Un groupe d’experts a fait forte impression, jeudi 14 février, au premier jour de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, à Paris : des détenus ont expliqué sans embarras devant un petit millier de personnes comment ils voyaient la chose, et apporté un souffle d’air frais, maladroit et touchant, devant Christiane Taubira, la garde des sceaux, et les meilleurs spécialistes du champ pénal.
« J’ai été incarcéré à 19 ans, j’en ai 30, a dit Mehdi, emprisonné à Arles. C’est ma première permission de sortir pour venir vous voir. Je n’en ai pas eu pour voir ma femme et mes enfants. Et j’espère que les paroles vont bientôt laisser la place aux actes. » Sylvain, lui, vient de sortir après dix ans de maison d’arrêt : « Ce qui frappe en sortant, ce sont les couleurs du dehors, les odeurs, les bruits. Ce sont des choses qui manquent. En centrale, à Saint-Maur, le champ visuel est de soixante mètres. »
Cinq groupes de détenus ou de personnes placées sous main de justice se sont réunis avec un consultant à Angers, Arles, Bois-d’Arcy, Dijon et Paris, et leurs porte-parole ont lu leurs comptes rendus, en les pimentant de leurs propres impressions. Le constat est à peu près le même partout : « On a perdu nos droits, pas seulement la liberté », « on n’a pas accès aux cahiers d’école des enfants », « les communications téléphoniques sont restreintes, on ne peut pas appeler les portables », « on nous change d’établissement sans prévenir les familles », « les parloirs sont supprimés pour une minute de retard », « on se demande souvent si tout n’est pas fait pour qu’on brise avec nos familles ».
UNE « MACHINE À BROYER »
Les conditions de détention, pour tous, sont indignes. « Le directeur fait ce qu’il veut », « les surveillants, c’est l’arbitraire », « on nous infantilise », « tout est payant et il y a des magouilles », « les plats sont toujours froids, on met deux fils électriques dénudés pour faire chauffer de l’eau », « les faibles sont écrasés, c’est une machine à broyer », les services médicaux « sont dangereux, on distribue des pilules, on fait de nous des légumes », « le travail, pour ceux qui en ont, c’est de l’esclavage. Je me suis cassé le dos à la lingerie pour 1,40 euro de l’heure, et l’administration en prend 30 % ».
Quand on sort, c’est pire. « On est des spécialistes de la vie en prison, mais dehors, on est perdus. On n’a pas l’habitude d’avoir une clé, on la perd tout le temps. » Un ancien détenu a reconstitué sa cellule dans son petit appartement, « pour garder des repères ». Pour Mohammed, « la prison, c’est l’atteinte constante à la dignité, la promiscuité, les brimades. On mélange tout le monde, ceux qui ont écrasé quelqu’un dans un accident et les gens dont la prison est le mode de vie. C’est les conditions de détention qui font la récidive ».
François a raconté « les 22 heures par jour dans un taudis de 6 m2 sans eau chaude », « les jeunes qui fument toute la journée des joints envoyés par parachute » – lancés par-dessus le mur d’enceinte –, l’oisiveté, l’ennui. Sans compter qu’« on côtoie les réseaux de drogue, on apprend à fabriquer des faux papiers. Vous entrez avec un CAP de voleur à la tire, vous en sortez avec un mastère de criminologie ».
Les gens rient. Petit moment de grâce, de voir ces hommes, pour certains condamnés à de lourdes peines, qui sont tellement comme tout le monde. « Ça fait du bien de pouvoir vous parler, presque d’égal à égal, a dit Sylvain. Ou au moins d’être écouté. » Avant de prendre le train pour rentrer en détention.
SOURCE : LE MONDE | 15.02.2013
Sebastian, 12 ans, détenu dix-huit jours à Fleury
Récit Justice . Une succession d’approximations administratives ont conduit un enfant rom en prison cet été, une incarcération illégale.
Par FABRICE TASSEL
«C’est très probablement une première en France», estime Marie Derain, la Défenseure des enfants (et adjointe du Défenseur des droits, Dominique Baudis), pour qualifier les dix-huit jours passés à l’été 2012 par un Rom de 12 ans, arrêté pour vol, dans le centre pour jeunes détenus de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne). Or, en France, l’incarcération des mineurs de moins de 13 ans est interdite. C’est l’histoire d’une incroyable succession d’approximations ayant abouti à la confusion entre deux mineurs.
Apparence. Tout commence par l’interpellation, en janvier 2012, d’un jeune déclarant s’appeler «Raoul Stan». Il se dit Roumain, ne donne d’abord pas son âge, brouille les pistes. Un grand classique lors des interpellations d’enfants roms, où il arrive que les parents remettent d’autorité les plus jeunes aux policiers en sachant qu’ils ne peuvent pas être mis en prison. Devant son apparence juvénile, «Raoul Stan» est placé en retenue judiciaire, la procédure réservée pour les mineurs entre 10 et 13 ans.
Un premier rapport mentionne sans l’étayer la date de naissance du 1er janvier 1998, sans doute parce que s’il a 14 ans, il pourra être placé en détention. Le jeune accepte l’examen médical d’identification osseuse, qui le situe entre 13 et 16 ans. Très décrié, ce système, vieux d’un demi-siècle, est réputé pour offrir une marge d’erreur de dix-huit mois. Fin mars, Dominique Baudis présentera d’ailleurs une recommandation visant à réformer ce système.
A la suite de la retenue judiciaire, l’enfant affirme avoir 11 ans, mais personne ne semble l’entendre. «Raoul Stan» passe en première comparution devant un juge des enfants qui ne lui pose aucune question sur son âge. Mais le convoque pour l’audience devant le tribunal pour enfants le 16 février 2012. Le gamin ne s’y présente pas.
L’histoire bascule : une erreur matérielle dans le jugement attribue en effet à «Raoul Stan» la date de naissance du «23 mai 1997», en réalité l’âge de son coauteur lors du vol. Envolé dans la nature, «Raoul Stan» est alors condamné par défaut à deux mois de prison ferme.
Il réapparaît le 30 juin après une interpellation, encore pour un vol près d’un distributeur de billets. C’est reparti : il déclare cette fois s’appeler Dumitri Droundru, puis Dumitri Gheorghe, et avoir 13 ans. Il est déféré devant le parquet puis présenté à une éducatrice des services éducatifs pour les mineurs délinquants. Il lui donne enfin son vrai nom, et lui assure être âgé de 11 ans.
Le garçon, prénommé donc Sebastian, repasse devant le juge des enfants, à qui il déclare aussi sa vraie identité et ses 11 ans. Mais pour le magistrat, il est devenu «Raoul Stan, né le 23 mai 1997» et condamné à deux mois de prison ferme. Et même s’il ne fait pas ses 15 ans officiels, Sebastian est incarcéré à Fleury-Mérogis, en pleurs.
Le 10 juillet, un membre de l’Observation international des prisons (OIP), en visite à Fleury-Merogis, est intrigué par la jeunesse apparente de ce détenu, et contacte le Défenseur des droits.
Dossier. Marie Derain se rend à la maison d’arrêt : «L’enfant avait un visage particulièrement poupon, des dents très blanches montrant, par exemple, qu’il ne fumait pas», se souvient-elle. Elle découvre alors que ni les services éducatifs ni l’administration pénitentiaire ne disposent de son dossier. Elle apprend aussi qu’une personne (sans doute un parent) a déposé une pièce d’identité prouvant que Sebastian est né le 15 février 2000 (sa vraie date de naissance) : il a 12 ans et n’a donc rien à faire là. Marie Derain décortique les documents et découvre l’inversion des identités des deux coauteurs du vol.
L’ambassade de Roumanie confirme le nom du gamin, qui sort le 18 juillet. Au passage, il a subi un deuxième test d’identification osseuse qui lui attribuait entre 13 et 14 ans. Convoqué avec sa mère le 22 août, il se voit infliger un avertissement solennel et un placement en liberté surveillée pendant un an.