Dans le projet de loi « Justice du XXIe siècle » adopté par l’Assemblée nationale le 24 mai 2016, il est question du juge des libertés et de la détention. Qu’en est-il exactement ?
En effet, parmi toutes les nouveautés qui émaillent ce projet (droit de la famille, état civil, justice des mineurs, actions de groupe, etc.) figure une disposition qui constitue une avancée majeure de notre droit répressif et du statut de la magistrature : la nomina- tion du juge des libertés et de la détention non plus par le prési- dent de la juridiction, mais par décret. En d’autres termes, il sera un juge spécialisé, comme le juge d’instruction, des enfants ou de l’application des peines, bénéficiant d’un véritable cadre statutaire. Loin d’être anecdotique, cette modification constitue l’aboutissement d’un long processus qui, depuis la naissance du juge des libertés et de la détention, a vu le législateur lui confier de plus en plus de compétences et de responsabilités.
Quelles sont les principales étapes de cette construction ?
En créant à l’origine la fonction de juge des libertés et de la déten- tion (L. n° 2000-516, 15 juin 2000 ; art. 137-1 c. pr. pén.), le législa- teur a souhaité confier à un magistrat expérimenté, ayant au moins le grade de vice-président, indépendant du juge d’instruction et du parquet, la responsabilité de la mise en détention provisoire ou du maintien en liberté des personnes, y compris les mineurs déférées devant le magistrat instruc- teur, rompant ainsi avec une tradition très ancienne et mettant fin à de
récurrentes critiques. La loi demande au juge des libertés et de la détention de proposer une analyse autonome et personnelle des situations variées qui lui sont présentées dans le cadre légal. La difficile question de la détention provisoire illustre particulièrement bien l’utilité de cette distance et la pertinence de cette démarche. Il est rapidement apparu au législateur que la fonction de juge des libertés et de la détention trouverait une extension naturelle dans tous les domaines où l’atteinte aux libertés et à la vie privée des personnes serait en jeu. Ainsi, la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, introduisant dans le code de procédure pénale toute une batterie de dispositions visant à réprimer la délinquance organisée (art. 706-73 s.), a attribué au juge des libertés et de la détention de nouvelles fonctions dans le domaine des procédures diligentées par le parquet. Il intervient ici en quelque sorte comme un juge de la mise en état des enquêtes pénales, sous la réserve que, dans ce cas, son seul interlocuteur est le ministère public, l’avocat n’y ayant pas accès. Ses pouvoirs en la matière sont très importants et le contrôle qu’il exerce s’étend sur de vastes domaines de l’enquête préliminaire ou de flagrance : prolongations de garde à vue, écoutes téléphoniques, perquisitions, etc. Ses décisions peuvent orienter l’enquête ou lui faire prendre un tour différent. On peut également citer le contrôle judiciaire ou la détention provisoire avant jugement prévus par les articles 394 et 396 du code de procédure pénale et l’exécution des mandats d’arrêt ou d’amener délivrés contre des personnes par diverses autorités judiciaires (par ex., art. 127, 133, 135-2, 410-1 et 465 c. pr. pén).
Au fil du temps, le juge des libertés et de la détention s’est vu attribuer, en outre, des compétences dans les domaines les plus divers, s’agis- sant de contrôler la mise en œuvre de mesures non contradictoires susceptibles de porter atteinte à la liberté, la vie privée ou l’auto- nomie des personnes. Il s’agit le plus souvent de contrôles admi- nistratifs et de saisies dans les domaines commercial (art. L. 450-4 c. com.), fiscal (art. L. 16 B LPF) et douanier (art. 64 c. douanes). On trouve sa trace dans le code de la défense (art. L. 1521-14 à L. 1521-18), le code de la sécurité intérieure (art. L. 312-12), le code rural et de la pêche maritime (art. L. 206-1) et le code de l’environ- nement (art. L. 218-30). Le législateur lui a également conféré d’im- portantes compétences lors de la rétention des étrangers (art. L. 552-1 s. CESEDA) et de l’hospitalisation sous contrainte des per- sonnes incapables d’exprimer leur consentement (L. n° 2011-803, 5 juill. 2011, puis L. n° 2013-869, 27 sept. 2013).
Précisément, dans ce contexte, quel est l’intérêt de la nomination de ce magistrat par décret ?
Les exemples ci-dessus montrent très bien que, partant de l’unique contrôle de la détention provisoire, le juge des libertés et de la détention est devenu en quelques années, au bénéfice d’une extension considérable de ses compétences dans les domaines les plus variés, y compris le champ civil de l’hospitali- sation sans consentement, un véritable juge de l’investigation et de la contrainte. Peu à peu mais de manière très déterminée, le législateur lui a confié le contrôle de quantité de situations où les personnes subissent, sous diverses formes, une restriction plus ou moins importante de leurs libertés. Or ce foisonnement de compétences, cette richesse de fonctions, s’accommodent mal de la situation actuelle relativement précaire du juge des libertés et de la détention, dont la nomination et le maintien sont décidés par le président de la juridiction. Depuis déjà quelques années, il apparaissait avec évidence que son statut, tel que défini par la loi du 15 juin 2000 dans des conditions très diffé- rentes, n’était plus compatible avec l’accroissement et l’impor- tance de ses charges. Tirant lui-même les conséquences de ses choix, et témoignant aussi de la confiance qu’il place dans la fonction de juge des libertés et de la détention, le législateur souhaite donc conférer à ce magistrat l’habit de juge spécialisé qui désormais lui sied, satisfaisant ainsi non seulement à une ancienne et légitime demande, mais aussi à une évidente néces- sité de cohérence judiciaire.
Source : http://www.village-justice.com/articles/nomination-juge-des-libertes-detention-par-decret,22672.html#7SguX5jAcCPoWwTi.99