Lettre de Malin Mendy, Prison de Laon, du 26 septembre 2012 (G.E.P.)

Tout le soutien que vous ainsi que les organismes pouvez m’apporter me touche profondément. Recevez mes excuses pour ce retard ! J’ai toujours pas récupéré depuis cette agression dont je suis l’unique victime… Ah les méfiances ! Et fidèle à moi-même, je ne demande que mes droits soient respectés. Mais à Annoeullin je n’ai pas l’intention de laisser ces gens torturer autrui, et briser des familles… C’est là réalité, et je diffame pas ! Cependant je vous donne mon accord pour tout disposition que vous jugerez utile, et de communiquer mes écrits, relayés dans l’intégralité afin que vérité soit révélée au grand jour. Comme vous le savez je suis passé en appel le 14/08 à Douai, délibéré le 24/09 ! Aujourd’hui même, j’attends patiemment la décision… (quoi qu’ils me condamnent je vais en cassation!) car je n’ai pas à être condamné. Je n’ai rien fait… et je ne l’accepterai jamais, d’être la mule d’un système qui se pense intouchable… Ils sont très très sûrs d’eux , puisqu’il y a des tribunaux qui les protègent et leur donnent toujours plus de droits à torturer en toute impunité ! Mais sachez que chaque jour qui passe, je pense à ce 30 avril 2012 dans l’office du CP d’Annoeullin ! C’était de la haine de la part de ces « cow-boys du Nord » d’Annoeullin, établissement de non droit et d’abus parfois permanents. Depuis que je fréquente le milieu carcéral (1984, je n’en suis pas fier), je n’ai jamais subi tant de haine de la part de ces cow-boys qui sont passibles de la cour d’assises ! Il faut que ces tortures et les condamnations cessent, car le traumatisme engendre la haine, et ce n’est pas que les détenus qui le subissent, enfin, y a des humains dans ce monde, mais que font-t-ils ? Pourquoi ils préfèrent le silence que la vérité ? Ils se protègent tous, et c’est là que la confiance règne, et qu’il n’y a qu’un seul contre tous… Le puissant rabaisse toujours l’impuissant, à cause de quelques personnes qui n’ont pas à exercer ce métier humain et digne alors qu’ils ne sont pas respectueux d’eux-mêmes, et puis le mensonge est leur maladie. Le respect d’autrui ne fait pas partie de leur réglementation. Voilà la réalité et mes mots qui sortent du vécu. J’ai toujours assumé mes bêtises et mes peines méritées et non méritées mais me condamner à 24 mois fermes avec mandat de dépôt à la clé pour avoir été agressé par des tortionnaires. Non ce n’est pas M. Malin Mendy, ça non. Bon, je pense que ce soir je vais en garde pour la proph ! Mais je vous rassure, depuis mon à arrivée à Laon, ça va bien mieux ! Et comme vous le savez, mon délibéré est programmé au 24/09/12, à ce jour j’attends la décision.

Je vous quitte en vous faisait part de toute mon amitié et vous remercie infiniment de votre soutien.

Solidairement à tous, vous avez mon accord pour tout, je n’ai rien à cacher.

 

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Sur l’affaire de Malin Mendy, alors détenu au centre pénitentiaire d’Annoeullin (G.E.P.)

Le 20 Juin 2012, l’audience correctionnelle au cours de laquelle était jugé Malin Mendy s’ouvrait au Tribunal de Grande Instance de Lille. Il comparaissait pour de soi-disant faits de violence à l’encontre de surveillants du centre pénitentiaire d’Annœullin.

Condamné à 2 années de prison supplémentaires, et à une lourde amende, Malin Mendy a fait appel de cette décision, et a comparu, le 14 août 2012, devant la cour d’appel de Douai.

Certains des mécanismes de domination et de censure s’y lisent très clairement : le statut de prisonnier résume l’accusé et lui retire le droit à la parole. De tels comptes-rendus d’audience peuvent donner à voir ces mécanismes dans leur nudité, lorsque les commentaires de presse les passent la plupart du temps sous silence. Le fonctionnement du procès, sa chorégraphie, tous les effets d’écrasement qu’elles impliquent font partie intégrante de l’enquête dans laquelle nous nous inscrivons, tout comme le fait de relayer la parole de ceux qui s’y trouvent confrontés.

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Compte-rendu de l’audience du 14 août 2012, Cour d’Appel de Douai – Appel correctionnel de Malin Mendy (G.E.P.)

Les audiences se sont déroulées de 14h à 18h quasiment sans interruption. En tout, huit personnes sont passées devant les juges. Il est important à noter que le président de la Cour a été moins hostile que celui du TGI de Lille. Il s’est moins imposé pour diriger les débats et les déclarations de chacun, qu’il a laissé se dérouler quasiment sans interruption. La séance s’est passée plutôt calmement. M.M n’a à aucun moment perdu son calme. Le fait que le juge ne l’ait pas interrompu toutes les cinq secondes pour le remettre à sa place n’y est sans doute pas pour rien.

Personnes présentes en dehors de la Cour :

Avocat de la défense : Maître Braud

Avocat des parties civiles : Maître Lasson

Parties civiles : Sept matons (parmi lesquels se trouve Blondel1, qui n’était pas présent le 20 juin)

OIP : Anne Chereul

A.B est arrivé dans la salle après avoir brièvement vu son client -qui est arrivé juste à temps pour le début de son procès- et avec la ferme intention de demander le report de l’audience. M. M. entre dans la salle pour la première fois à 14h30. Il est beaucoup moins agité que lors de son passage devant de TGI de Lille, et semble avoir perdu du poids.

Le président commence immédiatement l’appel et demande aux parties civiles de se lever. Il enchaîne ensuite avec un résumé très bref de la procédure en rappelant à M.M qu’il a été condamné en première instance pour « violences aggravées, en récidive légale » et pour « rébellion ». Il demande ensuite à A.B de prendre la parole pour « lui expliquer » pourquoi il désire obtenir le report de l’audience.

A.B se lève et énumère ses arguments : il a demandé à avoir la permission de communiquer avec son client le 25 juin et le 26 juillet, et ces deux demandes sont restées sans réponse, la prison de Laon n’y ayant pas fait suite. Il a donc été dans l’incapacité de voir M.M depuis sa condamnation en première instance. Il ajoute que le dossier est « complexe », que les faits sont « contestés », il rappelle qu’il y a des « contradictions » dans les témoignages. Des détenus à Annoeullin demandent encore à être cités, la chronologie exacte des faits n’a toujours pas été établie (A.B insiste notamment sur le fait qu’on ne sait toujours pas exactement qui était présent dans la salle, ni à quel moment le verre s’est brisé sur le sol).

Il continue en disant qu’une demande au Défenseur des Droits vient d’être faite et qu’il serait utile de commencer une enquête approfondie sur ce qui s’est vraiment passé car cela pourrait lever les contradictions qui existent sur le fond. M.M étant incarcéré, il n’existe de toute façon aucun risque qu’il ne se présente pas à l’audience si celle-ci venait à être reportée.

Il conclut en disant : « Je ne suis pas en état de plaider ce dossier, votre juridiction ne l’est pas non plus » avant de dire que la procédure est « expéditive » et de demander à la Cour : « Prenez pleinement votre rôle ».

Le président donne ensuite la parole à l’avocat des parties civiles2 pour entendre sa réponse. Il se lève et commence à parader devant les juges en s’exclamant :« Je ne refuse jamais de renvoi, mais aujourd’hui, aujourd’hui, je vais le faire. Maître A.B n’est pas prêt parce qu’il était en vacances3, mais la Justice, la Justice, est permanente ». Il reprend ensuite avec le ton de l’évidence :« Il suffisait de me téléphoner, ou bien de m’envoyer un fax, pour avoir mes conclusions. J’ai un téléphone, j’ai un fax, pas une-seule-fois je n’ai été contacté4 ». Il insiste ensuite sur le fait que sept matons sont présents et que c’est exceptionnel qu’il y ait autant de parties civiles lors d’une audience devant la Cour :« Mes clients sont fonctionnaires, ils travaillent dans l’Administration Pénitentiaire, ils ont pris leur temps pour être présents au procès ». Il continue en disant qu’il « désorganise une autre juridiction pour être ici » car il estime qu’être devant la Cour d’Appel est plus im-por-tant que tout le reste avant de s’opposer « fer-me-ment » au report de l’audience.

C’est ensuite au tour de l’avocat général (qui joue avec ses lunettes et semble ne s’adresser qu’à elles) de s’exprimer. Il déclare juste que le jugement a eu lieu il y a deux mois, que ce laps de temps est largement suffisant pour se préparer et que tout est régulier. Il ajoute que l’affaire est « sensible » et demande « une réponse rapide ».

La Cour se retire deux minutes avant de déclarer que le dossier sera traité en fin d’après-midi, après tous les autres, afin de donner à M.M et A.B le temps de préparer leur défense.

A 16h30, la séance reprend. Le président appel à la barre M.M, qui s’avance au centre de la pièce flanqué des quatre hommes constituant son escorte, et les sept parties civiles ainsi que leurs avocats respectifs. Après un moment de flottement, il leur demande de se répartir dans la salle d’audience, qui est trop étroite pour qu’ils puissent être tous du même côté. Cela les conduit à se positionner en cercle autour de M.M.

Le président reprend alors les faits de façon très détaillée, contrairement à ce qui s’est passé au TGI de Lille en juin dernier. Il utilise pour cela toutes les déclarations faites par le personnel pénitentiaire mais ne mentionne pas celle de M.M ou des autres détenus présents. Il énumère ensuite les motifs de la condamnation prononcée en première instance. Il précise d’ailleurs à un moment que la rébellion dont il est question était « présumée possible » si l’intervention des matons n’avait pas eu lieu et que c’était un « risque ». Il rappelle les 23 mentions au casier judiciaire de M.M.

Il poursuit ensuite en mentionnant le « problème de sang de monsieur M. » et étoffe à nouveau les faits en précisant que les déclarations signalent le fait que M.M a, à un moment donné, posé sa main sur une friteuse de façon menaçante5 et que les blessures des matons sont des coupures dues à la vaisselle renversée pendant la « maîtrise ». Il note également la carrure impressionnante de M.M6. Il finit son intervention en énumérant à nouveau longuement les 23 mentions au casier judiciaire de M.M avant de conclure « J’aimerais dire : etc., etc. » et de donner la parole à M.M.

La première chose dont M.M fait part lorsqu’il prend la parole est son incompréhension. Il explique : « C’est la première fois que je me retrouve devant un tribunal pour des violences sur le personnel pénitentiaire » avant d’appuyer sur le fait que le personnel de Lille-Annoeullin est « hors-normes » avec lequel il est impossible d’avoir un « respect mutuel » depuis son arrivée le 4 décembre 2011 suite à un transfert disciplinaire depuis Val-de-Reuil (il précise d’ailleurs à ce sujet : « Mais il n’y a pas de discipline à Val-de-Reuil », qui fonctionne visiblement comme une jungle).

Il poursuit en disant : « le 30, on a voulu broyer du M., parce que M. il ferme pas sa gueule » et dénonce longuement les surveillants présents en nommant expressément et en pointant du doigt Blondel et « le polonais », qui sont côte-à-côte dans la salle. Il dénonce les abus de pouvoir de ces derniers et répète plusieurs fois « Je me battrais jusqu’au bout pour le dire ». Il s’étonne également, comme il l’a fait en première instance, de la présence en tant que partie civile d’une femme parmi les matons qui n’était visiblement pas présente lors de l’incident.

Le juge l’interrompt pour la première fois pour lui dire qu’il « n’est pas chargé des rapports sur le comportement des surveillants pénitentiaires », qu’il « n’est pas chargé de fixer les horaires et le règlement » et que la Cour ne l’est pas non plus. Il lui redonne ensuite la parole.

M.M répète son incompréhension :« Jamais je me suis retrouvé devant un tribunal pour cinq minutes de cuisson de riz ». Il dénonce ensuite Blondel, qui a donné l’ordre de le plaquer au sol alors que du verre était sur le sol, le fait que les surveillants de Lille-Annoeullin refusent de la vouvoyer et le tutoient d’une façon « méprisante » et « rabaissent » les détenus. Il ironise aussi sur la présence des caméras partout en détention : « Y’a des caméras partout, il suffit de regarder les enregistrements et vous verrez comment ça se passe ». Il ajoute : « Vous n’imaginez pas tout se qui se passe là-dedans, vous n’imaginez pas et vous seriez surpris ».

Il continue : « Si j’avais fait quelque chose, vous pourriez me mettre dix ans si vous voulez, et je les ferai, monsieur, et je les ferai avec honneur ; mais là c’est moi la victime ! »

Il dénonce aussi le fait que tous les surveillants aient été entendus et pas les détenus qui demandent à l’être. Il finit de parler en mentionnant l’UVF qui devait avoir lieu une dizaine de jours après le 30 avril : « Ça faisait trois mois que j’attendais mon UVF, et vous croyez vraiment que dix jours avant, dix jours avant, j’aurais refusé de réintégrer ma cellule ?? »

Le juge l’interrompt définitivement en disant que son discours est un « disque rayé » et demande si les parties civiles ont quelque chose à ajouter. Devant le silence prolongé qui suit la question et pendant lequel tous les matons se regardent dans le blanc des yeux sans savoir qui va s’y coller, l’avocat général demande à Blondel de répondre aux accusations lancées contre lui. Ce dernier refait un résumé des faits en faisant l’apologie de l’organisation des surveillants pénitentiaires et mentionne à nouveau cette fameuse friteuse sur laquelle M.M aurait posé la main. Il précise également « avoir vérifié » sur le tableau les horaires de fermeture de la cuisine avant de donner l’ordre de réintégration. Il se défend être à l’origine du plaquage au sol et dit avoir reçu l’ordre d’un autre maton, qui n’est pas présent à l’audience.

Lorsqu’il explique de M.M a emporté un plat en verre dans sa chute, ce dernier commence à agiter la tête avec un sourire de dépit et répète « C’est pas possible, mais c’est pas possible » en plaquant les mains sur son visage.

Le président donne rapidement la parole à l’avocat général, qui parle très brièvement, visiblement très ennuyé par cette audience et pressé de pouvoir quitter le palais de justice. Il se contente de citer Blondel en disant que c’est là « la vérité » et que ces témoignages de l’administration pénitentiaire sont « cohérents », ce qui est tout ce qui compte à ces yeux. « Que pouvez-vous dire », déclare-t-il à M.M, « alors que tous les témoignages de l’administration vous accusent ? »

Ce dernier reprend alors rapidement la parole pour dénoncer une nouvelle fois Annoeullin et les pratiques qu’il attribue aux prisons du Nord en général. Il liste le nombre de prisons par lesquelles il est passé et affirme n’avoir jamais eu affaire à ce à quoi il est confronté « dans le Nord ». Il prend à partie Blondel sur l’une des phrases que ce dernier aurait dit en détention (« La prison est ma femme, vous êtes mes enfants »). En vrac, il explique avoir perdu sept kilos, accuse les matons de s’être concertés, ce que tout le monde sait et que personne ne veut admettre, répète son incompréhension devant le fait que les matons ne reconnaissent pas leurs mensonges et répète encore une fois : « Je me battrai jusqu’au bout ».

Le président l’interrompt encore une fois pour lui dire que « la Cour ne peut pas décider d’inspecter la pénitentiaire » et donne la parole à l’avocat des parties civiles. Ce dernier, comme quelques heures auparavant, parade et parle sur le ton de l’évidence. Comme s’il racontait un conte à des enfants assis autour de lui, il commence par s’attarder sur le surveillant qui s’est « blessé graavement à la main » et fait un parallèle avec une affaire où une petite fille s’est fait retourner les doigts dans un supermarché et a dû attendre des mois avant que sa main puisse être à nouveau utilisable.

Il accuse M.M d’être « un beau parleur » qui se sert de cette audience « comme d’une tribune » pour délivrer des messages de haine contre les surveillants, l’administration pénitentiaire et la directrice de Lille-Annoeullin. Il enchaîne en disant : « Madame A.Leclerc tient sa prison comme on doit la tenir ». Il résume à nouveau les faits en les simplifiant au maximum pour les rendre le plus évident possible. La réintégration devait se faire à 17h30, Monsieur M. n’a pas voulu pas, il n’a donc pas respecté les règles. Il faisait cuire du riz ? « Mais tout ça, c’est des détaiils », des choses insignifiantes « qu’on lit dans une certaine presse ».

Il insiste sur l’importance de respecter les règles en détention, et sur les blessures des « maalheureux surveillants ». Il estime que la résistance de M.M est lamentable, d’autant plus que les surveillants ont « peur de lui » du fait de sa carrure de boxeur. « Que fait-on lorsqu’on se retrouve face à un colosse de 1,90 mètre ? », s’interroge-t-il, « et bien on appelle du renfort ! »

Il poursuit en accusant M.M de vouloir entraîner les autres détenus avec lui, d’être un « énervé », et qu’à cause de son comportement, il y a eu « du sang partout » et un homme a été gravement blessé à la main et un autre au genou (il désigne alors du doigt un autre surveillant, qui se baisse légèrement et masse pensivement son genou en hochant la tête).

Il revient sur la présence de la friteuse et fait un parallèle avec un (malheureux) surveillant qui s’est un jour fait jeté de l’huile bouillante à la figure.

Il enchaîne avec la maladie du sang de M.M, qu’il dit être « lourde de conséquences ». « Imaginez l’angoisse [pour les familles] », dit-il avant de se lamenter sur le fait que du coup tout le monde est obligé de faire des examens. Il s’adresse alors à M.M directement pour lui dire « Monsieur, quand on est en prison, on respecte les règles ».

Il continue en félicitant la gendarmerie, qui a selon lui fait un travail exemplaire et a fait le dossier « d’une main de maître » et de « la manière la plus im-par-tiale ».

Il achève sa plaidoirie en disant qu’il ne souhait pas prolonger inutilement l’audience. Les surveillants n’ont selon lui « rien à cacher », et c’est d’ailleurs pour cela qu’ils sont tous venus, pour le montrer. Il ajoute qu’ils font leur travail « et [qu’]ils le font bien » car c’est « un travail difficile » (il appuie cette affirmation en disant qu’un jour, quand M.M sortira de prison, il les croisera dans la rue, avec leurs familles).

L’avocat général prend la parole. Il commence par dire que les règlements sont stricts et que c’est fort heureux car il faut tout contrôler lorsque l’on est en maison d’arrêt7. Il revient sur le fait que M.M nie les infractions qu’on lui reproche en disant que même si « on n’y était pas », il y avait quand même sept témoignages de l’administration pénitentiaire. Il rappelle encore une fois le casier judiciaire de M.M, qu’il dit « parler pour lui » (il dit notamment « vous voyez, quand on regarde, on a un doute [sur vos déclarations] »), et commence à lui expliquer « qu’à 45 ans, on se calme, monsieur M. ». Il ne s’étend pas plus et demande la confirmation de la peine plancher.

C’est enfin au tour de A.B de parler, qui a eu un peu moins de deux heures pour préparer la défense de son client. Il reprend les déclarations faites par un maton (Bocquet) à la gendarmerie juste après l’incident, ce dernier ayant explicitement dit aux gendarmes que ce n’était pas un cas de rébellion car il n’y avait pas eu de violences et que c’était pour cette raison que personne n’avait été appelé immédiatement. A.B insiste sur le fait qu’il n’y a eu aucune violence de la part de M.M, qui n’a, « à aucun moment, porté de coup à quiconque ». Il poursuit en disant que quoiqu’en dise l’avocat des parties civiles, il n’a jamais jeté d’huile ou même un plat à la tête des matons présents, et que sur ce point les témoignages ne divergent presque pas.

Il reprend ensuite les propos tenus par Blondel quelques minutes auparavant en disant que si les surveillants ont eu à « vérifier » les horaires de fermeture, c’est qu’ils ne sont eux-mêmes pas au point sur le règlement, qu’ils ne connaissent pas par cœur. Cela le conduit à conclure que comme d’habitude, les détenus ont jusqu’à 17h45-18h pour cuisiner, il était tout à fait possible de laisser à M.M le temps de finir son riz.

Il s’attarde aussi sur la maladie de M.M, qui lui impose de s’alimenter correctement. Il concède : « Il a résisté, c’est vrai », mais souligne que c’est une résistance « intellectuelle », car « M.M a dit non » avant de finalement commencer à ranger ses affaires.

Le nœud du problème reste la chronologie des événements, qui mobilise beaucoup les débats à l’audience. A.B revient dessus longuement en expliquant qu’il est crucial de savoir exactement quand le plat en pyrex est tombé sur le sol et dans quelles conditions, ce qui ne sera jamais élucidé. Il estime quant à lui que le plat n’a pas pu être emporté pas M.M dans sa chute comme le déclarent les surveillants. C’est la main coincée entre M.M et le sol qui a été blessée, il est donc impossible que le verre soit tombé en même temps que ce dernier et se soit retrouvé sous lui avant la fin de sa chute. Le verre devait déjà être sur le sol, et A.B estime que dans ce cas, M.M « était légitime à résister ». Il déclare que les ordres donnés étaient « inutiles et injustes ».

Il fait un bref aparté sur la cohésion des surveillants pénitentiaires : « C’est normal d’être solidaire […] ce n’est pas du corporatisme et c’est tout à fait normal de se serrer les coudes » (on n’en croit pas un mot, mais ça arrondit quelque peu les angles) et reprend ce qu’il venait de dire en citant Philippe Lemaire pour expliquer aux matons qu’il est possible de régler les conflits par le dialogue plutôt que par « des gestes positifs de violence ».

Il finit en disant qu’il est regrettable qu’il y ait eu des blessés mais que M.M n’y ait « objectivement pour rien ». Il précise que rien n’empêche d’écarter la peine plancher et demande la relaxe pure et simple à la fois pour les violences et la rébellion (car un simple acte de résistance ne suffit pas).

Le président lève la séance en déclarant que le verdict sera donné le 24 septembre 2012.

NOTE : La question du nombre de personnes pouvant tenir dans la cuisine n’a pas du tout été abordée lors de l’audience, alors qu’en première instance, tout le monde faisait ses propres stipulations en disant tour-à-tour qu’il était possible de rentrer à seulement trois, cinq, sept ou dix. Les matons avaient soutenus contre vents et marées qu’il n’était pas possible d’entrer à plus de cinq. Ils étaient sept à l’audience le 14 août.

1Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, Blondel est plus un « petit caniche teigneux » qu’un « gros pit-bull baraqué »

2Un habitué des procès opposant l’administration pénitentiaire à d’autres personnes.

3A.B n’a pas mentionné le fait qu’il était en vacances devant la Cour mais l’a dit à Lasson par téléphone la veille lorsqu’il lui a fait par de son intention de demander un report.

4A.B n’a en effet pas effectué toutes ces procédures.

5C’est la première fois qu’une friteuse est mentionnée dans les faits. Ce détail sera ensuite utilisé par l’avocat des parties civiles, qui présupposera que la friteuse était en marche et que de l’huile bouillante aurait pu être jeté aux visages des « malheureux surveillants ».

6Ce détail était également absent des débats de première instance jusqu’à ce que A.B le mentionne pour appuyer sa défense. Il a été utilisé pendant l’audience pour appuyer l’intervention des matons qui ont pu être « effrayés ».

7M.M était en quartier CD à Lille-Annoeullin, l’avocat général se trompe.

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Détail du tribunal lors de l’audience de Malin Mendy, TGI de Lille, 20 juin 2012 (G.E.P.)

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Compte-rendu de l’audience de Malin Mendy, du 20 juin 2012, au TGI de Lille (G.E.P.)

Le président prend la parole et rappelle les faits. « Monsieur M., vous êtes actuellement détenu au C.P. de Laon ». Il explique que M. est accusé d’ « agression volontaire sur une personne dépositaire de l’autorité publique, en l’espèce, un surveillant pénitentiaire » ayant entraîné une ITT de moins de 8 jours, en état de récidive légale. Le renvoi de l’audience du 3 juin a été sollicité par son avocat, maître A.B. Les circonstances sont détaillées : Dans l’Office, une pièce commune du centre de détention, un surveillant demande à M. M. de retourner en cellule, alors qu’il était en train de faire cuire du riz sur une plaque chauffante. Devant le refus de ce dernier, le surveillant sort de la salle, appelle trois de ses collègues en renfort et ils prennent la décision de placer M. M. en quartier disciplinaire à titre préventif. Puisque M. M. refuse de se faire menotter, les surveillants le plaquent à terre, et dans le mouvement, le saladier en pyrex tombe à terre. Deux surveillants se blessent en tombant avec M. M. et ce dernier est également blessé au visage. « Il est à préciser que sur les quatre détenus présent, seul M. M. refuse de réintégrer sa cellule ». Selon la déposition de l’un des surveillants, « A 17h30, je lui ai répété plusieurs fois qu’il devait sortir ». Ce dernier l’a alors agrippé par le bras et c’est en tombant que « M. M. a lui-même agrippé le saladier ». La question qui se pose est donc celle du caractère volontaire ou non de la chute du saladier.

M.M. prend la parole : « Monsieur le président, ce gradé-là». Le président coupe la parole : « Ne faîtes pas ça, Monsieur M., c’est très désagréable de se voir pointé du doigt » [suivront environ 15 interruptions, au total, sur toutes les prises de parole de M. M.]. Déjà à 13h30, M. M. avait eu avec l’un de ces surveillants un problème d’ouverture des portes (ce dernier devant venir le chercher à 13h30 n’est arrivé qu’à 14h). M.M. explique que dans cette prison, c’est ainsi que les choses se passent, et que c’est totalement au bon vouloir des surveillants. Il prend l’exemple d’une inscription en sport qui avait été acceptée, puis refusée après un accrochage avec un surveillant, disparue soudainement juste après, et il a dû se battre pendant 4 mois pour y avoir à nouveau accès. C’est « comme ça que les choses se passent à Annoeullin ». Interruption du président : « Monsieur M. vous ne parlez pas des faits ! ». M.M. : « Je préfère le rappeler, puisqu’avec cet agent, il y a toujours des problèmes, c’est toujours … » « Je comprends votre ligne de défense, Monsieur M. qui est de parler de la prison plus généralement, mais je vous rappelle que vous avez été condamné pour les mêmes faits le 6 décembre 2009 ».

M.M. reprend : Ce jour-là, à 16h30, en remontant de promenade avec quelques détenus, ils ont décidé de cuisiner un peu. Le surveillant est venu à 17h30. Normalement, c’est 17h45. Il n’y avait aucune raison de modifier comme ça les pratiques. « A Annœullin, vous savez, j’ai demandé le règlement intérieur. Impossible de se le procurer, comme s’il n’existait pas ! Et avec ces agents, il y a des choses qu’on ne peut pas accepter. Il y a des agents qui tutoient avec assez d’humanité, sans insulter. Mais ce qu’ils font eux, je ne l’accepte pas. [Interruption du président] « J’ai demandé 5 ou 10 minutes pour finir de faire cuire mon riz, et l’agent est reparti en claquant la porte. Il a activé son alarme et ils sont arrivés à 5. Ce n’est pas la première fois, pas du tout ! A plusieurs reprises, pour ces mêmes évènements, je suis venu pour aider d’autres détenus qui se retrouvaient dans cette situation. Ce qu’ils font à Annœullin, c’est de la torture physique ! [le président tente d’interrompre] Ces faits-là, je les ai toujours dénoncés ! » « Il n’y avait pas de raison que la fermeture de la salle soit différente ce jour-là, la vérité c’est que ces gens-là sont des tortionnaires. Et je ne comprends pas ce que vous venez faire ici, Mme G.. C’est une personne avec qui j’avais de bons rapports, et j’espère que vous allez dire la vérité aujourd’hui ! ».

-Le président : « Monsieur M. si vous ne vous calmez pas tout de suite, je demande à l’escorte de vous faire sortir afin que l’on puisse continuer ce procès calmement. » « Quand je vois votre casier, je me dis que vous êtes très mal placé pour tenir les propos que vous tenez sur le respect du droit et de la dignité humaine ». « Dans un établissement pénitentiaire, vous avez le devoir de respecter le règlement et aussi ceux qui y détiennent une parcelle d’autorité ». Ce qui s’est passé à Annœullin le 30 mai « relève de votre responsabilité »

-M.M. : « Non ! J’ai été condamné, je suis privé de liberté mais pas de droits. Et c’est vrai qu’il y a des surveillants corrects, mais d’autres ont pour habitude d’agir par brimades, provocations, insultes. Moi, je n’y réponds pas. Je n’y réponds pas par la force, ma force c’est mon stylo ». Interruption du président : « Et sur les faits, vous avez quelque chose à dire ? ». M.M. : « Je vais me répéter : je me suis retrouvé seul contre ces surveillants. J’ai commencé à partir, j’ai rassemblé mes affaires. L’un d’eux a voulu me prendre le bras et j’ai refusé. Je leur ai dit que je rentrais dans ma cellule, mais que je ne voulais pas qu’ils me touchent, que j’allais rentrer de mon propre gré. » L’un d’eux a essayé de lui mettre les menottes. La vaisselle a été cassée avant que M.M. ait été mis au sol. « Beaucoup d’autres détenus se sont retrouvés dans la même situation, et ce jour-là c’était moi la victime ». Je n’ai fait aucune violence, j’ai juste demandé qu’on ne me touche pas.

-Le président : Détaille les certificats médicaux. Surveillant blessé à la main droite. ITT. Surveillant blessé à la main, 1 jour d’ITT. Prévenu : Tête plaquée au sol sur des morceaux de … Le président s’arrête de parler et regarde le certificat médical qu’il a sous les yeux : « Je n’arrive pas à déchiffrer l’écriture, mais je ne doute pas que l’un de nos assesseurs va y parvenir ». L’assesseur : « M. M. a eu la tête plaquée au sol contre des morceaux de verre. Il a au visage, au niveau de la pommette droite une entaille de 2×1 cm, et plusieurs fentes de 2cm de longueur, des lambeaux de peau sont accrochés au visage ».

Le président donne la parole aux parties civiles : « On a voulu le maîtriser, pas le violenter ». « Contrairement à ce que M.M. prétend, il y a eu une note de service remise en quartier arrivant sur les horaires de la salle commune ». « D’ailleurs, les trois autres sont partis, seul M. M. est resté. Et c’est M.M. qui m’a plaqué au sol avant de tomber » Interruption de M.M. « Vous êtes habitués à mentir, ce n’est pas la première fois et c’est … » Interruption du président « M. M. c’est la dernière fois, je vous préviens ».

L’assesseur demande à la partie civile s’ils ont essayé de négocier avant d’employer la force « Nous avons essayé de discuter 5 à 10 minutes avec lui avant l’intervention ».

Le président rappelle le casier judiciaire de M.M. Il détaille ensuite l’enquête sociale sur la vie familiale, professionnelle et sur l’état de santé de M.M. Il explique que M.M. travaillait au C.P. d’Annœullin.

Avocat des parties civiles : évoque les « blessures morales pour tous, et physiques pour deux de ses clients. Il demande 1 000€ de dommages et intérêts pour le préjudice moral, 500 pour le préjudice physique des deux « blessés » et 500 pour les deux autres (il rappelle avoir produit les certificats médicaux de la psychologue de l’administration pénitentiaire attestant de leur état de traumatisme).

Prise de parole du procureur : « Monsieur M. a fait une partie de mon travail. » Elle évoque le « sentiment de toute-puissance, l’agressivité et le manque de respect » qui le caractérisent et dont il fait aujourd’hui même la preuve durant l’instruction et face au président. Il présente les personnels pénitentiaires comme « méprisant les détenus ». « Quand je vois comment M.M. réagit et sa violence verbale aujourd’hui, je pense que l’on a tout lieu de croire les personnels pénitentiaires ». Et ce n’est pas étonnant puisque « le sentiment de toute-puissance qu’il ressent se traduit par la violence ». Elle retient les qualifications de « Rébellion » et de « Violence », puisqu’ « au-delà de la simple volonté de se soustraire aux personnels pénitentiaires, il a manifesté une véritable volonté de les agresser ». Il a « volontairement brisé le saladier pour s’en prendre à l’intégrité physique des personnels pénitentiaires qui ont dû rouler dans le verre pour le maîtriser ». Dès avant cet incident, M.M. a fait l’objet de plusieurs « notes » qui « indiquent sa violence et son irrespect, ainsi que sa volonté de monter les autres détenus contre l’administration pénitentiaire. Il s’est en quelque sorte fait le porte-parole des détenus, mais pas le type de porte-parole dont on peut rêver ». « Il n’a qu’un mot à la bouche, les droits, les droits, les droits, mais il n’a lui-même jamais réfléchi à ses devoirs ». Elle évoque ensuite les différents témoignages produits par des détenus. 3 attestations remises par des détenus font état de la violence de l’AP. « Bien évidemment, elles expliquent la volonté de l’AP de provoquer et de frapper » et « prennent le parti de M. M. ». L’une d’elle fait référence à la « soldatesque pénitentiaire » l’autre explique que le détenu a vu les personnels pénitentiaires porter M. M. vers le quartier disciplinaire, ce qui est bien le cas, mais aucun n’était présent sur les lieux ». Et, dans tous les cas, « vu ce qui s’est passé aujourd’hui et vu les réactions de M.M. à l’instruction, il prouve lui-même son caractère intolérant, irascible et irrespectueux ».

Les personnels pénitentiaires « ont d’abord entamé des pourparlers, et ont fini par intervenir, mais cette intervention a eu pour objet, plus que de mater une rébellion, de protéger leur propre intégrité physique. M. M. s’est retrouvé blessé. Mais M.M., c’est comme pour les violences policières. On dit « Ah ! J’ai été victime de violences policières et on agite un certificat médical ! Mais c’est ce qui se passe en cas de rébellion ! » Il brandit son certificat médical comme preuve de l’agressivité du personnel pénitentiaire, alors que ceux-ci ont pris entre cinq et dix minutes pour négocier avec lui. M.M. a immédiatement été dans un registre de violence. S’il contestait les faits et accusait le personnel d’agressivité, il aurait pu prendre la plume dont il parlait toute à l’heure pour écrire au contrôleur général des lieux de privation de liberté ou autres s’il pense qu’Annœullin est trop rigoriste. ».

« La peine plancher dans ce cas est de deux ans, mais je souhaite requérir au-delà. » « Vu le parcours de M.M. et sachant qu’il aurait intérêt à filer droit, je requiers une peine de 3 ans et le maintien en détention ».

L’avocat A.B.: « Je constate tous les jours l’engagement des personnels pénitentiaires pour tenter d’arrondir les angles avec humanité. C’est le cas par exemple à la maison d’arrêt de Béthune. » Suivent quelques explications sur la M.A. « A Annœullin, 6 détenus qui sont devenus mes clients font état des mêmes problèmes : le manque d’humanité, l’intransigeance, l’organisation des équipes ». « Tout y est déshumanisé. » A.B. cite « le témoignage d’un ancien procureur qui évoque la M.A. de Douai : « La violence en prison est structurellement liée au fonctionnement des établissements modernes ». M.M. a été sanctionné par la commission de discipline, ce qui entraîne une diminution des remises de peine et des crédits de peine, ce qui va totalement à l’encontre du but recherché. Ces réactions ne produisent en retour que de la violence. « Mais je voudrais aussi contester les accusations contre M.M. sur un terrain strictement juridique : les surveillants expliquent que l’Office fait quelques mètres carrés et qu’il est impossible d’y être à plus de trois. Alors dans ce cas, quelqu’un ment, puisqu’une des auditions des surveillants explique qu’ils y sont entrés à quatre ou cinq, plus la personne, plus M.M. ». Dans un autre PV « M. Blondel [AP] demande aux autres détenus de sortir et un des détenus pose par terre une friteuse sur le sol » / « dans un autre PV, c’est lui qui la pose par terre avant que le détenu ne quitte la pièce. » Par rapport au plat en pyrex : « l’un des témoignages explique que c’est M.M. qui l’a volontairement jeté au sol, alors qu’un autre explique que c’est lors de la chute de M.M. et des surveillants que celui-ci a été entraîné au sol ».

Concernant les heures de fermeture de l’office : « En prison, on sait qu’il existe toujours des concessions de fait, qui servent à huiler les rapports avec les détenus, et c’est très bien. Généralement, il existe une tolérance. » M.M. est porteur du V.I.H., il doit prendre un traitement lourd et doit également suivre de grandes précautions alimentaires. Sans doute M.M. a-t-il répondu assez sèchement au surveillant. « Bien entendu, il a dû répondre d’un ton peu amical, quelque chose comme « Mais laissez-moi finir de cuire mon riz ! Je partirai dans cinq minutes, mais ne me touchez pas ! ». Mais les Règles pénitentiaires européennes et le code de déontologie de l’AP recommandent de toujours privilégier le dialogue, la force de conviction plutôt que la force physique.

« Pour autant, y a-t-il eu un échange rationnel ? M.M. a-t-il eu le temps et l’opportunité de présenter ce que nécessite son état de santé ? « Non. Directement, ça a été la course, l’alarme, l’arrivée de 10 surveillants, les contacts physiques hostiles. M.M. est d’une carrure physique impressionnante. Il pèse cent kilos, mais pas cent kilos de graisse, cent kilos de muscles uniquement. » Il pratique régulièrement les arts martiaux. « Si M.M. avait voulu exercer des violences, ce n’est pas dans cet état que les surveillants pénitentiaires se seraient présentés aujourd’hui ». Dans cette affaire « il n’y a strictement aucune violence de M.M., donc je réfute cette qualification ». « Monsieur M. n’a jamais commis dans cette situation un acte de violence. C’est lui qui a été agrippé, lui qui a été plaqué au sol. A aucun moment, M.M. n’a porté un coup, ce n’est nulle part dans le dossier, dans aucun PV. Oui M.M. se révolte, mais il a raison de se révolter ! ». « Sur la manière dont Mme. la procureure traite les témoignages des détenus, je me demande pourquoi la voix d’un détenu vaudrait moins que celle d’un surveillant ! Ils ne sont pas présents ici, mais vous les accusez de mentir ». « Ils ont témoigné avec leurs noms, sérieusement. Oui, les témoignages des détenus ont été écrits par mais ils l’ont fait responsablement, en leur nom, et avec sérieux ».

L’avocat A.B. demande la relaxe.

« On demande à M.M. d’être procédurier. Mais vous trouverez dans le dossier les six demandes écrites qu’il a adressé à la direction pour avoir un RV » avec la directrice entre décembre et mars 2012 pour « lui faire part des difficultés de fonctionnement et d’organisation de la détention ». Dans cette histoire, M.M. ne manifeste pas d’hostilité contre le personnel pénitentiaire. « M.M. a connu les C.D. à l’ancienne, avec plus de liberté et relativement plus de tolérance. A Annœullin, ce n’est pas pareil du tout. Ce que M.M. demandait, c’était le respect dû à un être humain et à un citoyen, comme il l’a rappelé ici même, et cette demande l’a amené à subir les vexations et l’hostilité de la part de l’administration pénitentiaire ».

M.M. a déposé une plainte non-nominative pour violences. Lui, en tout cas, n’en a commis aucune. Il n’a pas non plus commis d’acte de rébellion.

Le président donne la parole à M.M. :

[Silence pendant 20s, M.M. secoue la tête et attend].

« J’ai entendu le procureur demander une peine plancher. C’est la première fois depuis 83 et le début de ma carrière, si je peux dire ça comme ça, depuis que je fréquente les tribunaux français que je me retrouve devant vous pour des violences contre des personnels pénitentiaires. J’aurais voulu les blesser, je l’aurais fait, et je ne cherche pas à distribuer ma maladie ! J’ai toujours fait attention à ça, à être propre sur ça. » « Leur action était préméditée, c’est moi aujourd’hui la victime, même si mon casier judiciaire vous fait dire le contraire. » « J’ai demandé mon transfert, je ne peux pas cautionner le tutoiement hostile et les pratiques humiliantes. » « Pour quelqu’un de vulgaire et de provocateur, vous ne précisez pas que j’ai de très bons rapports avec les médecins, avec la psychologue, avec d’autres surveillants. ». « Ce sont eux, ces surveillants syndiqués, qui viennent ici en se revendiquant syndicalistes, qui vont me condamner. Condamnez-moi ! Enlevez-moi ma fille pendant deux ans encore ! Je ne lâcherai pas l’affaire. Vous savez quoi ? Je vais vous dire : on fait sortir les gens plus fous qu’ils n’y sont rentrés, c’est comme ça qu’ils font aujourd’hui, c’est comme ça que fonctionne le système pénitentiaire ! » Vous savez quoi ? Vous êtes des tortionnaires ! Vous tuez des gens à Annœullin ! »

Le président lève la séance, tout le monde sort. Avant d’être emporté par la police, M.M. a juste le temps de s’écrier « Dites la vérité ! ».

[20 minutes plus tard].

Le président reprend : « La cour vous a reconnu coupable » de « violence » et de « rébellion ». M.M. est condamné à » deux ans fermes. Il doit verser 1000€ outre 500€au titre de l’article 700 au premier surveillant, 1000€ outre 500€ au titre de l’article XXX au deuxième, 500€ outre 500€ au troisième, 300€ outre 300€ au dernier.

M.M. applaudit.

Le président : « M.M., ce genre de manifestation … » M.M. l’interrompt « Je fais appel ! » Le président « ce genre de manifestation … » M.M. l’interrompt : « Je suis ici devant des gens qui mentent ! » Le président « Monsieur M… ». « Vous êtes des tortionnaires ! ». Le président : « Sortez-le d’ici ! ».

Les pénitentiaires présents dans la salle sortent en famille et en souriant.

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Nouveau suicide mardi à la prison de Corbas

Un détenu a été retrouvé mort dans sa cellule. Il s’est tranché la gorge. L’une de ses sœurs veut porter plainte contre l’administration pénitentiaire. Selon elle, son frère souffrait de schizophrénie, il n’avait pas sa place en détention.

source : http://www.lyonmag.com/article/44451/nouveau-suicide-mardi-a-la-prison-de-corbas
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Marseille : propos d’un ex retenu du centre de rétention du Canet

T’étais dans le centre cet été ?
Oui, j’y ai passé vingt-cinq jours

C’était quoi l’ambiance général dans le centre ?
Entre nous c’était bien, mais entre nous et les flics, c’était autre chose. On se disputait toujours. Des fois, ils nous frappaient, dans les chambres, parce qu’il n’y a pas de caméras. C’était toujours comme ça, ils insultent les gens. Et on pouvait rien faire. On peut se voir toute la journée, on est tous ensemble. C’est pareil, on est musulmans, on est tous des frères. Il n’y a pas de racisme entre nous, c’est pareil entre le noir, l’afghan, le tunisien, français, entre tout le monde.

Est-ce que ça peut arriver que les flics soient gentils avec certain retenu pour en faire des balances ?
Il y avait une balance avec nous. Tout le monde le connaît, on parle pas avec lui. Oui, les flics sont gentils avec lui, en plus, il est sorti avant moi !

Forum Réfugié, qu’est-ce que tu en penses ?
La vérité, j’aime pas ces gens parce qu’ils font semblant d’aider les gens mais ils font des problèmes.

Le médecin et les médicaments dans le centre ?
Premièrement, il n’y a pas de docteur, y’a des infirmières, j’sais pas, des aides soignantes. Une fois, je jouais au ballon, je suis tombé sur le genoux. J’ai demandé à voir le docteur. J’ai vu une infirmière qui m’a donné des cachets pour dormir. Je sais pas moi, ils pensent que tous les gens sont fous, ils donnent des cachets à tout le monde, des cachets pour dormir.

Cet été, il y a une marocaine qui a failli mourir. Est-ce que dans le centre les autres retenus étaient au courant ?
Non, on n’était pas au courant. On a rien entendu, les flics, ils nous disent rien. Chaque bloc est séparé des autres, on peut pas se parler, on peut rien faire. Juste se voir derrière la fenêtre.

Cet été, y’a retenu qui a cassé la télé dans la salle commune ?
La vérité, tu ne peux pas casser la télé comme ça. Des fois, tu te disputes avec les flics, ils te frappent dans les chambres. Parce que tu peux rien faire, tu vas casser la télé, des trucs. Tu vas brûler des matelas. Il faut faire quelque chose, comme ça il ne prennent pas confiance. On est toujours là, on est toujours là contre eux. C’est mon dernier mot.

Y’avait beaucoup de bagarre avec les flics, mais est-ce que c’était des retenus tout seuls qui se battaient ?
La vérité, chacun est seul. Y’en a qui ont peur, d’autres qui vont bientôt sortir, chacun fait ce qu’il veut, on peut pas les obligés les gens à frapper avec nous. Quand j’étais là-bas, y’a deux collègues qui se sont fait expulser. On a quand même essayé de faire quelque chose dedans. On a essayé de les aider, d’empêcher les flics de les ramener. Dommage, mes collègues sont rentrés en Tunisie, ils vont bientôt revenir !

Quand des retenus refusent l’embarquement, ils les scotchent ?
Oui, y’a un mec que j’ai connu, il a été expulsé, il a été scotché comme une momie. Il a été envoyé en Algérie. Il avait refusé le premier embarquement, au deuxième, il a été expulsé.

Est-ce qu’il y a des parloirs sauvages au centre ?
Mais collègues qui n’ont pas de papiers en fRance sont venu me voir derrière le mur. Ils ont essayé de m’aider, je les remercie.

Ça arrive souvent ?
Oui, c’est toujours comme ça. Y’a pas que moi, d’autres prisonniers que viennent voir leurs copains ou copines. Y’a des femmes qui viennent aussi derrière les murs. Pour faire les visites, il faut des papiers, sinon tu rentres pas.

T’étais au centre pendant le rassemblement le 4 août ?
Oui, j’étais là. C’était un ambiance à l’intérieur, on voulait mettre le feu. On a entendu la manifestation. Les flics sont venus. Même la commandante est descendu pour nous voir. Elle nous a parlé :  « pourquoi vous faites ça ? Si y’a une manifestation, vous ne faites rien, vous écoutez, c’est tout. La vérité, il surveille plus, pendant le rassemblement ils sont rentrés dans le bloc parce qu’ils ont eu peur.

Maintenant que tu es sorti, c’est quoi le quotidien d’un sans-papiers à Marseille ?
Je ne sort pas la journée, que la nuit. Les gens ils ont peur des contrôles. En plus en 2013 c’est la capitale de la culture. De plus en plus de travaux. Pour préparer tout ça, les flics ils essaient de nettoyer un peu ceux qui n’ont pas de papiers.

En date du 18 Septembre 2012
Source : http://sanspapiersnifrontieres.noblogs.org/post/2012/09/18/marseille-propos-dun-ex-retenu-du-centre-de-retention-du-canet-18-septembre-2012/
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De la Déportation au Bannissement

De la déportation comme peine complémentaire des Français d’outre-mer

Il est une idée communément répandue que la déportation n’existe plus en droit français ; que la déportation aurait été abolie par une ordonnance du 4 juin 1960 du général de Gaulle.

Pour autant, si l’action de déporter est d’obliger quelqu’un à quitter son territoire, soit pour l’obliger à s’installer ailleurs, soit pour le détenir hors de son territoire, elle existe toujours en droit Français.

C’est ce que subissent ces hommes et ces femmes d’outre-mer, condamné(e)s dans ces départements et territoires mais envoyé(e)s en métropole pour exécuter leur peine.

C’est le cas de :
– Joseph, haitien, qui vivait en Guadeloupe, condamné par le TGI de Basse Terre, condamnation assortie qui plus est d’une interdiction de résidence en Guadeloupe alors qu’il y a toute sa famille ;
– Fabrice, guadeloupéen, condamné par le TGI de Basse Terre, condamnation assortie d’une interdiction de résidence en Guadeloupe, alors qu’il y a toute sa famille ;
– Germain, martiniquais, condamné par le TGI de Fort de France, condamnation assortie d’une interdiction de résidence en Martinique, alors qu’il y a toute sa famille.

Ces hommes, qui plus est, démunis de ressources, de milieux pauvres, sont donc privés de leurs droits effectifs de maintenir des liens familiaux.

Et si à un drame de séparation, il n’en fallait pas un autre, ils sont envoyés dans les établissements loin de la région parisienne, obligeant alors, si leurs proches désirent les voir à ajouter au coût du voyage par avion, celui du train ou de la voiture pour se rendre dans nos prisons les plus reculées.

Honte à cette France qui prétend que la déportation n’existe plus, qu’elle a été abolie.

Ces hommes ont des droits.

Mais un droit n’a de sens que s’il peut être effectif.

Les privant d’une possibilité d’exécuter leur peine dans leur territoire de résidence, soit par ce que la justice en a décidé ainsi, soit parce que « faute de moyens » pour l’Etat -qui prône la réinsertion des détenus, qui inscrit le maintien des liens familiaux dans les textes de la république comme fondement à la réinsertion- qui ne peut construire d’établissements pour peine adéquat dans ces lieux, la France viole l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’hommes et les libertés fondamentales.

Mais qui se préoccupe de ces hommes et de ces femmes ?

Classe misérable, classe dangereuse, dicte la morale populaire, qui se cache derrière un semblant de droit pour croire qu’elle n’inflige pas des peines dont le niveau de souffrance endurée dépasse celui seul de l’incarcération.

« Le ministre est sensible à votre interpellation. », peut-on lire dans un courrier du cabinet du garde des sceaux.

Sensible…

Fabrice, Joseph, et Germain, n’en n’ont que faire de cette sensibilité.

Ils veulent pouvoir être proches de leur famille, pouvoir être présents avec eux lorsqu’ils traversent un deuil.

Car c’est le cas de Fabrice. Qui vient de perdre son père. Qui est à Clairvaux, au QD depuis 55 jours, qui ne veut pas rejoindre le QI où il sera encore plus oublié de tous.

Tout le monde n’en a que foutre d’un miséreux qui dans sa souffrance, lié à l’incarcération et aux milliers de kilomètres qui le sépare de ses proches, a des réactions de plus en plus brutales face à une administration qui l’a relégué à Clairvaux.

« Vous n’êtes pas prioritaires pour demander un transfert sur la région parisienne », région qui serait plus accessible déjà pour ses proches.

Il sera de nouveau jugé pour sa réaction, certes violente, lorsqu’il a appris le décès de son père.

Le parquet se fera un plaisir de demander une peine lourde, de 2 ou 3 ans de plus. Rien ne sera pris en compte : sa situation de déporté, sa situation de miséreux à qui on ne donne pas de travail (pas prioritaire une fois de plus : il n’a pas d’enfants !), sa situation de souffrance car comment le juge de l’application des peines lui accorderait une permission de sortie sous escorte pour aller à l’enterrement de son père alors qu’il est interdit de séjour en Guadeloupe.

Kafkaïen.

L’œuvre de justice n’est pas œuvre de droit.

Ban Public dénonce la situation de ces hommes et ces femmes déportées.

Ban Public dénonce l’hypocrisie de l’abolition de la peine de mort dont on fête pour la énième fois l’anniversaire car cette abolition n’a pas supprimé les peines afflictives de déportation et de Bannissement.

Ban Public exige :
– L’abolition des peines complémentaires d’interdiction de résidence pour les résident(e)s d’outre-mer ;
– Que le droit de maintenir des liens familiaux normaux soit effectif pour ces hommes et ces femmes déporté(e)s, comme ce droit existe pour les personnes condamné(e)s sur le territoire métropolitain.

Ban Public condamne la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme pour ces hommes et ces femmes.

Sans une prise de conscience collective de ces situations dramatiques, la prison, une fois de plus, créé une peine complémentaire, digne d’un traitement inhumain et dégradant, renforçant le risque de récidive. A ce territoire que l’on nomme République, une et indivisible, ou sur chaque fronton d’établissement pour peine il est écrit Liberté Egalité Fraternité, nous te disons République de France, d’appliquer aussi la solidarité. Celle qui se veut Fraternelle, Humaine et sensible aux plus démunis de nos concitoyen(ne)s. Alors tu sortiras grandie de ces oublis aux Droits Humains que tu bafoues sans cesse chaque jour…

Ban Public le 19 septembre 2012

Contact presse Benoît David : 06 63 08 17 39

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Gennevilliers, un an après

Collectif Vérité & Justice pour Jamal – Septembre 2012

Gennevilliers, un an après..

Un an…
Voilà près d’un an que Jamal Ghermaoui (Ayr), habitant de la cité du Luth à Gennevilliers, a été tué à l’âge de 23 ans dans sa cellule du mitard de la maison d’arrêt de Nanterre.
Un an que Jamal a été enterré à Ahfir au Maroc, dans le cimetière où reposent les membres de sa famille.
Un an qu’il manque à sa mère, sa sœur, ses frères, sa compagne, sa famille, ses amis et ses proches, tandis que les surveillants pénitentiaires qui l’ont tué mènent des vies paisibles auprès des leurs.
Un an que le Collectif Vérité & Justice pour Jamal est aux prises avec les manœuvres de la mairie de Gennevilliers pour l’obtention d’une salle dans cette ville (salle jamais obtenue à ce jour).
Un an que ce Collectif mène son combat et ses activités dans l’indifférence générale de la plupart des organisations politiques, y compris celles qui ne jurent que par les « quartiers ».
Un an !
Depuis un an, la famille de Jamal, ses proches et les habitants du Luth n’ont pas attendu que la justice rende son verdict pour clamer haut et fort ce que tout le monde sait : Jamal n’est pas simplement mort, il a été tué.
Si Jamal n’est plus là, c’est la faute à des fonctionnaires rétribués par l’Etat, qui ont décidé de lui ôter la vie.
Dire cette vérité simple sur la mort de Jamal, c’est respecter sa mémoire et faire preuve de dignité.
Un an… et une victime de plus.
La mort de Jamal n’est bien entendu pas un cas isolé. Elle vient s’ajouter tristement à la longue liste de celles et ceux mort-e-s poursuivi-e-s, frappé-e-s, tasé-e-s, tiré-e-s à vue ou enfermé-e-s par les forces répressives.
Chaque situation est bien entendu spécifique à un lieu, un milieu, un quartier, etc. Pourtant, chaque victime de cette répression d’Etat doit être pour tout le monde l’ « événement catalyseur qui cristallise les tensions sociales et politiques sous-jacentes ».
A Gennevilliers, la mort de Jamal est évidemment à inscrire dans l’histoire de la ville.
Une histoire commune à tant de villes populaires, faite de bidonvilles qu’occupaient comme ils le pouvaient les immigrés des (ex) colonies, venus ou amenés en France pour travailler.
Une histoire faite de luttes ouvrières, de désindustrialisation et de chômage de masse.
A l’instar d’autres communes du département comme Nanterre et de nombreuses autres villes en France, Gennevilliers vit aujourd’hui à l’heure des programmes de « rénovation urbaine » et du démolissage de nombreuses tours et barres, notamment celles de la cité du Luth.
En lien avec ce programme, les habitants de cette ville – surtout les jeunes – subissent également une féroce répression policière, qui vient leur faire sentir un peu plus chaque jour qu’ils ne sont pas chez eux dans leur propre ville et qu’ils feraient mieux de la quitter sous peine d’être constamment harcelés.
Au-delà évidemment de la répression d’Etat que subissent plus particulièrement encore les Noir-e-s, Arabes, Rroms et Asiatiques en France et de l’histoire des luttes contre cette répression, c’est de tout cela – et de bien plus encore – qu’est révélatrice la mort de Jamal.
Pour toutes ces raisons et pour commémorer la date symbolique d’un an et rendre hommage à la mémoire de Jamal, le Collectif Vérité & Justice pour Jamal organise un rassemblement courant octobre devant la maison d’arrêt de Nanterre.
Nous nous réunirons ensuite pour faire un point sur l’enquête judiciaire, ainsi que sur les mobilisations en cours contre la répression d’Etat et les moyens politiques et artistiques de mener ces luttes.
Dans l’optique de cet événement, nous invitons – sans exclusive aucune – toutes les personnes, habitantes du Luth, militantes d’organisations politiques ou associatives, artistes (peintres, dessinateurs, graffeurs, MC’s, vidéastes…), journalistes ou toute personne, peu importe ou elle habite, désireuse d’aider le Collectif Vérité & Justice pour Jamal à prendre contact avec nous.
C’est par le biais de la production politique et artistique que nous inscrirons le drame que constitue le meurtre de Jamal dans l’histoire de Gennevilliers et dans celle plus générale des luttes de l’immigration et des quartiers populaires.
Nous comptons sur vous.
Collectif Vérité & Justice pour Jamal
Gennevilliers – Septembre 2012

 

Contact : justicepourjamal@gmail.com

Infos : www.etatdexception.net

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Comment un dealer oblige des enquêteurs à dévoiler leurs sources

Le revendeur embarrasse les magistrats dijonnais au point de pouvoir faire exploser la machine à réprimer les trafiquants.

C’est l’histoire d’un type qui a déjà eu plusieurs fois dans sa vie maille à partir avec les services de police, toujours pour le même motif : commerce illicite de cannabis. Il s’appelle Mokhtar Matallah, il est né en 1976 à Dijon, mais demeure officiellement à Vénissieux, dans cette banlieue lyonnaise que la PJ considère comme l’une des plaques tournantes du shit en France. Début septembre, il est renvoyé devant le tribunal correctionnel pour une nouvelle affaire, mais tout ne se passe pas exactement comme l’avaient prévu magistrats et policiers de la Côte-d’Or.
Dès la première approche, son avocat parisien, Thomas Bidnic, bute sur un os. Le dossier qu’il consulte n’est pas complet. Malgré ses protestations, la magistrate qui examine la prolongation de la détention de Matallah couvre ses confrères. «Votre avocat a raison, mais vous verrez ça avec la chambre de l’instruction, qui va m’étriller», fait-elle en regardant ses chaussures.
L’avocat découvre rapidement que l’accusation ne tient qu’à deux fils, deux accusateurs anonymes dont on ne sait à peu près rien. Rien d’exceptionnel à première vue, dans la mesure où la police des stups ne carbure qu’aux indicateurs, sauf que le client affirme qu’il est innocent sur ce coup-là… Et ne voit absolument pas d’où sortent ces dénonciateurs sans nom.
Fervent partisan d’une stricte application du droit, Me Bidnic entre en rébellion et demande les fadettes de la cabine téléphonique qui aurait permis au premier informateur de se manifester. «Trop tard, lui dit-on, on ne les garde qu’un an.» L’avocat demande alors que soit identifiée l’autre «source». Son interlocuteur tergiverse un moment en lui expliquant qu’il n’est pas certain que les policiers connaissent vraiment son identité. Me Bidnic insiste tellement qu’une magistrate, trop sûre d’elle ou inconsciente, finit par exiger par écrit la levée de l’anonymat de «l’autre source selon laquelle Mokhtar Matallah serait de nouveau impliqué dans des importations de produits stupéfiants». Elle veut aussi connaître «les conditions exactes dans lesquelles les enquêteurs en ont eu connaissance».

«Aider à la manifestation de la vérité»

Interrogé, le capitaine de police en charge de l’enquête oppose à la magistrate une fin de non-recevoir. «Il n’est bien sûr pas envisageable de divulguer l’identité de l’informateur, par ailleurs enregistré au bureau central des sources», déclare-t-il, entraînant derechef les véhémentes protestations de l’avocat. «Aucun texte n’autorise un policier à braver l’autorité du juge, s’exclame-t-il. Un policier, ce n’est tout de même pas le bon Dieu ! » A ses yeux, la lutte contre la drogue ne peut conduire la police à se soustraire ainsi à tout contrôle, au risque de créer un espace où tout serait permis.

Dans le petit milieu des magistrats dijonnais, on se rebiffe en dénonçant cette «défense de rupture» pratiquée par l’avocat. Me Bidnic leur renvoie la balle en assurant qu’ils sont eux-mêmes en rupture avec la loi. Puisque le policier ne veut pas «aider à la manifestation de la vérité», il réclame son audition comme témoin… en sa présence.

En attendant un rendez-vous judiciaire qui s’annonce houleux, puisque l’avocat réclame rien de moins que l’annulation de la procédure, l’accusation tente de rassembler ses maigres billes, à commencer par les empreintes du suspect retrouvées à bord d’une voiture dont on suppose qu’elle a participé à la remontée d’une cargaison de shit de l’Espagne vers la France. Ou le fait que plusieurs de ses amis aient loué des voitures qui ont parcouru des milliers de kilomètres. Mais la justice s’est mise dans une telle impasse en exigeant la levée de l’identité de la «source» qu’elle aura du mal à transformer cette prise de guerre en véritable victoire. Même si le suspect a un casier qui plaide contre lui.

Source : Marianne, septembre 2012.

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