’est la première fois que Françoise est confrontée à la prison. Dans le flou carcéral, elle « bataille seule », sans l’aide de ses autres enfants et très peu du service social de la maison d’arrêt. « J’ai envoyé ma demande de permis de visite à l’adresse de la cellule mon fils », alors qu’il fallait l’adresser au Directeur. « L’assistante sociale ne m’avait rien dit », justifie- t-elle. A cinq conseillers d’insertion et de probation pour 300 détenus, ils n’ont pas toujours le temps d’expliquer chaque démarche en détail. A défaut, les familles se renseignent auprès des bénévoles de l’Arla, « des personnes géniales et très disponibles ». Si le « maintien des liens familiaux » fait partie des missions du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), Bruno Lafay précise que leur travail « se situe avant tout auprès des condamnés, sur leurs projets d’aménagement de peines et activités en détention ». Pas le temps donc de recevoir les familles. Seulement de les appeler les premiers jours de l’incarcération de leur proche.
D’après le code de procédure pénale, le Spip doit « favoriser la réinsertion sociale du détenu ». Mais il ne l’aide pas directement dans ses projets de réinsertion professionnelle future. Le Spip « renvoie les détenus par exemple vers l’Association régionale pour l’insertion (Arepi), le Pole Emploi et les foyers d’hébergements ». Des organismes qui interviennent une fois que le détenu est sorti ou quand il sait avec certitude qu’il va sortir. L’Arepi suit une trentaine d’ex-détenus de Varces et tient une permanence une fois par mois à la maison d’arrêt. Une permanence qui sert essentiellement les aider dans leurs démarches administratives (dossiers Caf et RSA).
Beaucoup de familles s’investissent alors dans la recherche active de promesse d’embauche, qui peut peser en faveur d’un aménagement de peine. Comme cette compagne de condamné arrivé à mi- peine, qui toutes les semaines écrit « des lettres de motivations, trouve les adresses d’entreprises, appelle la mission locale », alors qu’elle travaille et poursuit des études en même temps. Des efforts redoublés par le sentiment « qu’à l’intérieur ils ne font rien pour eux ». Comme tenu du nombre de détenus, les travailleurs sociaux « fonctionnent sur un système de demandes d’entretiens. Si le détenu n’est pas demandeur, il y a de fortes chances pour qu’il ne soit pas vu », regrette Bruno Lafay.
Des détenus nourris, blanchis…par leur famille
Logés dans des cellules de 9m², les détenus sont à la charge de leur famille. La prison leur fournit le minimum. La location du frigo et de la télévision leurs coûte 24 euros par mois. Avec seulement quatre machines à laver dans la prison pour 300 détenus, ce sont les familles qui se chargent de la lessive de leur proche. En plus de ce service, 70% des familles envoient plus de 76 euros par mois à leur proche incarcéré en maison d’arrêt (Crédoc). En comptant les frais d’avocats et le coût des trajets, les familles dépensent en moyenne 200 euros par mois pour la personne incarcérée. Maria, avec un SMIC et un loyer à 600euros se « prive déjà pour l’aider ». Alors l’interdiction d’apporter des CD et DVD déjà utilisés la dépasse. Ils doivent être neufs, dans leur emballage d’origine. A noël, les familles ont le droit d’envoyer un colis. 5kg maximum. Tous les aliments doivent être cuits et les papillotes déballées. Mais « rien pour Pâques, la fête des pères. Déjà qu’ils perdent leurs repères, ils perdent en plus le goût ».
En l’absence du détenu, certaines familles doivent aussi gérer le logement vacant et ses factures. Le fils de Françoise est entré en décembre dernier à Varces, mais les loyers ont continué d’être débités automatiquement de son compte et il s’est retrouvé interdit bancaire. Françoise a dû rembourser ses frais de banque et arpenter les méandres de l’administration pour obtenir une procuration. Presqu’un mois de démarches et de va-et-vient. Bruno Lafay admet que cet « acte relativement simple peut mettre 15 jours, le temps qu’il passe par le Spip, le condamné, le greffe, qu’il soit renvoyé à la banque et enfin retourné à la prison ».
L’impossible évasion
Toutes les familles ne rendent pas visite à leur proche détenu. Certaines avaient jurées qu’elle ne mettrait pas les pieds dans la prison, que « ça lui servirait de leçon ». Mais rapidement elles s’inquiètent, se sentent coupables « de le laisser tout seul là-bas ». Une mère et sa fille, assises dans le local de l’Arla, plaisantent « on est habituées, tous nos frères sont passés par là ! » mais s’empressent de rajouter « nous sommes plus enfermées qu’eux qui sont derrière les barreaux . » Une manière de dire que contrairement aux idées reçues et malgré les obstacles, la rupture des liens familiaux est plus difficile que son maintien. Pour Maria, c’est une question de survie : « même quand il ne va pas bien, il vient [au parloir]. Je le maintiens en vie ».
Une sœur de condamné ne « part plus en vacances , pour être là dès qu’il se passe quelque chose. » « On est constamment sur le pied de guerre », dit-elle. Le 24 décembre 2009 et le 12 janvier 2010, deux détenus sont décédés dans leur cellule. L’un s’est pendu à son radiateur et l’autre est mort par asphyxie, mais l’origine de l’incendie demeure obscure pour la famille et son avocat. Deux faits qui témoignent de l’insécurité de la maison d’arrêt de Varces et renforcent l’inquiétude des familles. Pierre, qui a quitté son travail en Italie pour se rapprocher de Grenoble, « ne vit pas à cause de tout ce qui se passe dans les prisons ». Deux fois son fils n’est pas venu à son rendez-vous de parloir, « parce qu’il était en promenade selon le gardien ». La semaine suivante son fils lui explique que le surveillant lui aurait assuré qu’il n’avait pas parloir. Impossible de démêler le vrai du faux, mais cette opacité carcérale n’aide pas à trouver le sommeil. Près d’une personne sur deux, rencontrées par le Crédoc en 2000, éprouve des troubles de la fatigue et de l’humeur.
Des familles en voie de considération
Dix ans après le rapport du Sénat sur les prisons françaises, qualifiées « d’humiliation pour la République », le pouvoir politique et l’administration pénitentiaire ont reconnu l’importance du maintien des liens familiaux, avec notamment la création d’Unité de Vie Familiales (UVF). Il en existe dans 10 établissements, 17 d’ici mi-2012. Sur un total de 203 établissements pénitentiaires. Les UVF ne concernent pas les maisons d’arrêts comme Varces, où les détenus ne sont pas censés rester plus d’un an. Mais c’est grâce à la pression du Conseil de l’Europe et du comité européen pour la prévention de la torture (CPT) que l’Etat français s’est décidé à autoriser le téléphone dans les maisons d’arrêts. Les décisions de transferts des détenus par l’administration, tiennent également plus compte de l’éloignement de la famille, et surtout peuvent être contestées devant les tribunaux.
Mais la loi prévoit toujours que les familles ne doivent être prévenues qu’une fois leur proche transféré…Au risque qu’elles viennent à la prison pour rien et en dépit des recommandations européennes. Les nouvelles prisons des années 2000 se voulaient novatrices en construisant des locaux dédiés aux familles. A la maison d’arrêt de Corbas (Lyon), qui a ouvert en mai 2003, la maison des familles est sous surveillance vidéo et contrôlée depuis la prison. Une manière de leur faire une place au sein de la prison. En les assimilant aux détenus.
Si les familles ne sont plus complètement ignorées, leur quotidien reste intimement mêlé à la détention de leur proche. Pour Martine « tout tourne autour de [son] fils. Constamment avec lui par la pensée, je vis la prison avec lui. » Partager la peine, une forme de résistance sourde et quotidienne à l’enfermement de son proche. Pas au sien.
Source : http://blogs.mediapart.fr/blog/ariane-lavrilleux/110313/enfermees-dehors-les-familles-de-detenus-la-maison-darret-de-varces
Centre de détention de Joux-la-Ville (Yonne): condamnée sans avocat à 30 jours de cellule disciplinaire au mépris des droits de la défense
Sanctionnée de trente jours de cellule disciplinaire sans avoir pu bénéficier de l’assistance d’un avocat, Christine R. a saisi ce vendredi 14 juin le Tribunal administratif de Dijon pour obtenir l’annulation de cette sanction. Lors de son passage en commission de discipline, elle avait pourtant exprimé le souhait d’être défendue mais aucun avocat ne lui a été commis d’office par la Bâtonnière de l’Ordre des avocats du barreau d’Auxerre. Cette dernière refuse en effet de procéder à une telle désignation lorsqu’une seule personne comparaît devant la commission de discipline, ce qui était le cas de Christine, au motif que le déplacement d’un avocat pour une seule affaire n’est pas économiquement rentable pour l’avocat désigné. De son côté, la direction du centre de détention a refusé de renvoyer l’audience disciplinaire à une date ultérieure, privilégiant la célérité du prononcé de la sanction au mépris des droits de la défense.
Vendredi dernier, Christine a exercé avec son avocat un recours devant le tribunal administratif de Dijon contre une décision du 25 mars 2013 prise par la commission de discipline du centre de détention de Joux-la-Ville. Ce jour là, elle avait écopé d’une sanction de 30 jours de placement au quartier disciplinaire (sanction maximale qui peut être prononcée) pour avoir, selon le compte-rendu d’incident, « mordu le 1er surveillant L. à l’avant bras » quatre jours plus tôt au cours d’une intervention visant à lui faire réintégrer sa cellule. Immédiatement après l’incident, elle avait été placée en prévention au quartier disciplinaire. Niant les faits, Christine avait demandé à être assistée par son avocat et, en cas d’indisponibilité de celui-ci, par un avocat commis d’office. Le premier ayant fait savoir qu’il ne pourrait être présent, l’établissement avait alors contacté l’Ordre des avocats d’Auxerre afin qu’il désigne un avocat commis d’office. Mais ce dernier s’est également avéré être « indisponible », selon le formulaire renvoyé par l’Ordre et versé à la procédure.
Dans un courrier à l’OIP, Christine raconte qu’elle était la seule détenue à être convoquée devant la commission de discipline de l’établissement le 25 mars 2013 et que, pour expliquer l’absence d’avocat, la directrice adjointe du centre de détention qui préside la commission lui avait déclaré que « les commis d’office ne se déplacent pas pour une seule personne ». Contactée par l’OIP, la Bâtonnière d’Auxerre confirme dans un courrier d’avril 2013 que « si l’avocat se déplace au centre de détention de Joux-la-Ville pour un seul détenu, il perd de l’argent ». En conséquence elle « refuse de missionner un confrère à ses frais » et « ne désigne pas ». Elle précise avoir invité la direction du centre de détention à « regrouper les commissions », l’administration lui ayant répondu que son souci était « d’apporter une réponse rapide à toute infraction à la discipline ».
En effet, Christine indique dans son courrier avoir demandé à la directrice adjointe de l’établissement, lors de sa comparution, l’« ajournement » de l’audience pour que celle-ci se déroule « dans les règles », c’est-à-dire en présence d’un avocat. Selon elle, c’est son placement en « prévention » en cellule disciplinaire depuis la date de l’incident qui avait conduit la présidente à refuser ce renvoi. Cette mesure, qui ne peut être décidée que si elle « est l’unique moyen de mettre fin à la faute ou de préserver l’ordre à l’intérieur de l’établissement », et qui ne peut durer plus de 48 heures (délai prolongé les week-ends en pratique) est fréquemment invoquée par l’administration pour justifier des refus de renvoi d’audience, afin de ne pas avoir à réintégrer le comparant en détention « ordinaire ». Contactée par l’OIP le 9 avril 2013, la direction de la prison a refusé tout commentaire sur le déroulement de l’audience, confirmant cependant que « les audiences de détenus placés en prévention ne peuvent être renvoyées, c’est la procédure ».
De fait, sans même répondre dans sa décision au grief soulevé sur l’absence d’avocat par la comparante, elle avait estimé que « les faits sont avérés et constituent une faute disciplinaire » et était entrée en voie de sanction. Selon Christine, les personnels de surveillance présents dans la salle l’ont évacué par la force à la fin de l’audience, sur ordre de la présidente, alors qu’elle persistait dans ses protestations.
Quant à la Bâtonnière d’Auxerre, elle conclut dans son courrier que « en tout état de cause, le respect des droits d’un détenu, comme ceux de tout autre justiciable, ne doit pas s’exercer au détriment de l’avocat et du droit qu’a ce dernier de refuser de travailler à ses frais ».
L’OIP rappelle :
– que l’article 91 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dispose qu’au cours de la procédure disciplinaire « la personne peut être assistée par un avocat choisi ou pour l’intervention de cet avocat», le Conseil constitutionnel interprétant ce texte comme une « garanti(e) » de la personne déférée en commission de discipline « d’être assistée d’un avocat au cours de la procédure disciplinaire » (décision du 19 novembre 2009, n°2009-593DC) ;
– que contrairement aux assertions de la direction du centre de détention de Joux-la- Ville, la circulaire DAP du 9 mai 2003 relative à l’application pour l’administration pénitentiaire de l’article 24 de la loi n°2000-321 précise explicitement que « la circonstance que le détenu ait été placé préalablement en prévention ne saurait en soi, justifier qu’il soit dérogé pour la suite de la procédure et notamment pour le passage en commission de discipline, aux garanties édictées par l’article 24 de la loi n° 2000- 321 » parmi lesquelles figure le droit à l’assistance d’un avocat ;
– qu’aux termes de la circulaire DAP du 9 juin 2011 sur la procédure disciplinaire des personnes détenues majeures, « dès lors que la faute disciplinaire est consommée et ne peut se poursuivre ou se renouveler, dès lors que le trouble a cessé ou qu’il est possible d’y mettre un terme par un autre moyen, le recours au placement préventif n’est pas justifié ».
Le 17 juin 2013
Source : http://www.oip.org/index.php/component/k2/item/1084-centre-de-d%C3%A9tention-de-joux-la-ville-yonne-condamn%C3%A9-sans-avocat-%C3%A0-30-jours-de-cellule-disciplinaire-au-m%C3%A9pris-des-droits-de-la-d%C3%A9fense