L’administration pénitentiaire embarrassée

La décision est passée inaperçue, mais elle embarrasse l’administration pénitentiaire. Le 16 septembre 2010 à Poitiers, l’Etat a été condamné, par le juge des référés, à verser des indemnités – de 500 à 2500 euros – à neuf détenus dont l’avocat Me Lee Takhedmit avait dénoncé les conditions d’incarcération, « indignes » selon lui.

Alors que certaines prisons françaises font l’objet de critiques récurrentes pour leur vétusté, de telles poursuites se multiplient. Des dizaines de cas sont signalés à Paris, Marseille, Orléans, Caen, Angers, ou encore en Guadeloupe et en Guyane. Sollicitée par L’Express, la chancellerie se dit « sereine ». Mais un document dont nous avons connaissance tend à prouver le contraire. Il s’agit d’un mémoire en défense produit par le ministère, le 6 juillet dernier, devant le tribunal administratif de Nantes, lors d’une affaire du même type. Ce texte évoque un « contentieux abondant et nouveau […] qui devrait encore augmenter dans des proportions inquiétantes ». Autrement dit, le ministère redoute bien que les récentes condamnations donnent des idées aux 60 789 détenus du pays. L’auteur souligne les risques d' »appel d’air ». Auquel cas, conclut-il, « l’argent public servirait au moins en partie à indemniser plutôt qu’à investir ».

Source : http://www.lexpress.fr/actualite/indiscrets/l-administration-penitentiaire-embarrassee_925531.html

 

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Saint-Brieuc. Début de mutinerie à la prison : six mois ferme

Le 13mars, une discussion entre des détenus, réunis dans la salle de musculation à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc, avait dégénéré, entraînant un début de mutinerie. Hier, l’instigateur principal était jugé devant le tribunal correctionnel de Saint-Brieuc. «Violence gratuite» Ce jour-là, le prévenu, âgé de 26ans, aurait «pété un câble, supportant mal son enfermement», selon ses dires. Celui-ci se serait emparé d’une barre de fer, l’aurait fait tournoyer avant qu’elle ne vienne se planter sur le mur, frôlant la tête de l’éducatrice sportive, présente dans la salle. Un surveillant alors appelé a juste le temps de la faire sortir et de verrouiller le local. Le prévenu fracture alors l’oeilleton en verre de la porte et tente, par cet orifice, d’atteindre le personnel de surveillance dans le couloir en agitant une barre de fer. L’avocat des parties civiles a insisté sur «la violence gratuite subie par l’animatrice sportive, mise à disposition en milieu carcéral par une association…». Lors de ces incidents, la salle de sport avait été mise à sac; des injures et des menaces à l’encontre du personnel pénitentiaire avaient été inscrites sur les murs. Jean-Louis Govindin a été condamné, hier, à six mois de prison ferme.

source : http://www.letelegramme.com/ig/generales/regions/cotesarmor/saint-brieuc-debut-de-mutinerie-a-la-prison-six-mois-ferme-26-04-2012-1682080.php

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FEMMES EN PRISON, LA MORT LENTE

Jamais les prisons françaises n’ont été aussi remplies depuis la Libération. Répression plus forte, allongement des peines et recours accru à la détention provisoire conduisent à une augmentation du nombre des détenus, qui, en juillet 2003, a atteint le chiffre record de 60 963… pour 48 600 places. Si les femmes sont nettement moins nombreuses que les hommes (2 275), leur effectif a quasiment doublé depuis 1980 (1 159).

« Lorsqu’une femme arrive en prison : a) On la met dans une baignoire et on l’asperge d’un produit désinfectant, on la laisse macérer un quart d’heure et on la rince…

b) On la conduit chez un docteur, on la vaccine contre la rage, le choléra, la malaria…

c) On l’enferme dans une cellule avec son paquetage et elle attend.

Pourquoi le poivre est-il interdit en prison ? a) Parce que c’est un aphrodisiaque. b) Pour éviter que les détenues en jettent dans les yeux du personnel. c) Pour qu’en l’avalant elles ne se transforment pas en dragons…

Combien gagne une femme qui travaille en prison ? a) Deux euros par heure. b) Trois. c) Onze. »

Aujourd’hui, c’est Fanny Ardant qui est ainsi soumise à la question. Il y en a dix. Posées par l’équipe de Radio-Meuf, sous le charme de leur invitée tout comme la cinquantaine de femmes qui constituent le public de cette singulière émission, réalisée hebdomadairement par les détenues à Fleury-Mérogis. Conduite par des « pros » formées à la diction, la respiration, l’écriture, cette expérience unique en Europe existe depuis seize ans grâce à l’Association de recherche d’animations culturelles, qui milite pour la réinsertion (1). Accueillie par un « Elle est canon ! » admiratif, la vedette n’échappera pas pour autant aux questions impertinentes et pertinentes : « D’où vous vient cette réputation de mythomane ? » ; « Que pensez-vous de la guerre contre l’Irak ? ». Mais le courant passe et le moment est joyeux. Pour un peu, on oublierait où l’on est… Dans les coulisses, l’émission terminée, on est vite rattrapé par la réalité : « Je passe toute une journée à ranger des perles, et, au bout de mille tubes, j’ai à peine gagné 10 euros », jette Laure, qui a tout juste 20 ans (2). Elodie, à peine plus âgée, a fermement décidé que, pour ces tarifs-là, elle n’était pas près de travailler. Une contrainte économique à laquelle elle peut échapper et qui lui permet de reprendre des études. Fleury-Mérogis pourrait presque faire figure de prison « haut de gamme », car les activités, cours, formations y sont nombreux, et des programmes pédagogiques d’aide aux femmes détenues semblent attester un réel souci de réinsertion. Pour Carole, toutes ces dispositions ne sauraient faire oublier la brutalité de l’enfermement, qui génère régulièrement des suicides, « parfois plusieurs sur une période très courte ». La prison, ce n’est pas seulement les conditions de détention, c’est aussi la longueur des peines. « Depuis la nomination de Nicolas Sarkozy, on voit les femmes rentrer du tribunal avec des condamnations qui ont été multipliées par deux ou par trois pour des délits mineurs. Ce prix à payer pour la promotion de sa campagne sécuritaire, c’est très angoissant. » Les prisons françaises ont atteint en juillet 2003 un record historique de surpopulation(3). Dénoncé par le Syndicat de la magistrature, le projet de loi Perben va entraîner une sur-répression des populations défavorisées. A Fleury-Mérogis, elle est déjà à l’oeuvre. Mayra, 23ans, est guatémaltèque. Sa fillette de trois mois a ouvert les yeux en prison. Elle était enceinte de quelques semaines lorsque « le ciel [lui] est tombé sur la tête ». Elle transporte un demi-kilo de cocaïne avec son mari, qui en a ingurgité le double. « Une capsule s’est déchirée. Il est mort sur le coup. Je ne savais même pas que cela pouvait arriver ! » De la France, elle ne verra que Roissy et Fleury-Mérogis. « Dans mon pays, la situation économique est terrible. j’avais un diplôme de secrétariat mais pas de travail, mon mari non plus. Nous vivions chez mes parents avec mon petit garçon, qui a aujourd’hui six ans. Nous avons tenté le tout pour le tout. » Liliane vit depuis quinze ans en France. En Guyane. Après avoir fui le Surinam déchiré par la guerre. « En 1987, j’ai tout perdu. Toute ma famille a été tuée sauf ma mère, blessée, amputée, et ma soeur, réfugiée en Hollande, avec laquelle je suis restée en contact. J’ai passé trois ans dans un camp de réfugiés à Saint-Laurent-du-Maroni. » A 35 ans, elle est mère de deux filles de 14 et 15ans, dont l’une a été confiée à une amie et l’autre est restée avec le père, dont elle est sans nouvelles. Condamnée sur dénonciation à quatre ans de prison pour trafic de drogue, elle est perdue, sonnée. « En arrivant ici, je ne savais pas parler français. En Guyane, tous les gens comprennent notre langue, le taki-taki. Mais ici, personne. Cette solitude, c’est trop dur. Je suis toujours malade, c’est trop de stress. » Pour Maria, 20ans n’est pas le plus bel âge de la vie. Américaine métisse, née dans le Bronx, élevée seule par sa mère qui a de graves problèmes de santé et qui est à sa charge, elle se retrouve seule à son tour avec un enfant et doit subvenir aux besoins de « ce trio mal ficelé par le destin » en travaillant dans des bars. « Après le 11 septembre, économiquement c’est devenu beaucoup plus dur. » Francfort-Paris-New York : 6 kg d’ecstasy dans ses bagages. « Je pense qu’on m’en aurait donné à peine de quoi vivre quelques mois, mais je n’ai pas réalisé. » Elles sont algériennes, polonaises, angolaises, nigérianes, sud-africaines, boliviennes, brésiliennes, philippines… Avec 68 % de femmes étrangères emprisonnées, Fleury-Mérogis semble devenue l’annexe du tiers-monde et occupe une place particulière dans le paysage carcéral français. « Toutes les femmes arrêtées à Roissy atterrissent à Fleury », indique la directrice de l’établissement, pour qui la multiplicité des origines pose des problèmes spécifiques « de communication mais aussi de repères culturels ou de pratiques alimentaires ». Trafic de drogue, proxénétisme, infraction à la législation sur les étrangers sont les délits les plus représentés. Pour les premiers, les femmes se retrouvent aussi condamnées à des amendes douanières exorbitantes. Incapables de les acquitter, elles se voient appliquer des contraintes par corps qui les cloîtrent encore un an ou deux au moment où elles seraient libérables. Au sein même de l’administration pénitentiaire, le constat de ces délits fabriqués par la pauvreté est évident : « La plupart des femmes travaillent et envoient de l’argent à leur famille. Non seulement elles ne sont pas assistées, mais ce sont elles qui soutiennent l’extérieur. » Pour cette surveillante-chef qui a auparavant travaillé dans des établissements pour hommes, ce qui singularise la population carcérale féminine, c’est sa très grande vulnérabilité. « Les femmes sont peu nombreuses à exercer la violence, mais elles l’ont en général toujours subie. » Dans l’univers carcéral, la femme est loin d’être la moitié du ciel… En France, elles sont 2 275, pour presque 60 000 hommes, soit 3,7 %. Un chiffre stable, à l’image du paysage mondial. En Europe, ce sont l’Espagne et le Portugal qui embastillent le plus les femmes (9 % et 10 %), très au-dessus de la moyenne qui reste celle de la France. Des données qui ne semblent pourtant pas piquer la curiosité. Le nombre de travaux et de recherches sur le sujet est assez restreint. Pour Me Benoît Dietsch, si les femmes sont moins délinquantes que les hommes, elles sont aussi moins sanctionnées, ce qui, à l’heure de la revendication de la parité, fait figure d’anachronisme : « Mais, si l’ensemble de la population pénale est avant tout caractérisé par la pauvreté, la précarité et l’exclusion, c’est encore plus vrai pour les femmes, dont la détresse est toujours plus patente. » Cette fragilité sociale et psychologique serait donc prise en compte. Elles seraient la plupart du temps considérées comme des complices, entraînées par des hommes plus que par leur propre volonté. Sur cette approche juridique se greffe aussi la question de la maternité, qui va inciter les juges à une plus grande clémence. A l’inverse, constate un autre avocat, Me Jean-Louis Chalanset, « lorsqu’elles sont vraiment tenues pour responsables, pour trafic de stupéfiants, proxénétisme aggravé ou dans les affaires politiques et de terrorisme, elles reçoivent des sanctions plus lourdes et sont traitées plus durement ». A Fleury, « les prisonnières politiques sont toujours stigmatisées par des étiquettes rouges », rapporte aussi Fabienne Maestracci(4), qui fut emprisonnée treize mois dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat du préfet Erignac, et « leurs déplacements relèvent de stratégies élaborées afin qu’elles ne se croisent pas et ne communiquent pas entre elles ». Mmes Joëlle Aubron et Nathalie Ménigon, les deux prisonnières d’Action directe, classées « détenues particulièrement surveillées », y sont restées incarcérées sous un régime d’isolement très strict entre février 1987 et octobre 1999(5), alors que leurs condamnations, prononcées en 1994, auraient dû leur permettre d’être affectées dans un établissement pour longues peines(6) et de bénéficier ainsi de conditions de détention améliorées. Soixante-trois établissements pénitentiaires sur cent quatre-vingt-six peuvent recevoir des femmes. Quatre maisons d’arrêt, Fleury-Mérogis, Fresnes, Rennes et Versailles, et trois centres de détention, Rennes, Bapaume et Joux-la-Ville – sur des critères d’identification parfois flous, les maisons d’arrêt abritant souvent des femmes condamnées -, sont situés dans la moitié nord de la France, ce qui pose des problèmes considérables de maintien des liens avec les proches. « Les coûts en train, taxi, hôtel rendent les visites inaccessibles aux familles, alors que les femmes pâtissent déjà de situations d’abandon décuplées », constate Geneviève, visiteuse bénévole en région. Les autres établissements constituent des annexes au sein des établissements pour hommes, où le faible nombre de femmes autorise toutes les absences de formations, de services et d’activités. Il n’existe pas de quartiers différenciés pour les mineures, et seulement vingt-cinq établissements sont équipés pour recevoir les mères et leurs enfants – qu’elles peuvent garder avec elles jusqu’à dix-huit mois. Une cinquantaine de mères incarcérées donnent la vie chaque année. Hilaria n’en finit plus de sourire. Elle a des yeux vifs et pétillants, et, arc-boutée sur ses jambes, elle prend un plaisir évident à marcher, trotter, s’échapper. Hilaria a tout juste douze mois. Née d’un moment d’intimité volé par ses parents, tous deux emprisonnés, « elle est un « bébé-parloir », en quelque sorte un « bébé-bombe » pour l’administration pénitentiaire ». « J’ai aussitôt été transférée de Marseille à Joux-la-Ville, près de Dijon, puis à Fleury-Mérogis, et j’attends une conditionnelle que je n’obtiens pas », indique sa mère, qui, condamnée il y a dix ans à dix-huit ans de prison pour homicide, a le sentiment que « chaque année supplémentaire passée en prison construit de la haine ». La nurserie semble pourtant un îlot privilégié. Les cellules sont plus spacieuses et plus aménagées, et surtout restent ouvertes durant toute la journée. Mères et enfants peuvent aller de l’une à l’autre et partager des espaces communs. Il y a des parcs à jeux et un jardin. « L’enfant est libre, déclare sans sourciller la surveillante de journée, et c’est plutôt la mère qui bénéficie du traitement qui est mis en place pour lui. Les enfants sont suivis une fois tous les quinze jours par une équipe médicale (psychologue, pédiatre, sage-femme…), avec qui nous avons des réunions régulières. Notre rôle est d’alerter. Il existe des cas d’enfants maltraités, mais ce n’est pas la règle, et, aussi surprenant que cela puisse paraître, les enfants sont plutôt très éveillés. Sans doute parce que, jusqu’à dix-huitmois, c’est la relation avec la mère, dont ils ne sont pas séparés, qui est vitale. » Mais comment savoir ce qu’intègre le tout-petit en l’absence de lignes d’horizon, des bruits et des rythmes de la ville ou de la campagne ? Que produiront cette relation exclusive avec la mère et le manque de repères affectifs élargis, en tout premier celui du père, mais aussi d’autres proches, et de toute présence masculine ? Et le sevrage brutal après dix-huitmois d’avec celles qui n’auront pas accompli leur peine ? Si certains enfants sortent quasi quotidiennement pour aller dans leur famille, des familles d’accueil ou des haltes-garderies, c’est loin d’être le cas pour tous. « Il y a actuellement neuf enfants et seulement deux places de garderie. Ce sont prioritairement les Françaises qui en bénéficient. Je ne peux ni travailler ni m’échapper pour suivre le moindre cours. Etrangère, je ne bénéficie d’aucune aide ni allocation. L’argent est un vrai problème en prison. Toutes les relations passent par là. Je voudrais louer une télévision pour ma petite Pamela, mais, à 9 euros la semaine, c’est impossible. » Pamela et sa mère attendent de regagner la Colombie. Elles sont libérables depuis deux mois, mais, bizarrement, la procédure d’expulsion est extrêmement longue. Sans ressources, sans famille, sans amis, elles se sont vu répondre par une éducatrice débordée qu’il fallait « écrire à la préfecture ». Une logique qui, au lieu de s’en prendre à la pauvreté, s’en prend aux pauvres ! « La taille moyenne d’une cellule est de 9 mètres carrés. Ce n’est jamais un espace à soi. On doit y être visible de jour comme de nuit. On se sent harcelée jusque dans le sommeil. Les cellules sont fouillées régulièrement et arbitrairement, chaque fois que l’administration le décide. On est dépossédée de toute intimité. J’ai vu des femmes pleurer d’impuissance. » A son arrivée, Marietta a l’impression qu’« être en prison, c’est être morte ». Depuis 1983, le droit de correspondance avec toute personne, pour les condamnées comme pour les prévenues, est reconnu. Depuis 1987, le travail n’est plus obligatoire. Il reste incontournable pour toutes celles qui sont privées de ressources : cuisine, ménage, intendance, couture, pliage de cartons, conditionnements divers… pour des salaires dérisoires et extrêmement élastiques, entre 100 et 800 euros par mois, selon les tâches et les lieux, et sur lesquels seront encore décomptés des frais d’entretien par l’administration pénitentiaire. La législation du travail ne s’applique pas aux détenues, qui n’ont aucune garantie sociale et aucun recours en cas de perte de leur activité. Outre la liberté, en rentrant en prison, les femmes ont toutes le sentiment de perdre leur identité. « J’entendais mon nom prononcé comme s’il était devenu un autre. Peut-être parce qu’il était amputé de son prénom. En plus de l’enfermement, du manque à vivre, du manque à être et à aimer, il y aurait cette relation permanente de frottement et d’affrontement avec la gardienne. Elle aurait cent visages et reviendrait comme cent cauchemars hacher les heures de la journée. » Pour Betty, cela confisquait tout espace de tranquillité. Evelyne, qui n’avait jamais supporté la solitude, mangeait debout devant sa glace, « pour voir quelqu’un, pour ne pas me sentir seule », et réalisait qu’« on n’a soudainement plus personne à regarder et [qu’]on n’est plus regardée par personne ». Annie découvrait que « n’importe qui pouvait atterrir en prison, mais surtout les personnes défavorisées, comme si les rôles étaient déjà distribués » et que les transgressions des femmes racontaient surtout « d’effrayantes fragilités et dangerosités pour elles-mêmes ». Paradoxalement, « la prison peut, pour certaines, représenter un asile. Imaginez alors d’où elles viennent… ». En animant un atelier d’arts plastiques à Fleury-Mérogis, Marie-Paule, qui rencontre quelque 60 détenues par an, les plus structurées, « l’élite » qui garde des capacités de sociabilité, est aussi frappée par cette grande misère – sociale, affective et intellectuelle – et par l’hétérogénéité des personnes. « Lorsqu’il y a des parcours de vie difficiles, n’importe qui peut se retrouver en prison. Or la méconnaissance et les préjugés restent forts. La prison consiste à se débarrasser des problèmes. Cela protège la société et on ne veut pas savoir ce qui s’y passe. » Les infractions pour lesquelles les femmes sont condamnées sont pourtant révélatrices de leur condition : elles sont surreprésentées dans les contentieux familiaux et économiques, et sous-représentées dans les infractions à caractère violent. Selon la photographe Jane Evelyn Atwood, qui a travaillé depuis 1989 sur l’incarcération féminine en Europe, en Russie, aux Etats-Unis(7), « si les femmes en prison sont plus nombreuses aujourd’hui, c’est parce que les lois concernant la drogue ont été modifiées et que la politique pénale a changé ; 89 % des femmes sont enfermées pour des délits non violents, chèques sans provision, vols de chéquiers, fausses cartes de crédit, usage ou vente de stupéfiants. Presque toujours, les premiers délits sont liés à la drogue, et de plus en plus de femmes sont arrêtées et condamnées pour ces motifs ». Les femmes emprisonnées sont jeunes : une sur quatre a moins de 25ans et une sur deux moins de 30ans. Elles ont été très fortement marquées par des bouleversements dans leur milieu d’origine : décès, séparations, divorces, placements ou situations d’alcoolisme et de violence. 20 % d’entre elles sont illettrées et 50 % ont un niveau d’instruction primaire, selon l’Observatoire international des prisons. Un grand nombre ont été suivies pour troubles psychiatriques avant leur incarcération. Elles sont plus nombreuses que les hommes à prendre – et se voir proposer – des psychotropes : 45 % contre 18 %. Pour elles, le sentiment de honte et de culpabilité lié à la détention est plus intense, le corps devient le premier lieu d’expression de la plainte : elles somatisent, tombent malades, connaissent des troubles alimentaires ou digestifs. Elles n’ont plus de règles, parfois durant toute leur détention. La question de la violence se pose davantage pour elles-mêmes que pour les autres. Les états de prostration ou de dépression grave, les taux de suicide ou d’automutilation sont très élevés. Une centaine de suicides sont annuellement répertoriés par l’administration pénitentiaire, un chiffre en augmentation constante, deux fois plus important qu’il y a quinze ans(8). Dans certains établissements, les tentatives de suicide sont souvent sanctionnées de mises au mitard, provoquant désespoir et récidives, amplifiant ce qui est déjà vécu comme une véritable torture mentale. En cherchant à mettre des visages et des histoires sur ces femmes en prison, on découvre qu’elles sont moins nombreuses que les hommes, mais plus nombreuses que jamais. La durée moyenne des détentions, dans leur ensemble, a progressé de 50 % en quinze ans, et le taux de récidive reste à un niveau record – environ 70 %(9). La prison fonctionne comme un simple instrument de gestion des inégalités et entraîne une rupture toujours plus grande des liens sociaux. Elle est « privation de liberté mais aussi d’humanité », comme l’indiquait déjà le rapport du Sénat et de l’Assemblée Nationale du 5 juillet 2000 s’alarmant du « nombre important de personnes n’ayant pas leur place en prison : toxicomanes, malades « psy », étrangers en situation irrégulière, personnes très âgées ou malades en phase terminale, jeunes majeurs, prévenus… ». Alors que les biens de consommation leur sont inaccessibles et étalés avec toujours plus d’ostentation, comment imaginer que, cloîtrées durant des mois ou des années, dans une passivité constante, des femmes qui ont fui dans la transgression leurs difficultés à exister, leurs blessures affectives et leur absence de perspectives sociales vont être rendues à la société dans de nouvelles dispositions ?

Marina DA SILVA ( in Le Monde Diplomatique)
1) L’émission est diffusée en interne. Le 20 juin 2003, sur le même principe, a eu lieu l’inauguration de la première télévision en milieu carcéral. (2) Séverine Vatant, « Droit du travail au rabais pour les détenus », Manière de voir, n° 71, octobre-novembre 2003. (3) 60 963 détenus. Avec des taux d’occupation des cellules pouvant atteindre 200 %. (4) Les Murs de vos prisons, Albiana, 2002. (5) Lire Edgar Roskis, « Les prisons françaises, d’Action directe aux droits communs », Le Monde diplomatique, juillet 2001. (6) Maisons centrales : condamnées à de longues peines, multirécidivistes ; maisons d’arrêt : prévenues, condamnées ayant moins d’un an à effectuer ; centres de détention : fins de peine ou peines inférieures à trois ans ; centres pénitentiaires : établissements comprenant des quartiers à régimes de détention différents. (7) Jane Evelyn Atwood, Trop de peines, femmes en prison, Albin Michel, Paris, 2000. (8) Il y a eu 120 suicides en 2002, hommes et femmes confondus, un taux sept fois plus important qu’à l’extérieur. (9) François Hulot, secrétaire du syndicat CGT-Pénitentiaire, dans « Compte rendu des travaux de la commission justice du Parti communiste français »,

Paris, février 2001

 

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Témoignage du 15 avril 2012 d’une personne détenue en maison d’arrêt (G.E.P.)

Si cet échange, me concernant, repose sur une démarche de témoignage et par conséquent de mise à jour d’une vérité palpable, il en va aussi d’un désir d’engagement. Dès lors, peu importent les aléas subséquents car de tels actes vous aident à tenir debout dans l’adversité. Je ne m’interroge plus à ce titre.

Entre nous, il conviendra tout au plus de préserver l’authenticité du contact. D’autres et moi-même ont été si souvent abusés par la quête d’exotisme de certains que la désillusion n’en fut que plus âpre dès lors qu’ils furent repus. Nombreux se prétendent alliés de la cause, voire pourfendeurs de l’hydre répressive, mais ne sont à vrai dire que de piètres adhérents dont la nature de l’engagement en saurait indéfiniment mystifier. […]

A vrai dire, je n’ai aucune référence à vous proposer, tout au plus une expérience à vous relater, de par mes prises de positions, une fidélité aux principes et un respect aux valeurs particulières. Avec le temps aidant, j’ai tamisé les contacts, privilégiant la quintessence aux ersatz, cela fait peu de monde à l’appel… « L’être et le paraître » m’insupporte autant que l’approximation et la nature frelatée de certains positionnements actuels. Les atermoiements des organismes concernés (vous les connaissez, ils ont pignon sur rue et entrée au Ministère) donnent dans le carcéralement correct, excentrés des réalités prégnantes et par conséquent inscrits, dans une virtualité d’action, me font sourire autant que me révulse la tergiversation d’avocats dans leur prise de position timorée face à l’appareil répressif. Ce ne sont que les indignes défenseurs de la cause des réprouvés. […]

Prendre part à votre projet, c’est rester en prise avec l’extérieur, c’est porter son écho à la critique en mots du pouvoir coercitif et de son plus sinistre corollaire, la prison. Ne rien dire, c’est valider ses exactions, c’est tout accepter au seul fait d’être reclus, c’est donc renoncer à soi-même. Forcément, on paye le prix de ses choix mais peu importe car asséner des mots tels des coups est un formidable exutoire dans cet univers d’interdits où penser différemment est une démarche coupable.

Là où une majorité résignée s’accommode du quotidien imposé, d’autres nourrissent un sentiment irréductible de liberté intérieure et ne se départissent nullement du libre-arbitre nécessaire à l’œil critique.

La réhabilitation est un mot creux dans cet espace castrateur, ils ont tronqué le sens de la peine pour en faire une mort lente mâtinée de vengeance.

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Bande Organisée

Bande Organisee

Rédigé par 6ta le 25 septembre 2011

Un documentaire réalisé à travers la France en 2010-2011.

Une trentaine de jeunes, pour la plupart mineurs, réagissent aux déclarations médiatiques, politiques et scientifiques portées à leur encontre. Leurs témoignages – comme la musique qui les accompagne – dressent un état des lieux de la situation au fil des parcours et des quotidiens…

http://www.bandeorganisee.org/index.php?article2/bande-organisee

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Témoignage du 25 mars 2012, d’une personne détenue en maison d’arrêt (G.E.P.)

Corrélée à des références personnelles et à une expérience en cours, ma perception de l’appareil judiciaire et de son fonctionnement ne peut être objective. Face à une judiciarisation intense de la société et au tout-répressif qui s’y rattache, il serait naïf de croire que la loi est faite pour tout le monde au nom de tout le monde. Il est évident qu’une catégorie dominante, pour ne pas dire une caste, préposée à l’ordre, en sanctionne une autre, accessible au désordre. Ce qui m’amène à penser que l’autorité judiciaire et son corollaire la prison se doivent d’investir, dans un dessein pérenne, certains « illégalismes » dans un mécanisme de punition-reproduction. De fait, le système justice-prison profile une délinquance maniable en tant que fonds de commerce nécessaire à la survie de l’ensemble. On considérera également que la récidive participe du constat d’échec d’un système qui en punissant ne parvient pas à réformer.

Le juge et le pouvoir de sanctionner

Il y a de plus en plus d’enfermements « hors-la-loi », de plus en plus d’enfermements arbitraires et parfois massifs relevant d’infra-pénalités, dans un exercice de traduction tronquée des textes selon un principe d’incarcération extra-pénale. Si certains magistrats, au regard d’une sensibilité personnelle, expriment parfois une difficulté à juger, beaucoup témoignent par contre d’une hâte à condamner. Au même titre que l’intime conviction se mue en conviction intime, la demi-preuve fait bien souvent un demi-coupable et rarement un demi-innocent, sans plus d’examen. Certains magistrats instructeurs ont souvent une utilisation « hors-la-loi » de la détention préventive, aussi arbitraire qu’indéterminée (j’ai patienté presque huit années avant de comparaître aux Assises). Dès lors, la prison s’inscrit dans un exercice détourné du droit uniquement, destiné à faire pression, voire à éliminer. Les parquets sont des entités judiciaires se recommandant essentiellement d’une micro-pénalité à l’instar d’un découpage suzerain. Sinon comment expliquer autant de disparités au sein des décisions rendues ? Cette « sensibilité » de fief confine parfois aux excès les plus insanes tant on rend pénalisables les infractions les plus tenues de la conduite. Certains, dans la démesure de leur tâche, s’attribuent une fonction punitive spécifique, sanctionnant des éléments en apparence indifférents à une majorité. Pour ceux-là, se sentant investis d’une mission sociale et partant en croisade dans une optique épurative, il faut que tout puisse servir à punir le moindre écart.

Pour juger, il faut avoir l’intelligence du rôle. Or le pathétisme grotesque de certains petits tribunaux dans leur forme théâtrale de grand appareil judiciaire ne doit pas nous mystifier, ils sont dangereux dans cette opposition binaire du permis et du défendre, venant à appliquer un nouveau fonctionnement punitif sans concession, j’en veux pour preuve l’instauration et le recours outrancier aux peines « plancher ». L’actuel exercice de la justice ne fait qu’entériner, voire accentuer la dissymétrie et par conséquent la stratification des classes.

Le juge et les instances annexes

Nous sommes passés d’une justice inquisitrice à une justice « examinatrice ». La dislocation interne du pouvoir judiciaire s’exprime par un furieux désir de jauger, d’apprécier et de différencier le normal de l’anormal. Depuis des années les instances annexes se sont multipliées autour du jugement principal. Si aucune ne possède réellement le droit de juger, il n’est pas moins observable qu’elles morcellent le pouvoir légal de punir. L’appel aux psychologues exprime une volonté revendiquée de guérir et de réadapter. Comte-tenu de cet appétit de médecine, le pouvoir judiciaire est forcément dénaturé. Il intègre dorénavant une notion normative à son exercice. Le psychologue (ou autre psychiatre) qui se présente aux Assises n’est pas un seul expert en responsabilité mais également un conseiller en punition. Il ne formule pas un rapport, il suggère une « prescription » sur le traitement « médico-judiciaire » à appliquer. Quant à affirmer que les cours et autres tribunaux formulent des verdicts thérapeutiques et décident d’enfermements réadaptatifs, il y a là une part de vérité incontestable.

Dans le prolongement du verdict, cela se ressent également dans le microcosme de l’exclusion où le condamné définitif passe des mains du médecin-juge à celles du travailleur social-juge ou à celles de l’éducateur-juge. Tous ces maillons font régner les visées normatives de l’appareil judiciaire à l’égard de la population recluse, profilant par là même son avenir. Gare à celui qui réfutera leur légitimité ou leur compétence, s’aliénant d’autant toute mesure de clémence.

Toutefois, si l’on tient compte du pourcentage de récidivistes, force est d’admettre que cet exercice d’orthopédie du coupable à dessein de le redresser psychologiquement parlant est pour le moins défaillant.

Qui plus est, selon moi-même, toutes les prétendues « sciences » à préfixe « psy » ne sont que des théories spéculatives (se référer à Karl Popper et au critère de fiabilité scientifique). Dès lors, on peut prétendre que les mécanismes scientifico-disciplinaires ne sont pas fiables, le domaine de l’homme calculable n’étant qu’une vaste utopie.

Le ressenti de la sentence

De par la sentence infligée, le pouvoir judiciaire agit de manière invisible et néfaste sur l’esprit du condamné, induisant un profond ressentiment chez celui-ci. Dès lors, le sentiment d’injustice qu’il éprouve ne fait que radicaliser son caractère, le rendant inaccessible à l’interprétation de la sentence, au sens de la peine et fertilisant par la même le terreau de la récidive. Il voit un bourreau dans les représentants de l’autorité judiciaire, diluant le sentiment de culpabilité pour faire de la justice une coupable.

Or, tout ce qui est subi, enduré lors de la garde-à-vue, de l’inculpation, de l’information et finalement du jugement jusqu’à l’élargissement risque d’être tôt ou tard régurgité sur le système social si l’intéressé n’opère pas une prise de conscience suffisante à désamorcer le procès et à s’extraire de la chaîne de la récidive (en référence à l’actualité toulousaine). Cet exercice de contraintes sur le mode de l’abus de pouvoir, couplé à l’arbitraire de l’appareil judiciaire, lui-même pétri d’a priori et d’approximations, forment le soubassement d’une récidive exponentielle. L’inquisition judiciaire n’est pas tout à fait exsangue. Si dans l’intention de la loi, le temps était opérateur de la peine, ce n’est plus le cas. La peine était censée amender celui qui la subit. De fait, quelle est donc son utilité si elle devient définitive et si elle relève d’une mort sociale autant que d’une exclusion ad vitam eternam? La durée de la sentence n’a de sens que par rapport à une correction possible.

Actuellement, l’exercice de la justice se limite à une institution coercitive alimentant les enceintes punitives, les casernes du crime, et le pouvoir de l’application des peines s’avère aussi arbitraire que despotique.

Pour conclure, il convient de souligner que l’appareil judiciaire connaît parfaitement les inconvénients de la prison, à savoir qu’elle est dangereuse lorsqu’elle n’est pas utile. C’est pourtant la détestable solution dont on ne souhaite faire l’économie. Ses substituts (bracelet électronique, surveillance à domicile, placement en chantier extérieur, etc) sont un genre mineur et suscitent toujours une défiance infondée de la part des esprits rétrogrades de la magistrature, lesquels estiment que la peine, dans sa notion afflictive, doit se résumer à l’unique technique de coercition des enfermés. Il ne me semble pas que la longueur du temps reclus peut avoir valeur d’échange de l’infraction ou du crime. La durée de la claustration doit être synonyme d’une transformation utile du coupable, ce dernier se devant de travailler d’une façon personnelle (introspection), ou assistée, sur ses zones d’ombre au cours de la condamnation. Force est d’admettre que les résultats probants sont portion congrue. Dans le contexte aseptisé de la société moderne, la pénalité de la « norme » est la nouvelle loi applicable, sous-tendue par un pouvoir aliénant.

[…] Construire de nouveaux établissements en supprimant ceux vétustes n’a jamais servi à humaniser le système pénitentiaire. Cela n’autorise, dans une logique de surenchère, qu’à enferme toujours plus, toujours plus longtemps.

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Témoignage du 5 mars 2012 d’une personne détenue en maison d’arrêt (G.E.P.)

Nos peines sont généralement subordonnées au mutisme ou relèvent de lieux communs, terrain d’enlisement d’âmes chaleureuses, d’essence parlementaire ou autres corps officiels, s’apitoyant sur le sort des réprouvés au gré des opportunités carcérales.

Dans le contexte actuel de suremprisonnement et dans une logique économique, la population enfermée est assimilée à une matière première, à un capital à intérêt administratif. Ainsi que l’avait suggéré Foucault, l’homo economicus intra muros est bien réel tant nous sommes le fonds de commerce des instances répressives.

Si fermer une entreprise revient à inaugurer une prison, le matériel humain sera bientôt un stock ordinaire. Qui plus est, l’amélioration de la condition carcérale n’est qu’un leurre car l’octroi d’un pseudo-confort physique corrélé à la création de nouveaux établissements s’accompagne invariablement d’un surcroît coercitif étayé de diktats aux relents états-uniens. A n’en pas douter, l’ère des supermax républicains est en marche…

Le travail pénal

Il relève surtout de tâches ingrates, sous-payées. Il y a incontestablement une exploitation des personnes concernées. Cette main d’œuvre bon marché est en permanence spoliée, la pénibilité n’étant pas un critère retenu au sein des murs. L’enfermé ne peut se recommander d’aucun droit, faisant illico les frais de toute contestation, voire revendication légitime. Il en va alors d’un déclassement et d’une mise à l’index, portant sur la suite (diminution des réductions de peine supplémentaires de l’année à venir vu le rapport de l’administration).

Les formations professionnelles

J’en ai suivi plusieurs (bureautique, téléconseiller), je n’ai entrevu aucune perspective associée à celles-ci malgré leur nature qualifiante ou diplômante. Elles ne sont qu’une composante de l’alibi pénitentiaire en matière réadaptative. Elles sous-tendent les effets d’annonce, partie de la vitrine pénitentiaire destinée à gruger ceux qui visitent les lieux ou s’interrogent quant à la réinsertion.

Les études

Le maître mot est la volonté, le désir d’aboutir. Rares sont les soutiens internes. Il faut le plus souvent solliciter l’appui d’organismes extérieurs tels AUXILIA ou le GENEPI (lorsqu’il a accès à l’établissement). Dans la cas contraire, la jachère intellectuelle est omniprésente. En ce domaine, rien n’est fait pour assister ou favoriser les initiatives personnelles. En 2001, je possédais le BEPC en tout et pour tout. Je me suis consacré aux études afin d’évoluer et de donner un sens à la peine, tout en travaillant sur moi-même afin d’éclaircir les zones d’ombre, envisager les études telles une thérapie. J’ai constaté au fil du temps que la progression scolaire et étudiante devenait dérangeante au fil des démarches d’inscription et de certains impératifs corrélés. Globalement, les responsables locaux d’enseignement sont réfractaires à assister les cas atypiques, frileux de s’engager professionnellement ou dépassés par la nature des sollicitations. […] Je navigue donc en solitaire. Ceci pour vous confirmer que la friche intellectuelle est une valeur même de l’enfermement.

Les services annexes

 Le service pénitentiaire d’insertion et de probation

Ce service n’a de social que le nom tant l’esprit inquisiteur et le zèle dont il fait montre lors d’une demande de permission de sortir ou d’aménagement de peine. Ce sont les flics de demain, à la solde de l’application des peines, des béni-oui-oui qui opèrent rarement dans le sens du détenu et complexifient d’autant sa situation. L’adjonction du qualificatif « pénitentiaire » à leur dénomination est révélateur du mimétisme opéré.

Le service médical

Une piètre qualité de soins et de nombreux diagnostics approximatifs. Sa principale compétence réside en la délivrance de traitements (antidépresseurs, anxiolytiques, etc) afin de réguler la détention et d’anesthésier la population carcérale. L’addiction médicamenteuse de certains est conséquente, dès lors le trafic se développe au sein des murs.

L’expertise psychologique

Facteur incontournable de la peine tant en détention préventive qu’en situation de condamné définitif. Qu’il en soit d’experts mandatés par la magistrature (lors de l’information ou nommés par le JAP) ou dispensant intra muros, ils sont devenus la béquille du monde judiciaire. Leur avis est si prépondérant que ces conseillers en punition déterminent notre avenir par leurs conclusions, aussi hâtives que spécieuses, car est-ce là une science ou une simple théorie spéculative ? Que la moindre permission de sortir soit subordonnée à leur avis reflète parfaitement l’état d’esprit du moment, à savoir que la grande majorité des cas enfermés constitue en l’état le laboratoire expérimental de l’instance juridico-pénitentiaire. Être réfractaire à ce caractère imposé revient à renoncer à toute perspective d’assouplissement et par conséquent à toute clémence de l’appareil judiciaire. S’en excentrer, c’est mettre d’autant en péril les remises de peine octroyées (amputation progressive ou finale). Dois-je pourtant rappeler la validité des expertises de femme de ménage citée à la barre du procès d’Outreau en 2007 par l’un d’entre eux ?

Les aménagements de peine

Ils sont devenus portion congrue au fil des ans. La lutte contre la récidive et la sensibilité politique du moment ont eu raison des facultés d’élargissement et force est d’admettre que les sorties « sèches » sont de plus en plus nombreuses. Le comportement timoré, quasi-général, des magistrats en poste fait que les libérations conditionnelles relèvent plus de l’aumône judiciaire que de la confiance octroyée. Ces mesures sont généralement consenties en fin de peine, à quelques mois de la libération à dessein de conforter les statistiques et de ménager la valeur professionnelle de chacun. Les longues peines sont logées à la même enseigne et nul n’est dupe à cet effet. À savoir que la frilosité des uns conduit à la mendicité des autres quoique certains achèvent le parcours à terme, avec l’amertume de la spoliation, ce qui induit d’autant une faculté potentielle de récidive. A l’heure actuelle, ce sont les permissions de sortir qui ont pris l’ascendant sur les mesures de libération conditionnelle, sachant que faire la navette entre ces deux milieux ne saurait être une solution durable.

La faculté de plaintes collectives ou individuelles

S’opposer à cette institution, c’est prendre des risques. […] Dans cet univers opaque, dévoiler, c’est se placer en déséquilibre et envisager la réplique.

Le prétoire, les quartiers disciplinaires et d’isolement

Il existe actuellement un petit Guantanamo dans chaque établissement, là ou de nombreuses exactions sont perpétrées, certains zélateurs venant y assouvir leurs pulsions, ce qui en fait des tortionnaires, au gré de leur mal-être et de leur amertume sociale. Avant, rien ou si peu ne filtrait, le huis clos des murs concédant une quasi-impunité à la soldatesque administrative. Je soulignerai par là même la cécité opportune des services parallèles (en exemple, un médecin refusant d’établir un certificat au regard d’hématomes constatés) qui, par pusillanimité ou impératif alimentaire, entretiennent cette déficience, cautionnant par là même ce qui s’y déroule. N’est pire aveugle que celui qui ne veut voir. Quant au prétoire, ce n’est qu’un lieu d’autosatisfaction perverse d’une direction en mal de jugement, permettant de compenser la frustration corrélée à l’unique surveillance du cheptel. A noter que la présence de l’avocat est le plus souvent d’ordre symbolique tant ce micro-pouvoir se targue de posséder un droit annexe, appliquant une infra-pénalité.

Les avocats, les jugements, les longues peines :

  • La paranoïa sécuritaire, socialement entretenue, n’a fait qu’accentuer la longueur des peines (en exemple les peines « plancher »). Ce n’est nullement dissuasif et la récidive augmente en conséquence.

  • La durée de la détention préventive est inacceptable. La notion de « durée raisonnable » qui s’y rattache n’est qu’un principe sans effet tant la justice française est régulièrement condamnée à ce titre par les instances européennes. J’ai « patienté » presque huit ans avant de comparaître aux Assises.

  • Concernant les avocats, ils ont un rôle et une capacité d’action limités. Quant aux convictions dont ils relèvent, je pense que l’on est plus dans l’obligation de moyens que dans celle de résultat, à savoir qu’ils sont majoritairement attachés à leur « fonds de commerce », c’est-à-dire à leur Barreau et n’entacheront guère leur plan de carrière compte tenu d’exigences diverses émanant de clients singuliers (en exemple, entreprendre tel acte qui pourrait indisposer magistrat et Parquet). On demeure dans le professionnellement correct, dissimulant la frilosité ou l’intérêt premier sous un vernis déontologique, éthique.

Pour résumer, je dirai que l’humanisation des prisons équivaut à l’humanisation des cimetières, il suffit de constater le taux annuel de suicides pour savoir que le malaise est prégnant.

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Le Groupe Enquête Prison lance un appel aux témoignages et aux opinions sur la justice française

 À tous les prisonniers et prisonnières,

Face à l’explosion du nombre d’actions en justice contre l’Etat pour protester contre les conditions d’enfermement dans les prisons françaises, certains décès survenus en détention ou le fonctionnement des tribunaux, le Groupe Enquête Prison lance un appel pour mener une enquête sur la perception du droit et de la justice. Cette enquête doit être réalisée par les premiers concernés : les prisonniers, hommes et femmes, prévenus, accusés, condamnés ou d’ores et déjà libérés, qu’ils aient choisi, face à la machine judiciaire, d’adopter la voie du droit, d’autres modes d’expression ou de se taire.

Le Groupe Enquête Prison, récemment créé, rassemble pour le moment quelques personnes qui s’intéressent aux problématiques carcérales et judiciaires depuis plusieurs années. Ouvert à toutes et tous, il est indépendant et n’entretient aucun lien avec des associations, des médias, l’administration pénitentiaire, l’université ou encore le gouvernement. Son objectif est de relayer les voix des prisonniers sur la justice et nous vous invitons dans ce but à le rejoindre.

Le Groupe Enquête Prison vous propose d’élaborer ensemble une série de questions destinée à être envoyée à tous les prisonniers intéressés dans plusieurs établissements pénitentiaires français. Par cet appel, le Groupe Enquête Prison vous propose donc d’échanger, dans les semaines et les mois qui viennent, sur les aspects de la justice et du droit qui vous semblent importants : recours au droit, allongement des peines, quotidien carcéral, accès aux soins en prison, possibilités de plaintes collectives et individuelles, procès, relations avec les avocats ou encore aménagements de peine, etc.

 Lorsque ces échanges auront abouti à la rédaction de ce questionnaire, il sera envoyé à tous nos correspondants afin de récolter le plus grand nombre possible de témoignages, opinions, conceptions et analyses sur le recours au droit.

Nous attendons donc par courrier vos suggestions ainsi que vos premiers témoignages. Nous répondrons le plus rapidement possible, dans la mesure de nos moyens, à vos lettres, afin de constituer cette série de questions dans les mois à venir. Nous pourrons également, sur demande et selon les prisons, faire des parloirs avec ceux et celles qui le souhaitent.

 Cet appel est à diffuser le plus largement possible.

 Les réponses à cet appel doivent être envoyées à l’adresse suivante :

Groupe Enquête Prisons, Syllepse, 69, rue des Rigoles, 75020 Paris

Contact : geprison@riseup.net

Tel : 06 69 97 89 71

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Début avril 2012 : Suicide à la prison d’Annoeullin (59)

En ce début d’avril 2012, nous avons reçu la nouvelle du décès de Jérémy Devoo à la prison d’Annoeullin. Un appel à don pour les obsèques sera annoncé prochainement, dès que nous aurons le contact de la famille.

Un de ses camarades relate ainsi sa disparition (témoignage du 15 avril) :

« J’en viens à la disparition de mon camarade Jérémy Devoo survenue voici une dizaine de jours. Victime d’une sur-absorption de traitement conjuguée à une érosion psychologique, il avait vingt-cinq ans et était père de deux petites filles. Proche de sa libération, il n’avait fait l’objet d’aucune clémence, la mansuétude n’ayant pas cours pour certains.

Il ne faut donc s’étonner qu’une condamnation à l’anomie affective prédispose à agir contre soi-même. Je l’ai vu partir sur une civière dans son linceul. Ce serait presque banal si ce n’était aussi poignant. Plutôt partir que subir, voilà à quoi cela se résume. C’est bien là le constant d’inanité de la rénovation du parc carcéral car, ainsi que le formulait Thierry Chatbi, la torture ne s’aménage pas, elle se supprime. »

contrelenfermement@riseup.net

geprison@riseup.net

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Paroles en liberté surveillée

Montage réalisé d’après le film d’Olivier Coussemacq (1991)-Témoignages de prisonniers longue peine

caractéristiques techniques :
Canal Sud
23 minutes – mp3 – 64 kbps -10.5 Mo

télécharger :

MP3 - 10.5 Mo
source : http://sonsenluttes.net/spip.php?article96
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