Les Journées nationales prison (JNP) prennent fin ce week-end. Cette semaine de débats, organisée tous les ans par la Farapej (Fédération des associations réflexion-action, prison et justice), avait cette année pour thème « La santé à l’épreuve de la prison ». Comment exercer son métier de manière ordinaire dans endroit qui ne l’est pas ? Anne Lécu, médecin à Fleury-Mérogis et auteur de « La prison, un lieu de soin ? » revient sur le paradoxe de cette situation.
Unité carcérale de soins ambulatoires à la maison d’arrêt de Clermont-Ferrand (LA MONTAGNE/MAXPPP)
Depuis la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994, les soins somatiques en prison sont rattachés au ministère de la Santé, alors que jusqu’alors ils dépendaient du ministère de la Justice. Il s’agissait (à l’époque où le sida faisait rage) d’offrir autant que possible le même accès au soin à l’intérieur des murs que dehors, s’il est vrai que la stricte privation de la liberté ne doit pas s’accompagner d’une privation de soins. Si cette loi a modifié un certain nombre de choses (en termes de moyens, notamment), il reste des difficultés.
« On va les soigner en prison »
Qui n’a pas entendu cela dans le discours de tel ou telle ces dix dernières années ? Il faut pourtant rappeler une distinction utile pour y voir clair : la prison n’est pas un lieu de soin. Ou, pour le dire mieux : la finalité de la prison n’est pas le soin mais l’exécution d’une peine, alors que la finalité de l’hôpital est le soin. Pour autant, s’il y a des médecins en prison, c’est bien que la prison peut être une occasion de soin, ce qui est très différent. La prison n’est pas un lieu de soin, c’est un lieu où l’on soigne.
À cette précision, il faut en ajouter une autre. La prison, c’est avant tout un lieu de misère. Misère stricte, matérielle, (qui a conduit à voler, à transporter de la cocaïne), misère affective, psychique, intellectuelle, sociale, sanitaire.
L’occasion du soin, c’est d’abord au soignant de la saisir et de la proposer aux personnes incarcérées. Et lorsque ce soin est imposé (par injonction du juge), au soignant de faire en sorte (mais c’est difficile), que la relation singulière avec ce patient (unique, toujours) puisse être pour lui occasion de prendre soin de lui, et pas seulement de récupérer un certificat pour obtenir des réductions de peine.
La perplexité des soins en détention
Assez vite, le nouveau médecin qui exerce en détention se trouve pris dans une certaine perplexité. Tout d’abord, il se rend compte que son exercice est ordinaire, et que la relation singulière qu’il entretient avec son patient est exactement la même que celle qu’il entretiendrait dehors. Soigner une personne pour une hypertension se fera de la même manière que l’on soit détenu ou non. Le médecin novice réalise d’ailleurs assez vite, comme tous ceux qui interviennent régulièrement en prison, que les détenus sont des personnes comme vous et moi, et que le passage par la prison peut arriver à tout le monde.
Pourtant, voilà qu’on lui pose de multiples questions qui n’ont pas grand-chose à voir avec le soin.
« Madame B. pleure dans sa cellule, il faudrait que vous la voyiez, pour nous dire si elle est suicidaire. »
« La police demande si vous pouvez donner le poids et la taille de Monsieur C., car ils en ont besoin. »
« L’état de Monsieur D. est-il compatible avec le quartier disciplinaire ? ».
« La juge demande si Monsieur F. prend bien son traitement pour la tuberculose. »
« Madame G. demande un certificat pour son avocat, où il serait écrit qu’elle est suivie pour une hypertension. »
La liste pourrait s’allonger.
Rester libre dans notre pratique soignante
Face à cela, il convient de réfléchir avec les autres soignants, de ne pas déroger aux règles déontologiques les plus élémentaires, et de toujours répondre comme soignant à une question qui n’a rien à voir avec la médecine.
– Si la police veut le poids et la taille de Mr C., il lui faut diligenter un médecin expert. Le code de déontologie médical (Art. 105) est strict sur ce point :
« Nul ne peut être à la fois médecin traitant et médecin expert d’un même patient. »
– Si Mr D. demande à voir le médecin au quartier disciplinaire, j’irai. Mais je ne rédigerai pas de contre-indication à une sanction. En revanche, si Mr D. est malade, je l’hospitaliserai. S’il a une jambe dans le plâtre et que les toilettes du quartier disciplinaire sont des toilettes « à la turc », je ferai un certificat contre-indiquant le placement dans ces toilettes, le temps du plâtre.
Il s’agit donc de rester à notre place, de limiter notre pouvoir dans un lieu où il pourrait être démesuré, sans se désintéresser de ce qui arrive. Bref, il s’agit de rester libre dans notre pratique soignante. C’est d’ailleurs le code de déontologie (Art. 5) qui le précise fort bien :
« Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit. »
Le paradoxe du secret médical en prison
Depuis maintenant deux ans, une difficulté supplémentaire est apparue. Un nouveau logiciel pénitentiaire, le Cahier électronique de liaison (CEL), remplace les cahiers d’observation en papier et permet de recueillir d’avantage d’informations sur la personne détenue, via les différents intervenants, au nom d’une idéologie non critiquée : plus on voit, plus on sait ; plus on sait, plus on peut prévoir (la dangerosité ou la vulnérabilité).
Bien sûr, les soignants ne devraient rien écrire dans le CEL, mais le futur logiciel à l’étude (Genesis) « Gestion nationale des personnes écrouées pour le suivi individualisé et la sécurité » prévoit la possibilité d’indiquer le nom du médecin que la personne va rencontrer.
Cette traçabilité de la vie en détention est désormais souvent préférée à la connaissance fine des personnes par les surveillants et les différents intervenants. Seul l’écrit est fiable. Pourtant, combien plus se joue dans les relations interpersonnelles, les seules qui sauvent du désespoir lorsqu’elles sont vraies !
Le CEL accompagne désormais les commissions pluri-disciplinaires uniques (CPU) auxquelles les soignants sont convoqués, (sans être pour autant contraints d’y aller), construites sur le modèle des staff médicaux. Ces CPU sont des rencontres régulières décrétées par la loi pénitentiaire (décret n° 2010-1635), au cours desquelles les différents professionnels intervenant en prison évoquent chaque personne incarcérée (à son arrivée, ou si elle pose problème), afin de décider de son parcours d’exécution de peine.
Mais l’ambiguïté est lourde : autour de la table, le surveillant, le prof, l’aumônier et le médecin qui se retrouvent autour du CEL représentant un détenu virtuel (qui ignore souvent que l’on parle de lui à son insu) ne sont pas issus de disciplines différentes (comme ce serait le cas entre un cardiologue, un chirurgien et un psychiatre), mais de professions différentes ! C’est pour le médecin une place impossible : il ne peut déontologiquement parler. Mais peut-il se taire s’il entend des choses avec lesquelles il est profondément en désaccord ? Voulant bien faire, nous pouvons mal faire faute de réflexion. Nous sommes un certain nombre à penser qu’il ne faut pas participer à ces CPU, mais uniquement aux rencontres institutionnelles de l’établissement.
La menace des dispositifs technologiques
Il faut aller plus loin : les soignants ne devraient pas non plus lire le CEL, au nom du secret médical. Si le médecin veut savoir quelque chose, ce n’est pas au logiciel qu’il faut le demander, mais au patient.
En effet, le secret professionnel des médecins est ainsi formulé dans leur code de déontologie (Art. 4) :
« Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris. »
La garde du secret, ce n’est pas seulement taire ce que l’on sait, c’est aussi fermer les yeux sur ce qu’il n’a pas à connaître (et la vie en détention en fait partie).
L’exercice de la médecine en prison est aujourd’hui plus menacé qu’hier par les dispositifs technologiques qui visent à tout connaître du patient, comme s’il était soumis à un destin qu’il fallait découvrir pour protéger la société. Nous voudrions croire que nous allons prévoir la dangerosité ou le potentiel suicidaire de quelqu’un en collectant plus de données dans des logiciels ou des grilles de calculs statistiques. Résister, c’est avec d’autres penser ce changement rapide et ses implications.
Car ce qui protège vraiment, et du danger, et du désespoir, c’est de renforcer les relations vivantes, discrètes, vraies et confiantes, singulières, avec ces patients qui se défient de nous car tout le monde se défie d’eux.
Source : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/977972-sante-en-prison-l-etablissement-penitentiaire-n-est-pas-un-lieu-de-soin-mais-de-misere.html
La justice oblige une prison à servir des repas hallal
Le tribunal administratif de Grenoble souligne que le principe de laïcité «impose que la République garantisse le libre exercice des cultes».
Le tribunal administratif de Grenoble a enjoint le centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier (Isère) de servir des repas hallal à ses détenus musulmans au nom de la liberté d’exercer sa religion, a-t-on appris ce mercredi. «C’est une décision très importante, la première fois qu’une juridiction administrative condamne un établissement pénitentiaire à servir des plats hallal aux détenus», a réagi Me Alexandre Ciaudo, du cabinet DGK Avocats.
Le tribunal souligne que le principe de laïcité «impose que la République garantisse le libre exercice des cultes» et qu’il ne fait donc «pas obstacle à ce que les détenus de confession musulmane se voient proposer des menus comportant des viandes respectant les rites confessionnels de l’islam».
«Pas de surcoût prohibitif pour l’établissement»
En refusant de proposer des menus hallal, le directeur de la prison méconnaît en outre les dispositions de l’article 9 de la convention européenne des droits de l’homme qui garantit le libre exercice des cultes, a estimé le tribunal.
La distribution de repas hallal n’entraînerait par ailleurs «pas de surcoût prohibitif pour l’établissement» et ne présenterait pas non plus «de difficulté technique particulière», a souligné la juridiction.
La direction du centre pénitentiaire n’a pas souhaité faire de commentaire.
«C’est une décision qu’on va faire connaître», s’est félicité Nicolas Ferran, responsable juridique de l’Observatoire International des Prisons (OIP). Selon lui, si l’administration pénitentiaire n’applique pas cette décision, «elle risque de se retrouver confrontée à une vague de contentieux».
Dans un avis rendu le 24 mars 2011, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, avait déjà attiré l’attention de l’administration sur les «carences alimentaires réelles» de détenus «se plaignant fréquemment de ne pas manger à leur faim» du fait de l’absence de repas respectant leurs prescriptions religieuses.
A l’heure actuelle, «à de rares exceptions près, tous les lieux de privation de liberté sont en état de fournir des repas de nature diversifiée», a souligné Jean-Marie Delarue dans cet avis. Pourtant, très peu de prisons «offrent des aliments conformes à des prescriptions rituelles», avait-il ajouté.
«La fourniture de viandes ou d’autres aliments préparés selon les rites approuvés par les autorités religieuses compétentes doit être recherchée et mise en oeuvre», avait estimé le contrôleur général, précisant que les prix pratiqués pour ces types d’aliments «apparaissent parfois inférieurs à ceux des produits habituellement achetés».
Source : LeParisien.fr