Les 6 et 7 juin 2013, au tribunal de grande instance de Pontoise (95), s’est déroulé le procès du policier conducteur de la voiture qui a tué Lakhamy et Moshin le 25 novembre 2007, à Villiers-le-Bel. Le 15 mars dernier, presqu’un an après leur mise en examen pour faux témoignages – ils étaient accusés d’avoir menti sur la vitesse de la voiture au moment de la collision – , le conducteur et ses passagers bénéficiaient d’une inexplicable ordonnance de non-lieu. Il aura fallu plus de cinq ans de procédures pour que les familles des victimes, constituées parties civiles, voient l’agent Franck Viallet s’expliquer à la barre pour la première fois. Pour les familles, c’était la seule occasion que daignait leur accorder la justice pour tenter d’établir un peu de vérité dans une affaire où leurs enfants ont été salis et leur dignité mise à mal. Maka Kanté, parmi quelques autres habitants de Villiers-le-Bel et des proches de victimes de crimes policiers, est venu soutenir les familles de Lakhamy et Moshin, accompagné de ses trois petits frères. Incarcéré pendant 3 ans, accusé d’avoir participé aux trois jours de révoltes qui ont suivi la mort des deux adolescents et d’avoir tiré sur des policiers, il a finalement été libéré après un acquittement obtenu en octobre 2011 lors de son procès en appel, ce même procès qui a envoyé les frères Kamara derrière les barreaux pour plus d’une décennie. Sur les bancs de la défense, plus nombreux, une vingtaine de policiers sont venus soutenir Franck Viallet. Les quelques journalistes présents seront venus pour rien, l’agenda médiatique de ces deux jours ne laissant aucune place pour le procès d’un « tragique accident de la circulation ».
Près de 6 ans d’attente pour étouffer un double homicide
Assigné devant la chambre correctionnelle de Pontoise pour double homicide involontaire, Franck Viallet, la voix calme, parfois tremblante, livre sa version des faits : celle qui met en scène un héros ordinaire, un bon policier qui n’a pas eu de chance face à un événement jugé exceptionnel; la moto s’est écrasée contre son véhicule, il n’a rien pu faire. Encore « sous le choc », un refrain qui reviendra dans sa bouche ainsi que dans celle du procureur, celui qui conduit sans souci depuis 5 ans (aucun point ne lui a été retiré sur son permis à ce jour) a plaidé son innocence auprès d’une juge plus que clémente à son égard. Après deux jours d’audience, le constat est violent et froid. Les familles des victimes, prêtes à écouter celui en qui elles voient le responsable de la mort de leurs enfants, étaient venues chercher la vérité. En échange, elles ont eu droit à quelques leçons de morale et une série d’humiliations, ainsi qu’à un démontage en règle de la culpabilité policière dans cette affaire.
Face à la quinzaine de journalistes présents dans la salle des pas perdus, le père de Moshin exprime dès son arrivée le petit espoir qu’il entretient encore de voir la justice reconnaître, au minimum, les fautes multiples commises par l’agent de police. Pour lui, « obtenir la vérité serait déjà une satisfaction, pour que Moshin ne soit pas mort pour rien ». Dès les premières heures d’audience, ce qui devait être un procès pour homicide est très rapidement réduit à un simple accident de la circulation, à une discussion technique faite de longs débats sur le respect – ou le non respect – du code de la route par Franck Viallet. La qualification même d’homicide involontaire excluait de toute façon d’évoquer l’intentionnalité du policier, de revenir sur les pratiques de chasse à l’homme de la police dans les quartiers, les courses poursuites. Même sans aller jusqu’à prêter une intention de tuer à Viallet, la répétition depuis des années du scénario de la course-poursuite mortelle et/ou du parechocage aurait suffi pour questionner le sens ce qui dans ce procès a été réduit à un banal excès de vitesse. Comme on pouvait s’y attendre, c’est à tout autre chose que l’on a assisté : la justice ne l’aura dérangé à aucun moment, pas même quand il s’est agi de justifier tous ses manquements (excès de vitesse, pas de gyrophare, etc.) et les contradictions avec les déclarations faites précédemment devant l’IGPN ou le juge d’instruction. L’impression amère, une fois de plus dans cette affaire, d’avoir participé à une mascarade. Plus cynique encore, celle d’avoir participé au procès post mortem des deux gamins. Car le seul « traumatisme » dont il aura été question aura été celui de Viallet, « qui vit avec cela depuis l’accident ». Avec ce procès, une nouvelle fois, les familles n’auront obtenu ni vérité, ni justice.
Un « malheureux accident de la circulation »
Franck Viallet n’aura eu à répondre de rien. Accueilli à la barre par une juge complaisante, il est libre de se contredire dans ses déclarations, et de se montrer amnésique quand cela lui convient. Que s’est-il vraiment passé le 27 novembre 2007 avant le décès de Lakhamy et Moshin ? Viallet s’explique : il était en patrouille comme à son habitude, cette fois-ci pour prêter main forte à ses « collègues » de la BAC, suite au vol d’un GPS dans une voiture, dans le quartier du Puits la Marlière. Deux individus à moto sont recherchés, dont un porte une casquette blanche. Aux dires de Viallet, on ne peut pas pour autant parler d’une « chasse », car celles-ci sont formellement interdites par sa hiérarchie, et surtout ni Lakhamy ni Moshin ne correspondaient au signalement. Il affirme ainsi qu’il ne savait même pas que ces derniers étaient dans son périmètre, il ne les aurait vus qu’au dernier moment, par malchance, lors de la collision.
L’affaire aurait pu être classée rapidement comme simple accident de la route si Franck Viallet n’avait pas ouvertement manqué à plusieurs de ses obligations, rue Louise Michel. En excès de vitesse (64,2 km/h au lieu des 50km/h autorisés) dans un croisement sans visibilité, sans gyrophare pour se signaler aux autres automobilistes ou piétons, et en phase d’accélération juste avant l’impact, Franck Viallet a cumulé les erreurs pour assurer « l’effet de surprise » dans le cas d’une éventuelle intervention. Quand les avocats des parties civiles et la présidente lui rappellent l’existence de deux notes de service émises par la Direction Générale de la Police Nationale (DGPN), celles de juin 2007 et celle de 2010, sur les règles de prudences qu’un policier doit respecter lors d’une intervention sur la route, et sur le bon usage des avertisseurs spéciaux, il répond qu’il n’a pas le temps de tout lire. Quand on lui demande pourquoi il roulait hors du périmètre où les « voleurs » avaient été signalés (quartier de la Roseraie et non au Puits la Marlière), il affirme ne pas connaître le terrain, après trois ans de service dans le secteur. Bizarrement, aucun des quatre policiers dans la voiture ne maîtrisait le terrain ce jour là, démunis qu’ils étaient, sans plan ni GPS. « Je suis passé là comme j’aurais pu passer ailleurs » affirme Viallet. Simple hasard donc. La faute à pas de chance. Sur l’excès de vitesse ? Il déclarera un peu plus tard que « entre 50 et 60 km/H, dans la vie de tous les jours, je ne vois pas beaucoup de différences, je ne suis jamais retourné sur les lieux, je ne me rends pas compte ». Une mission de patrouille où personne ne sait où il est, ni où il va, ni à quelle vitesse il roule? Rien d’anormal. Continuons. À la question « pourquoi ne pas avoir pris contact avec les collègues de la BAC pour mieux connaître l’itinéraire ? », Viallet répond prosaïquement : « On aurait pu le faire, mais on ne l’a pas fait ». Plus loin dans son témoignage, Viallet évoque le manque d’effectifs dans la police pour excuser les absences de l’opérateur radio (qui assigne les missions de patrouille et dont les échanges avec la voiture de Viallet ont été retranscrits) à certains moments de l’intervention, et pour justifier certains oublis des plus louches comme celui de la « feuille de roulage », qui aurait pu fournir des informations clés sur l’intervention, puisqu’elle en est le résumé. Personne n’a eu le temps de la rédiger ce jour là, ou peut-être a-t-elle été tout simplement jetée, explique-t-il sobrement. Aucune version informatique de la feuille de roulage n’aura été retrouvée non plus, contrairement à la procédure habituelle. Des éléments qui disparaissent, un peu comme ces caméras de surveillance qui ne fonctionnaient pas (sans qu’aucune trace de panne ou de dysfonctionnement n’ait pu être retrouvée) le jour où Abou Bakari Tandia mourait dans une cellule de garde à vue du commissariat de Courbevoie en 2005. Là encore, la présidente et ses deux assesseurs n’iront pas chercher plus loin. Pour elles, il ne s’agit que d’un dysfonctionnement malheureux des services de police, qui dépasse le rôle d’un simple agent de police, et qui donc ne peuvent lui être imputés en aucun cas.
Les amnésies de Viallet sont nombreuses et sélectives. Le terrain d’abord. Viallet ne se souvient plus de la rue Louise Michel. Il ne se souvient plus si elle est en sens unique ou non, s’il y a un croisement ou un rond point juste avant, il ne se souvient plus de sa longueur. C’est comme si il n’y avait jamais mis les pieds. Pourtant, il y a percuté Lakhamy et Moshin ce 25 novembre 2007. À l’entendre, il roulait calmement et ne croyait ni être en excès de vitesse, ni en phase d’accélération. De tout cela, il ne se souvient pas, et s’en remet aux conclusions de l’expertise. Pour lui, tout est allé très vite, la mort des deux adolescents pourrait se résumer à ça. Le manque de visibilité dans le carrefour et la réduction de son champ de vision dû à sa grande vitesse? Il regardait sur sa droite au moment où il passait, c’est donc logiquement qu’il affirme n’avoir pas pu regarder à gauche dans le même temps ; les gamins lui ont tout simplement grillé la priorité. « Qu’aurais-je pu faire ? », voilà la question posée plusieurs fois par Viallet d’un air affligé. Question à laquelle bien sûr il n’apportera aucune réponse. Non seulement, i n’a pas vu la moto, ce qui peut se comprendre étant donné sa vitesse de conduite dans un croisement aussi dangereux, mais plus étonnant encore, il ne l’aurait même pas entendu. La moto cross est une moto de compétition non homologuée pour la route, elle fait un bruit qui a été remarqué par des témoins qui habitent à plusieurs dizaines de mètres du lieu d’impact, mais les quatre policiers, pourtant à la recherche d’une moto, eux, n’auraient rien entendu. Le choix de défense du policier est explicite et ne semble étonner ni la présidente, ni le procureur : rien vu, rien dit, rien entendu. Une stratégie facilitée par le fait qu’aucun des passagers de la voiture ne sera entendu à la barre, ils ne pourront donc pas se contredire. Le tribunal se contentera de leurs déclarations écrites, concordant parfaitement entre elles sur la version des événements.
Au tribunal, un policier coupable devient une victime
Dans ce procès tout concourt à évacuer la responsabilité du fonctionnaire de police. Comme ce témoignage d’un autre agent, M. Tenaillon, venu à la barre pour rappeler à quel point les habitants de Villiers-le-Bel, et en particulier ceux de la Roseraie, étaient virulents ce jour là (« on a été attaqués de toutes parts »), alors que M. Viallet est un agent « calme, sérieux et rigoureux, qui n’a pas eu de chance ». Les avocats des parties civiles eux-mêmes se sentent obligés d’insister à plusieurs reprises sur la probité de M. Viallet. Il est hors de question de remettre en cause sa parole. D’autres témoignages sont cités par la présidente, cette fois-ci ceux d’adolescentes présentes au moment des faits, Viallet ne se souviendra pas d’elles, dont un témoignage obtenu sous X, « par peur des représailles ». Tous corroborent la version policière des faits. Entendus par l’IGPS, puis le juge d’instruction, les dépositions des trois autres policiers présents dans la voiture, sont résumées et lues par la présidente. Tous ont été pris par surprise au moment du choc, et affirment que la voiture se déplaçait à une « allure normale ».
La responsabilité de Viallet a été noyée dans de longues heures de discussions techniques avec l’expert en charge de déterminer la vitesse des véhicules et de reconstituer le scenario d’impact le plus proche des faits. Après les débats sur les méthodes choisies par l’expert, la thèse du choc de face entre les véhicules a été évacuée, les vitesses confirmées, ainsi que leurs positions et l’état général après la collision. L’idée que la moto aurait été déplacée par des jeunes ou que la voiture de police aurait été endommagée après le choc est également écartée. En conclusion, la présidente du tribunal choisit d’insister sur le mauvais état des freins de la moto, ses pneus craquelés et sa vitesse, ainsi que sur le non port du casque, et résume l’apport de l’expert par une formule infaillible : « si on comprend bien, c’est la moto qui s’est jetée sous la voiture. Si elle avait eu de meilleurs freins, ça aurait été différent, non ? ».
C’est dans cette même salle du tribunal de Pontoise que les frères Kamara avaient écopé de 12 et 15 ans de prison ferme le 4 juillet 2010 pour « tentative d’homicide sur des agents des forces de l’ordre, en bande organisée ». Or, personne n’avait été tué, et leur culpabilité, à eux, n’aura jamais été démontrée[1]. La présidente d’alors avait fait la part belle aux examens de personnalité des prévenus, y consacrant plusieurs heures, afin de démontrer que tous étaient instables, issus de familles déséquilibrées, délinquants potentiels et donc susceptibles de commettre les actes reprochés. Rapports des experts psychiatres à l’appui. Cette fois-ci la présidente ne s’éternisera pas sur le profil de Viallet. D’ailleurs, ce dernier n’a été soumis à aucun suivi ou examen psychologique. Viallet reconnait avoir peut-être pris une amende pour excès de vitesse un jour, mais sans plus, comme tout le monde. Après tout, son casier est vierge, il est pacsé à une gendarme et est papa d’une fille de 2 ans. Jamais suspendu professionnellement, même après la mort de Lakhamy et Moshin, il a conservé son permis, ses points, et a été muté dans la CRS 34, à Roanne précisément. Une promotion professionnelle dans une carrière et une vie exemplaires, simplement troublées par cet accident de circulation qui ne sera pour lui qu’un simple accident de parcours quand la relaxe sera, en toute probabilité, prononcée.
Les quelques évidences rappelées par les avocats des parties civiles ne suffiront pas à entamer la crédibilité de Viallet aux yeux de la présidente. Maître Tordjman rappellera ainsi à Viallet qu’il aurait dû freiner avant l’intersection, et non accélérer, qu’il était dans ses fonctions, et en excès de vitesse, il aurait donc dû mettre le gyrophare et non vouloir « agir par surprise ». Rien n’y fera. Même si Lakhamy et Moshin ont grillé la priorité, pour lui, c’était le rôle du policier que de ralentir et de les interpeller ensuite. La collision n’a pas pu être évitée du fait des erreurs de conduite de l’agent Viallet, rappelant ainsi que par prudence, au cas où d’autres ne respecteraient pas le code de la route, le policier se doit toujours de rouler moins vite. Dans sa conclusion, Tordjman est clair : Franck Viallet s’est arrogé un droit absolu à passer du fait de la règle de la priorité à droite, il a ainsi contribué à créer les conditions de la mort de Lakhamy et Moshin. Pour Tordjman, la moindre des choses serait de le reconnaître et d’indemniser les familles.
Si Tordjman s’attache à rappeler des faits et des évidences, l’autre avocat des familles, Maître Mignard, entend insister sur la fonction du procès. Il en appelle ainsi le tribunal à prendre une décision raisonnable afin d’ « apaiser les esprits ». Il voit dans la tenue de ce procès une première victoire en elle-même, notamment pour « faire retomber une émotion qui peut être dangereuse ». Émotion qu’il s’est empressé de faire retomber en menant un combat, dit-il, pour qu’une instruction soit ouverte, malgré les réticences de Marie-Thérèse de Givry. Comme souvent dans les procès impliquant des policiers, Mignard, comme la plupart de ses confrères, se sent obligé de dépolitiser le procès en répétant son attachement et son respect à l’égard de la police, de la justice, de la république. Ainsi, s’il affirme, avec de nombreuses précautions oratoires, que Franck Viallet est coupable par négligence, tout au moins pour n’avoir rien fait pour éviter l’accident, il ajoute aussitôt que : « Aucune société civilisée ne peut se passer de police. Les policiers sont un lien précieux dans la population, ils sont indispensables et méritent d’être protégés particulièrement, avec une aggravation des peines lorsqu’ils sont attaqués. Ses prérogatives sont considérables, jusqu’à tirer, bien heureusement, mais doivent s’accompagner d’un cahier des charges, d’un respect de la loi ». Mignard n’hésite pas non plus à s’exprimer personnellement, convaincu qu’il est, dit-il, de la bonté de Franck Viallet. Et de conclure, dans un élan patriotique et avec des relents de mission civilisatrice, que « pour la cohésion sociale et nationale, il va falloir du temps, mais il faut donner aux enfants d’africains nés dans notre pays, à qui on demande de s’intégrer, un droit au droit comme tout le monde, les défendre et les protéger. Cela, il faut le faire, c’est une part du génie français », conclut-il. Des propos assez semblables somme toute à ceux que l’on a pu entendre lors des procès des inculpés de Villiers-le-Bel, dans la bouche du procureur et des juges, dissertant tous sur l’intégration, la république, les « populations d’origine africaine », les « incivilités », la difficulté d’être policier dans ces « zones de non-droit ».
Les familles devant la machine judiciaire
La veille, les interventions des parties civiles qui ont souhaité s’exprimer ont laissé de marbre le tribunal. D’abord, Omar, le grand frère de Moshin, qui se souvient de cette journée minute par minute, contrairement à Franck Viallet, prend son courage à deux mains pour dire à tous ce que lui a vu dans ce procès : la « mémoire sélective de M. Viallet, qui laisse libre cours à la confusion et ne reconnait pas l’homicide »; et Omar lui rappelle que « quand on est un homme, on reconnait ce que l’on a fait ». Il ajoute avec une rage contenue et sincérité que ce jour là : «j’étais tellement remonté que si j’avais eu un fusil dans la main, j’aurai tué un flic. Mais j’ai une mère formidable, elle m’a enfermé pendant quatre jours dans ma chambre avec mes cousins pour que je ne fasse pas de conneries ». La présidente qui n’écoute que d’une oreille le laisse parler une petite dizaine de minutes avant de l’interrompre et de lui demander s’il connaissait bien Moshin ! Omar répond immédiatement : « Madame la présidente, évidemment puisque Moshin était mon frère… ». À peine confuse, elle se reprend et repose la même question mais sur Lakhamy cette fois, avant de le questionner sur ce qui l’intéresse le plus, à savoir si la moto avait un propriétaire ou si elle était volée. Une question, une insinuation qui montre qu’au fond pour la présidente, la vraie « victime » porte l’uniforme et se trouve devant elle, bien vivante
Le ton scientifique de l’expert et ses explications méthodiques contrastent avec la prise de parole de M.Sehhouli , père de Moshin et Omar, qui éclate en sanglots dès les premiers mots. L’importance du moment le fait fondre en larmes devant la juge, qui lui demande de se rasseoir le temps de se ressaisir et d’auditionner une autre personne. M. Sehhouli se met en retrait mais poursuit son intervention en rappelant que cinq ans d’attente c’est très long, que s’il avait pu empêcher son fils de faire cette bêtise, il l’aurait fait, mais qu’il a confiance dans « la justice qui fait son travail ».
La dernière à s’exprimer parmi les parties civiles est une des sœurs de Lakhamy. La voix tremblante et stressée lorsqu’elle prononce ses premiers mots, elle réussit à se ressaisir pour faire face à la juge et rappeler que Lakhamy et Moshin n’étaient pas des voyous comme on a voulu le faire croire à la France entière, mais deux jeunes sérieux, avec des projets et travailleurs. Ce qui a le plus choqué sa famille rappelle-t-elle, c’est de voir le corps de son frère étalé sur le sol dans la caserne des pompiers. En tant qu’aide soignante, elle déclare « je connais la mort, je sais ce que doit être la prise en charge d’une personne morte. Là, il était parterre, c’est incompréhensible, je n’avais jamais vu ça ». Elle termine sa courte intervention par une adresse à Franck Viallet : « depuis ce matin, j’entends M. Viallet dire « j’ai oublié ». Moi, je vais vous dire que ce jour là je m’en rappelle de bout en bout. Répondre à chaque fois par « j’ai oublié », c’est trop facile ! ».
Ces prises de positions des familles ne seront que de peu de poids face à la rhétorique du procureur. Le procès est celui de Franck Viallet, pourtant dans ses propos, les faits sont présentés de telle sorte à ce que ce soient Lakhamy et Moshin les principaux responsables de leur propre mort. « Il a fallu six ans pour que la thèse de l’accident volontaire disparaisse. Le temps de la colère s’est exprimé. Maintenant est venu le temps de la raison ». Un procureur qui dissimule mal une hypocrisie rebutante quand il déclare, d’un ton paternaliste qui ne le quittera pas, qu’il entend dire une « dure vérité » aux familles. En leur reprochant, par des formules plus ou moins indirectes, leur « manque d’autorité » qui les a conduit à laisser leurs enfant rouler sur « des engins dangereux », le réquisitoire du procureur consistera à salir la mémoire des deux adolescents et à blanchir le policier, présenté comme un homme blessé, pris dans une situation qu’il n’a pas cherchée. Une bonne partie de son réquisitoire a consisté à minimiser un rapport d’expertise qui montrait pourtant les fautes commises par Viallet, en instant sur l’importance de juger les faits « en consience », et non sur la base des éléments objectifs à charge. Le procureur a pris le partie de décrédibiliser les méthodes et conclusions de l’expert, pourtant habituellement indiscutables dans d’autres procès, comme ceux des révoltés de Villiers-le-Bel. Voici à quoi ressemble « la raison » défendue par le procureur : à l’attitude présumée calme des policiers, il oppose l’attitude insouciante des adolescents sur leur moto. « Par leur vitesse démentielle », c’est bien eux qui ont mis leur vie en danger et celle d’autrui par la même occasion. « Les policiers risquent leur vie professionnellement, eux l’ont risqué pour le plaisir ». Le procureur parle de « légère imprudence », qui lui paraît difficile de reprocher à M. Viallet. « M. Viallet, dit-il, est un homme désolé, bouleversé, abattu par le drame. Ce n’est pas une posture. Faut-il ajouter une condamnation à toutes ses souffrances ? ». La boucle est bouclée.
Face à ce qu’il décrit comme un « cas limite », il établit deux poids, deux mesures. La faute de Franck Viallet n’est ni prouvée, ni « exclusive » pour le procureur. Non prouvée car, dans le croisement, la voiture était beaucoup plus visible pour la moto que la moto ne l’était pour la voiture. Non exclusive car Lakhamy et Moshin étaient bien en faute. Franck Viallet ne serait donc pas condamnable, et ne sera pas condamné. Ce d’autant plus, affirme le procureur, que dans la jurisprudence c’est du jamais vu, et que de toute façon « lorsque le doute subsiste, il doit toujours profiter au prévenu ».
Ce « doute favorable », les frères Kamara, et plus généralement les incarcérés de Villiers-le-Bel, n’en ont profité à aucun moment.
Le délibéré sera rendu le 13 septembre 2013.
Collectif Angles Morts
[1] Collectif Angles Morts, Vengeance d’État : Villiers-le-Bel, des révoltes aux procès, Syllepse, 2011.
Nouveau témoignage concernant les conditions de détention à Seysses
« Les surveillantes exercent leur toute puissance sur les détenu-es de manière arbitraire et font preuve de sadisme, et bénéficient de la complicité de la direction qui les couvre »
Bonjour Canal Sud,
je vous écris pour apporter mon témoignage au sujet des mauvais traitements dénoncés à la M.A.F. de Seysses. J’ai été incarcérée pendant quelques mois dans cette prison il y a peu de temps et je ne peux que confirmer ce que disent les détenues dans leurs courriers.
Durant cette période d’enfermement j’ai assisté et/ou vécu plusieurs scènes dont je vous fais une liste, non exhaustive, ci-dessous :
• Régulièrement et pour des raisons injustifiées les parloirs sont annulées alors que les familles sont là et à l’heure.
• Les surveillantes lisent tout les courriers avant de les distribuer et divulguent volontairement leurs contenus à qui veut bien les entendre.
• Une détenue malade a été privée de nourriture parce que les surveillantes exigeaient qu’elle se lève elle-même pour prendre le plateau repas que sa codétenue était prête à lui récupérer pour l’aider.
• Les infirmier-es et médecins ne respectent pas le secret médical et divulguent des informations non nécessaires aux surveillantes.
• Une détenue a attendu près d’un mois avant de pouvoir subir l’intervention dont elle avait besoin, elle a faillit faire une septicémie tellement la prison a mis de temps à l’envoyer à l’hôpital.
• Alors que les femmes blanches et parlant français sont appelées par leur nom, les autres sont bien souvent désignées par leur nationalité ou région d’origine.
• Il n’y a aucun moyen de traduction mis en place par l’A.P, qui ainsi exclut la possibilité aux non francophones d’accéder aux même droits que les autres.
• Après chaque parloir les surveillantes effectuent une fouille totale à nu automatiquement sur chacune des détenues alors que cela n’est pas obligatoire. la fouille se fait dans un recoin mais tout le monde peut voir. C’est une pratique non nécessaire et rabaissante.
• Certaines détenues attendent plus d’un mois pour recevoir les repas adaptés à leur régime alimentaire.
• Les surveillantes, soit parce qu’elles ont la flemme de faire leur travail, soit simplement par vengeance, pratiquent la technique de l’oubli, c’est à dire qu’elle laissent les détenues dans la salle d’attente parfois pendant des heures (où il n’y a rien, ni toilette, ni eau, ni occupation)
… et j’en passe…
Ce peut paraître des détails mais lorsqu’on est privée de liberté les proportions ne sont pas les mêmes. Ce qui est certain c’est que les surveillantes exercent leur toute puissance sur les détenu-es de manière arbitraire et font preuve de sadisme, et qu’elles bénéficient de la complicité de la direction qui les couvre. Je ne suis donc pas surprise que les problèmes à la M.A.F soient niés en bloc par l’A.P, qui en plus en profite lâchement pour pleurnicher sur ses conditions de travail. Si je vous écris aujourd’hui c’est pour soutenir ces détenues et dans l’espoir que les média arrêtent de mettre en doute leurs propos.
Vous comprendrez que je ne signe pas de mon nom.
Transmis par le Comité d’Autodéfense Juridique