A la mémoire de Jawad Zaouiya

Rappel :

OUZE ANS que ce père attendait cette décision de justice. Douze ans que Salah Zaouiya tient droit, debout, auprès de son épouse anéantie par la dépression, pour faire reconnaître la responsabilité de l’Etat dans la mort de leur fils de 19 ans, Jawad, en 1996, dans l’incendie d’une cellule à la prison de Bois-d’Arcy.Le Conseil d’Etat a donné raison à la famille, mercredi 17 décembre, à l’issue d’une longue bataille judiciaire. « C’est fini. Je suis ému. On m’avait toujours dit que je me battais contre un mur. Il est tombé. Le combat continue pour les autres détenus », a confié M. Zaouiya.

Jawad avait été placé le 12 juillet 1996 en détention provisoire, à la suite d’incidents avec des policiers dans son quartier du Val Fourré à Mantes-la-Jolie (Yvelines). Il partageait une cellule de 9 m2avec deux autres détenus. Le 23 juillet, en pleine nuit, l’un d’eux a déclenché un incendie. Il était 1 h 20. La porte de la cellule n’a pu être ouverte qu’à 1 h 35. Quand le SAMU est arrivé à 2 h 05, Jawad et son codétenu incendiaire, asphyxiés, étaient morts depuis au moins 25 minutes.

En 2004, le tribunal administratif de Versailles avait reconnu la faute de l’Etat : «L’administration a fait courir à Jawad Zaouiya un risque spécial qui l’a privé d’une chance de survie. »

En 2006, la cour administrative d’appel de Versailles avait confirmé la responsabilité de l’administration et accordé une indemnité de 15 000 euros aux parents. La cour avait invoqué l’ « ensemble de circonstances à caractère fautif », responsable de « la perte d’une chance de survie » de Jawad.

Le Conseil d’Etat a validé toute l’appréciation des faits et le raisonnement tenu par la cour d’appel, et rejeté le pourvoi du ministre de la justice, Pascal Clément.

Le « danger provoqué par la combustion des matelas en mousse », comme « la fréquence des incidents provoqués par des détenus enflammant leur matelas, étaient connus de l’administration pénitentiaire sans que celle-ci ait mis en oeuvre de dispositions préventives appropriées » souligne l’arrêt.

Sont aussi en cause, l’absence d’aération de la cellule et « l’impossibilité pratique et matérielle pour le surveillant de nuit d’accéder rapidement au matériel de lutte contre l’incendie ». Ce n’était pas, comme M. Zaouiya l’a souvent entendu de la part de l’administration depuis douze ans, « la faute à pas de chance ».

Nathalie Guibert ( libération )
 
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Témoignage d’une personne détenue à la maison d’arrêt de Fresnes, juin 2012 (G.E.P.)

La fouille corporelle est dégradante pour le détenus. Le fait de se mettre à nu est une situation les plus humiliantes que puisse connaître un prisonnier, surtout quand c’est la première fois.
Se retrouver à poil devant un inconnu avec qui il n’y a aucune intimité c’est grave et déshonorant pour le commun des mortels, mais pour l’incarcéré tout le monde trouve cela normal. Heureusement qu’il y a des voix qui s’élèvent petit à petit pour dénoncer ce fait si courant dans les prisons de France, le pays des droits de l’homme. Se déshabiller, s’abaisser et tousser pour vérifier si vous n’avez planqué dans le rectum ou ouvrir la bouche grandement comme chez le dentiste sont des pratiques d’un autre âge. Montrer ses parties intimes (génitales), les aisselles et j’en passe n’est plus de l’ordre de la sécurité mais du rabaissement, et l’aliénation. Je ne parle même pas des dégâts psychologiques que cela entraîne sur l’individu tant sur le plan d’abord social que religieux ou autre.
Face à cette attitude désuète voire inhumaine, nous devons réagir et interpeller l’opinion publique pour trouver une solution adéquate et contemporaine avec notre temps et nos mœurs en vigueur.
La privation de liberté ne doit pas tout permettre dans nos sociétés. La nudité est de l’ordre du privé, et elle appartient à l’individu. C’est un droit qui doit lui appartenir. Il y a d’autres moyens de prévention qui peuvent être utilisés à cet égard. »

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Philippe El Shennawy en grève de la faim jusqu’à la mort

Philippe a été condamné à perpétuité en 1977 pour un braquage, il avait alors 21 ans. Les institutions judiciaires et pénitentiaires ont utilisé leurs potentialités répressives pour détruire un homme résolument debout : « saucissonnage » des affaires, peines éliminatrices, quartier d’isolement, enfermement psychiatrique… Aujourd’hui, âgé de 57 ans, il s’est vu refuser l’aménagement de ses peines, ce qui pousse sa sortie en 2032, autant dire une mort lente. Philippe disait il y a un an : « D’une certaine façon je suis à la croisée des chemins (…) je me sais encore assez d’énergie et de volonté pour entreprendre quelque chose de positif, dans la mesure où une perspective à très court terme se profilerait. Par contre, si la situation et les incertitudes devaient perdurées, il sera plus logique et plus sain d’y mettre un terme soi-même. Je suis simplement fatigué. » Dans cette émission L’Envolée, Julien Dubs, l’un des avocat de Philippe, Milko et Benoit de Ban Public, Laurent et Kiou d’anciens longues peines, dénoncent avec Philippe la longueur des peines et tentent de dresser les perspectives d’une mobilisation.

caractéristiques techniques :
Durée : 1 heure et 5 minutes
mp3 – 320 kbps – 59.2 Mo

Conférence de presse du 7 juin 2012 à propos de cette grève de la faim, organisée par l’avocate de Philippe El Shennawy, Maître Bianchi.

caractéristiques techniques :
Durée : 23 minutes
mp3 – 320kbps – 52.7 Mo

radio :
FPP

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Témoignage reçu d’une maison d’arrêt, le 14 juin 2012 (G.E.P.)

[…] Quoi qu’il en soit, c’est ce dont nous avons besoin, à savoir ce relais constant que vous opérez dans la divulgation de l’ignominie, c’est l’unique contrepartie à leur exactions, le seul parapet à leur insanité. Tout ce que vous entreprenez est extrêmement convainquant et par conséquent positif, loin de toute flagornerie, tant nous suffoquons au sein des murs à l’instar de Philippe El Shennawy auquel je ne manquerai pas d’écrire, l’assurant de mon soutien sans en ajouter, étant à même de jauger la dimension de ce qu’il endure, cela dépasse l’entendement. Il est l’un des derniers représentants d’une espèce en voie de disparition, de ces anarcho-gangsters, selon Bauer, dont les convictions associent le braquage à un geste revendicatif préalablement à un acte alimentaire. Plus avant, il a sur rallier les médias à sa cause, démontrant par là même l’absurdité et l’iniquité du système. Forcément, le prix à payer est très lourd et l’accumulation de peines devient une perpétuité non prononcée mais tout aussi réelle vu l’incapacité d’obtenir une confusion au sens plein du terme et non une aumône judiciaire telle celle dont vous faite référence. A ce stade, ce n’est plus l’acte commis que l’on sanctionne mais uniquement le symbole qu’il représente, ne serait-ce que vis-à-vis de la jurisprudence portant son nom. S’il n’a pas le monopole de la vindicte judiciaire, force est d’admettre qu’il en est toutefois l’un des dignes représentants parmi des centaines d’autres. Avoir échoué dans l’éradication de ses appuis familiaux est aussi une amertume pour l’administration répressive.

Quant à espérer que la nouvelle puissance administrativo-législative effectuera les changement souhaités aussi bien dans les faits que dans les mentalités, je suis comme lui, je patiente la fin des législatives.

Je te joins les coordonnées d’un site, www.cinemalux.org, où tu trouveras un reportage réalisé par Joël Letensorer et l’association Démosthène (https://www.cinemalux.org/spip/Nouvelles-prisons-nouveaux-enjeux) à partir de témoignages carcéraux réalisés au CP de Rennes, là où il y a eu de récents incidents avec incendie et matons blessés, c’est te dire l’ambiance. A vrai dire, c’est la même fosse sceptique qu’ici. Ce reportage a fait l’objet d’une conférence à Caen […] Avocats et député (Laurence Dumont) y étaient présents. […] D’autres ont témoigné du confort associé à la déshumanisation avec une nette diminution des contacts humains, avec une restriction des surfaces disponibles sous franchissement à carte, avec un maillage systématique aux fenêtres (les fameux caillebotis sanctionnés par les instance européennes) réduisant le champ visuel, avec cet éloignement de la ville qui écarte toute référence à la vie normale tandis qu’une représentante de Démosthène a insisté sur cette temporalité différente dans laquelle les courriers sont freinés, voire détruits, pour diverses raisons alors qu’ils sont un des rares liens avec ce futur monde de réintégration. Laurence Dumont a souligné qu’il était inconcevable que les lois votées puissent être invalidées dans un secteur tel qu’il soit ! Fausse candeur ? Possible mais en l’état, la loi ne suit pas le coupable dans la prison où elle l’a conduit, nous pouvons en témoigner.

[…] Tu reviens sur la question de l’enquête sur la perception de la justice au gré de divers témoignages. L’idée est bonne mais à qui vas-tu t’adresser ? Il faut que tu cibles objectivement ta prospection, à savoir que tu te tournes vers ceux susceptibles de saisir le bien-fondé de ta requête et de répondre à la hauteur de tes attentes. Je ne vois que la population de centrale qui puisse te satisfaire à cet effet. […] Sans élitisme aucun, il n’y ait que les longues peines, dans la quintessence de leur souffrance, qui puissent participer à l’élaboration de ton enquête. Les seuls gars valables ici-même sont reclus dans cette micro-centrale aux relents états-uniens et je n’ai pas de contact avec eux.

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« Le dernier combat de Philippe El Shennawy, incarcéré depuis trente-sept ans »

Condamné à près de soixante ans de prison pour plusieurs braquages, un détenu de la maison centrale de Poissy a cessé de s’alimenter depuis un mois. Ses proches le disent déterminé à aller « jusqu’au bout ».

Il est entré en prison en 1975 et doit en sortir en août 2032, à l’âge de 78 ans. Philippe El Shennawy, condamné pour des braquages avec prises d’otages, et plusieurs évasions et délits, a épuisé ses derniers ressources judiciaires. Le 18 mai, la cour d’appel de Versailles lui a refusé une confusion significative de ses multiples peines. Depuis, il a cessé de s’alimenter. « Ce n’est pas une grève de la faim », précise Benoît David, de l’association Ban public, dont Philippe El Shennawy est le président d’honneur. Ce dernier n’a réellement plus d’espoir.

Une vie derrière les barreaux

Depuis son incarcération à l’âge de 21 ans, en 1975, Philippe El Shennawy n’a passé que trente mois à l’extérieur, dont une vingtaine en cavale. Il n’a pas de sang sur les mains. Mais a passé sa vie « emmuré » pour une accumulation.

Condamné à perpétuité en 1977 pour un vol à main armée avec prise d’otages sur l’avenue de Breteuil, à Paris, il est aujourd’hui âgé de 58 ans et totalise trente-sept années de détention pour plusieurs condamnations différentes.

En 1991, il bénéficie d’une libération conditionnelle, quatorze ans avant la fin de sa peine de prison à perpétuité. Mais il est réincarcéré pour avoir bravé une interdiction de séjour à Paris pour rencontrer son fils. Six ans plus tard, il profite d’une permission de sortir pour s’enfuir. Plusieurs délits durant sa cavale lui valent des nouvelles condamnations.

Ce scénario se répète en 2004, lorsqu’il s’évade à nouveau, de l’unité pour malades difficiles de Montfavet, où il est enfermé. « C’était une tête dure, il refusait ses conditions d’incarcération, alors on l’abreuvait de tranquillisants pour essayer de le faire taire », raconte son avocat, Julien Dubs, dans une vidéo. Durant cette seconde cavale, il se rend de nouveau coupable de plusieurs infractions aux biens, et de vols à main armée.

Acharnement

Ses cavales et ses braquages lui ont valu une sombre notoriété et la sévérité des tribunaux. Ses méfaits sont jugés un à un et les condamnations sont additionnées au delà de trente ans.

Ses proches décrivent un homme intelligent et déterminés, qui mérite aujourd’hui de caresser l’espoir de recouvrer la liberté. « Il avait trouvé une sérénité ces dernières années, motivée par la confusion des peines que nous demandions à hauteur d’une vingtaine d’années » de réduction de peine, raconte Julien Dubs.

Alors, quand la cour d’appel de Versailles ne lui accorde que cinq ans de confusion de peine, en mai dernier, ses derniers espoirs s’évanouissent. « Il subit un acharnement administratif, car il a toujours revendiqué ses droits de détenu. Il est craint parce qu’il ne ferme pas sa gueule », dénonce Benoît David, mettant en doute l’honnêteté des « expertises » psychiatriques sombres qui collent à la peau de Philippe El Shennawy.

Il a cessé de prendre toute nourriture depuis le 25 mai, pour la 8e fois. « Sa dernière », assurent ses proches. « Cette fois, il n’en peut plus. Puisqu’on veut l’exécuter de façon administrative. Puisqu’on veut l’éliminer. Il a décidé de mettre à exécution sa peine », assure Laurent Jacqua, écrivain et ex-détenu, qui l’a rencontré en prison. « Ce qu’il vit est insupportable. Qui serait capable de supporter un tel enfer ? »

Perpétuités réelles

Un millier environ de détenus purgent des peines longues, selon l’association Ban public. Condamnés à perpétuité ou à des peines qui se cumulent dans le temps, ces détenus accomplissent des « perpétuités réelles » derrière les barreaux. « Dans les conditions de détention que l’on connaît en France, il est inimaginable de rester enfermé plus de vingt ans. Il existe d’autres moyens de les empêcher de commettre des délits », interpelle Laurent Jacqua. « Ça n’a de sens ni pour lui ni pour la société », regrette Benoît David, en évoquant le parcours carcéral de Philippe El Shennawy.

Alors ils espèrent pouvoir ouvrir un débat sur les longues peines et les périodes de sûreté, dont le nombre est en augmentation. Sous la pression politique et médiatique, les magistrats ont la main lourde. En 2006, une dizaine de détenus avaient déjà tenté d’éveiller les consciences en s’adressant à l’administration pénitentiaire pour demander le rétablissement de la peine de mort et le droit « d’en finir une bonne fois pour toutes plutôt que de crever à petit feu ».

Pour Philippe El Shennawy, il reste une alternative : le pourvoi en Cassation ou à la Cour européenne des droits de l’homme, où il a déjà fait condamner la France pour des fouilles à nu abusives. Une nouvelle demande de confusion de ses peines pourrait aussi être déposée s’il avance des éléments nouveaux. Mais il n’a plus la force d’attendre les années de procédures incertaines. Il reste à ses proches la possibilité d’enquérir une grâce présidentielle. Un dernier espoir.


- Lettre de Philippe El Shennawy, le 7 mars 2011 :

« D’une certaine façon, je suis en ce moment de vie à la croisée des chemins… Dans quelques jours, j’aurai 57 ans et je me sais encore assez d’énergie et de volonté pour entreprendre quelque chose de positif dans la mesure où une perspective à très court terme se profilerait. Par contre, si la situation et les incertitudes devaient perdurer, il sera plus logique et plus sain d’y mettre un terme de soi-même. Rassurez-vous, …, il ne s’agit pas là d’un discours de désespéré, loin de là. Je suis simplement fatigué. »

(Source Ban public)

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Sur le travail en prison

Dans Le Travail en prison (éditions Autrement, 2010), Gonzague Rambaud et Nathalie Rohmer ont enquêté sur le business carcéral. En 2008, 16000 détenus ont travaillé dans les prisons, majoritairement rémunérés à la pièce, sans contrat de travail, pour en moyenne 3,90 euros de l’heure. Si les entreprises profitent allègrement de cet eldorado économique, elles ne se vantent pas de leur présence dans les prisons françaises. « Pas besoin de le crier sur tous les toits », indique poliment la direction d’une d’entre elles. Une fois démasqués, certains grands noms de l’industrie se retranchent derrière leurs sous-traitants, d’autres feignent de découvrir l’information, beaucoup ne se souviennent plus de rien, ou alors admettent qu’« il y a très très longtemps… » Making-of de l’enquête, avec le récit de quelques cas caractéristiques d’amnésie.

 

Assemblage de guirlandes électriques, pliage de couronnes des rois, conditionnement de cotillons, préparation de coffrets « spécial fête des Mères », packaging pour les offres promotionnelles, insertion de périodiques dans des sachets en plastique, emballage de Post-it… Autant de taches manuelles que certaines entreprises sous-traitent aux prisons ; des activités faiblement qualifiées pour la plupart, et qui nécessitent par intermittence un important volume de main d’oeuvre. L’imprimerie, la confection, la cosmétique, l’automobile et le marketing sont les secteurs qui font le plus souvent appel aux ateliers pénitentiaires. Les ouvriers incarcérés ne manquent pas d’atouts, ainsi que le rappelle la maison d’arrêt de Strasbourg dans un film publicitaire destiné à des entrepreneurs alsaciens : « Une main-d’oeuvre payée au rendement, travaillant douze mois sur douze, pas d’absentéisme, pas de conflits sociaux ». Autres avantages pour les « employeurs » : des ateliers mis à disposition gracieusement, un encadrement pris en charge par l’Administration Pénitentiaire dans la majorité des cas, et peu ou pas d’investissements à faire en matière de mises aux normes des locaux et des machines de production. Des avantages similaires à une délocalisation en Chine ou en Roumanie, le décalage horaire et les frais de transport en moins… En France, sur ce type d’emplois intérimaires très bon marché, seuls les Esat [1], où travaillent les salariés handicapés, peuvent rivaliser avec les prisons. L’absence de contrat de travail donne en outre presque tous les droits aux concessionnaires [2] présents dans 181 des 197 prisons françaises au 1er janvier 2010 : les entreprises gèrent leur production à flux tendu, interrompent et reprennent l’activité à leur guise, sans la moindre indemnité à verser. Comme le dit une brochure du Ministère de la Justice, qui parodie un jeu de Monopoly [cf. illustration] : « COMMANDE IMPREVUE | TRAVAUX URGENTS | BUDGET SERRE | EFFECTIFS INSUFFISANTS Rendez visite à la prison ; « Problèmes de planning pendant les mois chargés ? Pas de panique ! la prison vous accueille toute l’année ! »

 Vendredi 20 mars 2009. Premier contact avec Claire G., directrice de la communication de Bic France. Affable et posée, prête à discuter quelques minutes de tout et de rien (« Vous êtes pigiste pour la presse économique par ailleurs ? Longtemps que vous travaillez sur ce sujet ? »), elle ne semble pas être surprise de la requête (« Bic fait-elle travailler des détenus dans des maisons d’arrêt ou/et des centres de détention ou maison centrales ? »), et promet de me rappeler. Ce qu’elle fait très rapidement puisque, sept minutes après notre premier échange, mon portable sonne. Claire G. est cette fois plus directive et concise : « Je vous rappelle car on ne fait plus travailler de détenus depuis 2005. Désolée, on ne va pas pouvoir vous aider, bon courage pour votre enquête ! » Comme elle s’apprête à raccrocher, je tente de la retenir :

– Oui, mais ce n’est pas grave, ce serait intéressant d’avoir votre retour d’expérience ; mon livre ne s’inscrit pas forcément dans l’actualité.

– Il faudrait trouver quelqu’un qui connaisse bien le sujet, c’était il y a quand même longtemps…

– Vous semblez avoir des personnes ressources en interne puisqu’en sept minutes vous avez été capable de me dire que Bic ne faisait plus travailler de détenus depuis 2005…

– Oui, bon, alors vous m’envoyez un mail, et je vois si c’est possible que vous rencontriez quelqu’un.

Une semaine plus tard, le 27 mars, la directrice de la communication de Bic rappelle, pressée, cette fois, de clore le dossier :

– On ne va pas pouvoir répondre à vos questions, les personnes qui s’occupaient de ça à l’époque ne sont plus là. J’aurais été ravie de pouvoir vous aider car, je vous parle honnêtement, cela n’aurait pas été inintéressant pour Bic de se retrouver dans une étude de ce type.

– Ces personnes sont-elles parties à la retraite ?

– Monsieur, je sais que vous essayez d’avoir des témoignages d’entreprises et que cela est difficile à obtenir, mais malheureusement, je ne vais pas avoir les gens ni la matière pour vous. A la limite, moi, à votre place, je ne mentionnerais pas la marque Bic dans votre livre puisque malheureusement, vous n’avez pas assez de détails à développer, à part dire « Bic était en prison, Bic l’a fait ». Alors oui, ce serait une petite anecdote de citer Bic parce que tout le monde connaît, mais c’est tout. Non, je serais vous, je citerais d’autres exemples d’entreprises.

Claire G. prend cette fois congé, non sans préciser qu’elle reste à ma disposition pour d’autres sujets, « pourquoi pas, par exemple, un sujet sur les sportifs qui représentent notre marque dans les campagnes de publicité ? ». Poursuivant l’enquête, j’appelle, peu de temps après , la responsable travail de Fleury-Mérogis, Madame Yanic Euranie [3], qui m’indique avoir vu, en 2009, des produits BIC en cours d’assemblage dans certains ateliers de la plus grande prison d’Europe. L’occasion est trop belle pour ne pas rappeler, sur le champ, Claire G., qui se montre hélas passablement excédée :

– On fabrique 24 millions d’articles de papeteries, 5 millions de briquets, 11 millions de rasoirs par jour. Alors, il se peut, je dis bien il se peut, qu’on ait fait emballer une petite promotion par une prison il y a quelques mois, c’est possible avec le nombre d’articles que l’on brasse tous les jours. En tous cas, le travail régulier qu’on donnait à l’époque en prison, on ne le fait plus.

– Une responsable travail d’un établissement pénitentiaire me dit que Bic est actuellement présent sur le site. Peut-être est-ce un de vos sous-traitants ?

– Je n’en sais rien mon pauvre, vous savez combien nous avons de références ? Sans parler des opérations promotionnelles ! Je vais vous écrire un texte pour vous expliquer.

Tenant parole, Bic envoie, le 19 mai 2009, un long mail dans lequel on apprend que l’entreprise « a sous-traité du travail en prison, notamment dans les prisons de Fleury-Mérogis et d’Osny, depuis la fin des années 1970 et jusqu’en février 2006, date à laquelle le groupe a transféré l’ensemble de ses activités de co-packing réalisées pour le marché européen, dans un centre européen dédié ». Et de préciser les tâches réalisés par les prisonniers : « Type de travail sous-traité : Articles d’écriture : Mise sous pochette de certains instruments d’écriture (stylos à bille BIC Cristal, BIC Orange et autres modèles) destinés à être commercialisés en France dans le circuit de la grande distribution. Briquets : Apposition d’étiquettes promotionnelles et mise en place des briquets dans des présentoirs promotionnels. Rasoirs : confection de lots promotionnels (type deux pochettes similaires dans une plus grande pochette) et montage/remplissage de présentoirs de rasoirs ». Un souci des détails qui honore la marque, laquelle, deux mois auparavant, se disait incapable de nous donner la moindre précision. Apprenant qu’elle serait cité dans notre ouvrage, la marque a sans doute préféré modifier quelque peu sa communication. Le mail envoyé ne se termine-t-il pas d’ailleurs par ce vibrant hommage aux ouvriers-détenus : « Bic a toujours été très satisfait de cette collaboration, en particulier de la qualité du travail effectué et de la réactivité » ?

Agnès b. dit n’avoir fait appel à la sous-traitance carcérale qu’une fois : « A priori, l’intervention des prisonniers sur les rouges à lèvres Agnès b. s’est passée antérieurement à 2003. C’était une action très ponctuelle, localisée et assez rare. Un sous-traitant qui avait pour mission de reconditionner des rouges à lèvres dans un fourreau ouvert, à la place du fourreau fermé dans lequel il étaient jusque là présentés. C’est le sous-traitant qui avait pris cette décision de son propre chef, la décision ne venait pas de chez nous », explique Catherine P. [4], responsable communication du Club des créateurs de Beauté, auquel appartient Agnès b.

– Savez-vous dans quelle prison cette activité a été réalisée ?

– Non malheureusement, je ne sais pas. Ce n’est pas de la mauvaise volonté. On ne l’a fait que pour UNE opération. Mon rôle ce n’est pas de vous mener en bateau ou de vous raconter des histoires…

– Avez-vous la possibilité de me mettre en relation avec le sous-traitant ?

– Le problème, c’est que le sous-traitant, on en a perdu la trace…

– Mais si vous avez retrouvé la trace de la facture dans vos archives papiers, vous devez bien avoir son nom…

– Attendez, attendez (elle parle à voix basse à un interlocuteur), on me dit que la personne qui s’occupait de ça est partie à la retraite. C’était Michel, qui est parti à la retraite il y a douze ans, non dix ans. (Une pause, elle parle toujours au même interlocuteur). Alors, alors, je vais être encore plus claire : on a eu vent de cette histoire car, déjà, vous nous en avez parlé, et puis aussi on a reçu en 2005 une lettre d’un détenu qui avait participé à cette opération et qui voulait savoir si on allait continuer parce qu’il avait aimé travailler pour nous, enfin… pour le sous-traitant.

– Un détenu nostalgique de cette activité qu’il aurait réalisé une seule fois en 2003, vous aurait donc écrit pour vous inciter à revenir en prison ? Je pourrais écrire cette anecdote dans mon livre, s’il vous plaît ?

– Ben oui, pourquoi pas.

– Avez-vous encore ladite lettre et puis-je en lire un extrait ?

– La lettre, on ne l’a plus, non, ce n’est que de la mémoire orale…

– Qui s’est souvenu alors de cette lettre chez vous ?

– C’est une personne qui l’a dit à untel, qui l’a dit à untel, et ainsi de suite. On n’a pas retrouvé cette lettre, qui a bel et bien existé, mais ce que nous en disons, c’est que ce n’est que de la mémoire transmise, il n’y a plus de trace aujourd’hui.

– Donc, si votre mémoire orale est défaillante, votre présence en prison a pu durer un peu plus longtemps… Une de nos sources nous indique avoir vu des produits Agnès B en 2006, soit trois ans après votre unique opération de fourreaux de rouge à lèvres…

– Non, je ne pense pas, quand même… On en aurait entendu parler…

Si certaines marques ou entreprises sont difficiles à débusquer, d’autres me sont spontanément citées par l’Administration pénitentiaire ou par d’anciens gardes des sceaux. C’est le cas pour Yves-Rocher qui, malgré la « recommandation » de l’Administration pénitentiaire, tarde à rentrer en contact avec nous ; je finis par pouvoir lui parler :

– Je vous rappelle concernant un livre sur le travail en prison…

– Oui, je me rappelle très bien, malheureusement, je n’ai personne qui pourrait vous aider là-dessus.

– Comment ça se fait ? ça se passe pourtant dans votre usine à Ploërmel…

– Oui, je sais très bien, mais ça se passe en local, et les personnes que j’ai contactées n’ont pas forcément envie de prendre la parole sur le sujet.

– Vous ne souhaitez pas communiquer là-dessus ?

– Enfin… Disons que nous n’avons rien de particulier à dire sur le sujet.

– Quand vous avez eu des salariés de l’usine de Ploërmel, quelles ont été leurs réactions ?

– Ils ont dit que oui, on faisait ça mais que voilà, ils ne voient pas ce qu’ils peuvent ajouter à ce qui est dit et ce qui est fait. Je n’arrive même pas à avoir une idée de chiffre, de quantité de ce qui est fait en prison, je n’ai aucune idée. Ça m’est compliqué d’obtenir ces informations depuis Paris […] Bon, écoutez, je ne ferme pas la porte, je vais essayer de les relancer. Il y a eu un changement de direction sur le site de Ploërmel, je vais voir avec le nouveau directeur [5].

Deux jours après, Vannina B. me rappelle :

– J’ai réussi à faire un point sur ce que vous m’aviez demandé. Nous travaillons sur des activités très saisonnières, Noël, la Saint Valentin, etc. Il s’agit de mise en coffret de nos produits pour des offres promotionnelles. On fait travailler la prison de Lorient-Plomeur, mais aussi d’autres prisons de Bretagne. On sous-traite depuis longtemps en prison mais on a de plus en plus tendance, pour respecter l’obligation légale concernant les travailleurs handicapés, à privilégier les Esat, afin de tendre de plus en plus vers les 6%, ça se durcit [6]. A moyen et long terme, on risque de ne plus avoir de travail à donner aux prisons. Donc je ne sais pas si c’est intéressant pour vous de nous citer. Même si ça ne va pas totalement disparaître, ça risque de fortement diminuer.

– Vous êtes présents d’abord pour des raisons de coûts ?

– Pas forcément, parce que vu la petite part de cette activité, ce n’est pas non plus un gain de coût énorme. C’est aussi le fait de pouvoir faire travailler des gens. On va davantage le faire avec des personnes handicapées, ça reste en Bretagne et ça reste dans nos valeurs.

– Est-ce pour vos valeurs que vous avez choisi de faire travailler des détenus ?

– Oui, ça fait partie de nos valeurs mais, comme pour d’autres actions réalisées à petite échelle, on ne s’en vante pas. L’histoire de monsieur Yves Rocher s’est faite notamment autour de la volonté de créer des emplois dans sa ville natale de La Gacilly, qui était soumise à l’exode rural. La naissance du groupe vient de là. Fournir du travail et contribuer à la réinsertion de certaines personnes, ça fait partie de ses valeurs.

– L’absence de droit du travail, les rémunérations aux lances pierres, ce sont vos valeurs aussi ?

– J’y connais rien, Gonzague [7]. Ce n’est d’ailleurs pas le sujet, je crois. Vous êtes en train de me demander si le travail qu’on fait faire en prison respecte le droit du travail, or vous m’avez sollicité pour parler du genre de travail qu’on donnait en prison et me demander pourquoi on le donnait. Là, vous lancez une polémique, ça ne va pas.

Chez EADS, la réponse arrive plus vite. Nous sommes le 3 avril 2009 lorsque l’assistante de Pierre B., directeur de la communication, nous indique que « ça touche un fournisseur d’EADS, qui emploie des détenus pour faire un certain travail, ça ne touche pas EADS directement. C’est du côté de Toulouse, au centre de détention du Muret ». Plutôt que de nous passer Pierre B., « qui ne va pas vous dire autre chose que moi, je vous conseille d’appeler directement la direction de communication d’Airbus. Nous, on s’occupe de la communication corporate du groupe, l’image de notre président et les situations de crises. Les sous-traitants, on ne les gère pas ici, c’est Airbus qui gère ses propres sous-traitants ». Contacté par téléphone, Jacques Rocca, responsable des relations presse d’Airbus, dit effectivement avoir entendu parler de sous-traitance en prison, mais ne confirme pas qu’il s’agit d’un sous-traitant d’Airbus : c’est peut-être une autre entité d’EADS, « Toulouse ne signifie pas forcément Airbus ». Pour plus de précisions, il conseille de s’adresser à Frédéric Agenet, DRH d’EADS. L’assistante de ce dernier me transfère sur le poste de Sylvie Robin, laquelle m’invite à appeler… Jacques Rocca. Entre temps, je me rends au 10-12 rue du Renard, dans le IVe arrondissement de Paris, à la rencontre de Laurent Ridel, sous-directeur des personnes sous main de justice, numéro deux de l’Administration pénitentiaire, qui ne me donnera pas non plus le nom de ce fameux sous-traitant d’EADS, « étant tenu à la discrétion ». Au cours de cet entretien, Laurent Ridel précise que la crise économique a détruit « 458 emplois en 2008 », en raison notamment du départ « des sous-traitants automobiles, très présents dans les établissements du Nord de la France ».

Des sous-traitants automobiles ? Me voilà parti sur la piste de Renault. L’entreprise affirme n’avoir aucun lien avec le milieu pénitentiaire. « Nous n’avons pas trouvé de prestations de ce type, ni directement commandées par Renault, ni via des fournisseurs directs. Il y a peut-être des prestations ponctuelles par des sous-traitants de nos fournisseurs, mais c’est difficile à savoir pour nous car nous ne sommes pas en relation avec eux [8]. » Pourtant, d’anciens détenus et des personnels pénitentiaires citent spontanément la marque au losange lorsqu’ils donnent des exemples de grandes entreprises présentes dans les ateliers pénitentiaires. C’est le cas de Gepsa, filiale de GDF-Suez, co-gestionnaire de prisons et concessionnaires dans plusieurs prisons publiques [cf.encadré], qui confirme, dans sa plaquette promotionnelle numérique, que Renault compte bien – indirectement – parmi ses clients. Sur une des photos en effet, on voit très nettement un « opérateur détenu » coller une clef de voiture sur un dépliant publicitaire à l’effigie du constructeur automobile. Les jeux concours avec des « clefs gagnantes » distribués dans les stations services ? Un travail dont se souvient très bien Patrick [9], incarcéré cinq ans dans plusieurs établissements pénitentiaires entre 2005 et 2010, qui a également fabriqué des brosses de voiture non griffées. Assemblage de pare-brise, fabrication de tapis de voiture, d’amortisseurs en caoutchouc, mise sous plastique de notices, etc. Hormis durant la crise, il n’est pas rare que les fournisseurs automobiles, à l’instar de Faurecia et de Carbone Lorraine, sollicitent les détenus pour réduire leurs coûts.

Difficile également d’obtenir un récit de Redcats (groupe PPR), qui détient La Redoute et la Maison de Valérie, deux marques citées par plusieurs surveillants et présentées dans le rapport de Paul Loridant (cf. bibliographie) comme les premier et troisième clients des ateliers coordonnés par le Service de l’emploi pénitentiaire (SEP). Paul Loridant rapporte que les deux entreprises spécialisées dans la vente par correspondance se sont acquittées en 2000 de factures respectivement de 784 785€, l’autre de 589826€. Malgré les montants indiqués dans ce rapport, personne à La Redoute n’a jamais entendu parler de production en prison. Il faudra plusieurs relances pour entendre que « ce type d’activité a pu avoir lieu, mais alors il y a très, très longtemps. Aujourd’hui, toutes les personnes qui auraient pu apporter des précisions sont parties », regrette un collaborateur proche de la direction. Michel Wicquart, directeur du SEP, connaît visiblement mieux le dossier : « Nous travaillons pour Redcats, essentiellement pour La Maison de Valérie. On produit pour eux du petit mobilier, des tables de chevets ou des petites armoires, fabriqués par les prisonniers du centre de détention de Muret (Haute-Garonne). Nos produits sont ensuite proposés sur le catalogue de la Maison de Valérie », explique-t-il dans son bureau de Tulle (Corrèze) [10]

Et L’Oréal ? C’était le premier nom d’entreprise que m’avait cité Yanic Euranie, responsable travail de Fleury-Mérogis, dont les propos avaient été confirmés par de nombreuses sources. Sur une photographie mal floutée de la plaquette commerciale de la Gepsa, on devine aisément les logos Fa, Le Petit Marseillais, Elsève… Contacté à plusieurs reprises, le service communication de L‘Oréal joue la montre tout en assurant qu’il donnera, en temps et en heure, une réponse. Sans doute lassée de me dire que sa responsable « rappellera très bientôt », Sandrine Diagana, adjointe du service, décide un beau jour de faire les questions et les réponses : « Il y a eu trois réunions en interne sur votre sujet. Donc, est-ce qu’on avance sur votre demande, oui, est-ce qu’on a des infos, oui, est-ce que Ghislaine Mercier (la responsable du service communication, NDLR) va vous rappeler pour vous donner les infos, oui, en revanche, est-ce qu’on peut vous donner tout de suite les infos, non. » Deux mois plus tard, L’Oréal n’a toujours pas donné suite à mes demandes d’interviews. J’ai entre-temps rencontré Dominique Orsini [11], responsable du travail à la direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris, qui confirme les propos de Yanic Euranie avec aplomb : « Pas de langue de bois : dans sa charte éthique, la société l’Oréal met en avant l’interdiction du travail des enfants et des prisonniers, or tous les échantillons de L’Oréal ou presque se font en prison ».

La liste pourrait s’allonger encore. Les multinationales et grandes entreprises sont-elles sincères lorsqu’elles disent ne pas être au courant de ce travail de l’ombre ? « Vu la manière dont elles pressurisent leurs sous-traitants pour obtenir les meilleurs prix, elles doivent forcément s’en douter », répond un concessionnaire. « Les grands groupes qui ont recours à des sous-traitants sont au courant que ces derniers sous-traitent en prison ou alors c’est qu’ils ne veulent pas le savoir », affirme quant à lui Paul Loridant [12]

Quelques-uns, très rares, assument le recours au travail en prison. Et la plupart s’en tiennent sans doute au discours que nous a tenu un directeur des achats d’une filliale de Colas (groupe Bouygues) : « Je n’ai pas très envie de connaître les rémunérations des détenus… Je préfère ne pas savoir… Lorsque je fais travailler des Esat, des prisons ou des pays low cost, si je commence à me poser des questions fondamentales, je ne fais plus mon métier. »

Ces questions, rares sont ceux qui essaient de les poser. Si le SMIC devenait la règle en prison, il y a fort à parier, en effet, que les entreprises se détourneraient des geôles françaises. « Si on instaure le Smic, il n’y aura plus de travail, c’est une certitude, affirme Paul Loridant. C’est exactement ce qui se passe en Italie, qui applique en prison le droit commun du travail et qui connaît un taux d’activité aux environs de 20 pour cent seulement… Certes, idéalement, il faudrait un Smic, mais pourquoi alors ne pas instaurer les conventions collectives de la métallurgie, de l’imprimerie, etc ? On n’en sortirait pas. » Cette démonstration, implacable dans l’économie de marché dominante, permet de maintenir en l’état les faibles rémunérations. Au-delà de l’argument économique, un autre principe rend difficile l’alignement des salaires, ainsi que l’a rapporté Robert Badinter lors de son audition à l’occasion de l’enquête parlementaire menée en 2000 : « Une loi d’airain pèse sur la prison. Je l’ai appelée « loi d’airain », car je ne l’ai jamais vue démentie : vous ne pouvez pas, dans une société démocratique déterminée – je ne parle pas des prisons totalitaires, car l’idée même de respect de la dignité humaine n’existe pas – porter le niveau de la prison au-dessus du niveau de vie du travailleur le moins bien payé de cette société. Le corps social ne supporte pas que les détenus vivent mieux que la catégorie sociale la plus défavorisée de la société. » Ce n’est pas en tout cas la dernière loi, votée en urgence au Sénat le 6 mars 2009, juste avant le départ de l’ancienne Garde des Sceaux Rachida Dati, puis adoptée par l’Assemblée Nationale, qui changera quoi que ce soit. Concernant le volet « travail », elle n’apporte aucune avancée significative : la zone de non-droit perdure.

POURQUOI LES DÉTENUS TRAVAILLENT

Une « zone de non-droit » : c’est l’expression
choisie par le très consensuel Conseil économique
et social dans un avis de 1987 pour qualifier
le travail en prison. L’article 713-3 du
Code de procédure pénal est la pierre angulaire
de l’organisation du travail en prison : il
dispose que « les relations de travail des personnes
incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat
de travail », hormis « pour les activités exercées à
l’extérieur des établissements pénitentiaires »
(dans le cadre d’un régime de semi-liberté par
exemple). En conservant cet article, le législateur
a réaffirmé, lors du vote de la loi pénitentiaire
du 13 octobre 2009, sa volonté de faire
perdurer cette « zone de non-droit » : pas d’indemnités
chômage, de maladie ou d’accident
du travail, pas de congés payés, pas de droit
syndical et peu ou pas de reconnaissance des
conditions délétères d’hygiène et de sécurité.
Depuis 1987, le travail n’est plus obligatoire
en prison. Il reste cependant une nécessité
pour la plupart des détenus. Car en prison,
contrairement aux idées reçues, il faut de
l’argent pour vivre : les prisonniers doivent
« cantiner » pourmieuxmanger et pour acheter
des produits de première nécessité (savon,
papier toilette, stylo, etc.), achats qui se
font à la « cantine », supérette locale aux prix
exorbitants. En refusant de travailler, les détenus
ne risquent plus aujourd’hui la suppression
du courrier ou la mise au mitard.
Ils hypothèquent néanmoins leur chance de
sortir plus tôt de prison. En effet, les remises
de peine supplémentaires sont entre autres
conditionnées par le fait de travailler ou
non : le travail carcéral permet de facto d’être
libéré plus vite.
L’administration pénitentiaire, qui dépend
du ministère de la Justice, communique sur
les vertus du travail et de la formation professionnelle,
« meilleurs outils de lutte contre
la récidive » censés « faciliter le retour des personnes
détenues à la vie active ». On notera
que les activités proposées (ensachage de
bonbons, tri d’oignons, paillage de chaises,
conditionnement de parfums, etc.) sont
très rarement qualifiées. Plus qu’un tremplin
vers la reprise d’une activité à l’extérieur,
le travail carcéral apparaît comme un
outil pour maintenir le calme en détention.
« Comme ils sont occupés la journée, les détenus
sont fatigués le soir et donc moins agités », explique
un surveillant rencontré au centre
de détention de Melun.

LA PRIVATISATION DES PRISONS

Depuis la loi de 1987 dite « loi Chalandon »,
des établissements pénitentiaires sont gérés en
« gestion déléguée » : 46 sur 197 fonctionnent aujourd’hui
sur cemodèle, et « toute nouvelle structure
a vocation à fonctionner sur le modèle de la
gestion déléguée », explique Laurent Ridel, numéro
deux de l’administration pénitentiaire.
Le principe de la gestion mixte est simple : l’État
conserve ses fonctions régaliennes (direction,
surveillance, greffe) et concède tout le reste à
des entreprises privées, soit : la maintenance,
l’entretien, la fourniture de l’énergie, la restauration,
l’hôtellerie, la buanderie, la « cantine »,
le transport, l’accueil des familles, la formation
professionnelle et le travail des détenus. Le
dernier appel d’offres a principalement été
remporté par Sodexo, qui a signé un contrat
de près d’un milliard d’euros pour la gestion
de 27 prisons. Bouygues a quant à lui signé le
premier partenariat public-privé en 2008,
s’assurant le versement annuel d’un « loyer »
de 48 millions d’euros pendant 27 ans, au
terme desquels le ministère de la Justice deviendra
propriétaire des murs de la maison
d’arrêt de Nantes, des centres pénitentiaires
de Lille-Annoeullin et de Réau. Pour un lot de
six prisons, GDF Suez se contente d’un « petit »
contrat de 22,2 millions d’euros.

BIBLIOGRAPHIE

Gonzague Rambaud et Nathalie Rohmer, Le Travail en prison, enquête sur le business carcéral, éditions Autrement, 2010.
Paul Loridant, Prisons : Le travail à la peine, Rapport au Sénat, 2002.
Christine Martineau et Jean-Pierre Carasso, Le Travail dans les prisons, Ivrea, 1972.
Philippe Auvergnon et Caroline Guillemain, Le Travail pénitentiaire en question, La documentation française, 2006.

NOTES
[1] Etablissement et service d’aide par le Travail, où sont employés des salariés handicapés, lesquels travaillaient auparavant pour des centres d’aide au travail (CAT), acronyme que le ministère du Travail a décidé de changer en 2005, ayant sans doute constaté à regret qu’une bonne partie de la population française avait réussi à intégrer ce sigle et les activités associées, prévues par un décret-loi de 1953.

[2] On appelle « concessionnaire » une entreprise qui a signé avec l’Administration pénitentiaire (AP) un contrat de concession de main-d’oeuvre : l’AP procure les atelier et la main-d’oeuvre (les détenus) aux entreprises ; les concessionaires fournissent du travail, et supervisent (en théorie) les ateliers – mais n’emploient pas directement les détenus, qui sont payés par l’AP. En 2008, on dénombrait 550 concessionaires.

[3] Entretien réalisé le 16 septembre 2008, complété par un entretien téléphonique le 3 avril 2009.

[4] Entretien téléphonique réalisé le 10 avril 2009.

[5] Entretien du 5 mai 2009

[6] Loi du 10 juillet 1987. Constatant que des entreprises préféraient payer des amendes plutôt que d’employer des handicapés, le ministère du Travail a décidé de créer une « sur-contribution » à l’Association nationale de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées (l’Agefiph), sur-contribution qui s’élève à 1500 fois le Smic horaire, multiplié par le nombre de bénéficiaires manquants – et ce, quelque soit l’effectif de l’entreprise.

[7] A l’instar de la directrice de la communication du Club des créateurs de Beauté, Vannina B*** m’a très vite appelé par mon prénom…

[8] Mail envoyé le 23 mars 2009 par l’attaché de presse chargé des questions sociales à la direction de la communication de Renault.

[9] Entretien réalisé par téléphone le 10 juin 2009.

[10] Entretien réalisé le 8 juin 2009.

[11] Entretien réalisé à la DISP de Paris, le 28 mai 2009.

[12] Entretien réalisé le 13 novembre 2008.

 

source : http://www.le-tigre.net/Les-entreprises-et-la-prison.html

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Alerte sur la situation de Kaoutar, détenue à la Maison d’arrêt de Beauvais

Les aménagements de peine comme outil de pression infernal sur les prisonnier-e-s insoumis-es

Nous publions ci-dessous une lettre de L’envolée (journal et émission de radio anti-carcérale, dont l’un des objectifs principaux est de relayer des paroles de prisonnier-e-s en lutte).

C’est une alerte au sujet de la situation très inquiétante d’une prisonnière, Kaoutar, qui a « bénéficié » d’une sortie de prison sous bracelet électronique et a été ré-incarcérée quelques jours plus tard, pour des motifs… kafkaïens ?

Voilà un exemple de plus (et un exemple de trop !) qui caractérise ce que sont dans la réalité les « aménagements de peine » : ils ne sont pas si fréquents et faciles à obtenir qu’on nous le fait croire. Au contraire, ils permettent à l’institution judiciaire et à l’administration pénitentiaire de mettre une pression énorme aux prisonnier-e-s. Elles leurs font miroiter des possibilités de sorties anticipées, qui se révèlent être des parcours du combattant, et permettent (avec des refus successifs et complications multiples) de sanctionner et faire tourner en bourrique ceux et celles qu’elles déclarent « non-réadaptables », ou encore « dangereux », parce que souvent trop dérangeants, récalcitrants, grande gueule, pas assez soumis, etc . [1]

Vous pouvez réagir en solidarité avec Kaoutar… en n’oubliant pas que ce genre d’histoires s’abattent sur de nombreux prisonnier-e-s qui ont aussi besoin de solidarité active, et que nous aurions grand besoin de nous organiser plus amplement face à tout ça, dans les prisons, et en dehors…   « A Montreuil, le 2 juin 2012

UNE SALE HISTOIRE…

Kaoutar Chtourou était incarcérée à la centrale pour femmes de Rennes. Cela faisait plus de cinq ans qu’elle avait été baladée de Fleury-Mérogis à Versailles, puis à Fresnes… Il faut dire qu’elle ne s’était pas attirée les sympathies de l’administration pénitentiaire. Loin de là. Elle avait toujours combattu l’arbitraire, et elle était notamment à l’origine du passage de l’équipe du Contrôleur général des lieux de privation de liberté à la maison d’arrêt de Versailles : cette démarche avait abouti à la mise à pied de l’ex-directeur Gonçalves, pris en flagrant délit d’abus de pouvoir et autres fautes graves.
Ce triste personnage avait quand même réussi à la pousser à bout, la faisant passer à tabac par d’autres prisonnières, ses protégées, et l’avait placée au quartier disciplinaire en lui promettant le pire. Le pire, ce fut le placement en psychiatrie à l’Unité pour malades difficiles de Villejuif, Paul-Guiraud, d’où elle n’est sortie que grâce à l’opiniâtreté de sa famille et de ses proches. Très affaiblie, physiquement et psychologiquement, elle a mis de longs mois à se remettre de cet épisode.
Puis pendant plus d’un an, alors qu’elle était légalement déjà en droit de bénéficier d’un aménagement de peine, l’administration l’a encore baladée, d’abord en la maintenant dans l’attente d’une expertise psychiatrique obligatoire, puis par le report de son passage en commission en application des nouveaux textes qui empêchent les conditionnelles « sèches ».
C’est finalement avec plus d’un an de retard qu’elle a pu passer devant un tribunal d’application des peines (TAP).de Rennes le mardi 15 mai. Et encore, elle a eu de la « chance »car à quelques jours près, elle tombait sous le coup d’une nouvelle législation qui l’aurait envoyée se faire examiner pendant quelques semaines par des psychiatres dans un Centre national d’évaluation. Avec un avis favorable de la direction de Rennes et de la juge d’application des peines (JAP), malgré un sévère réquisitoire du procureur, la réponse a finalement été favorable. C’était loin d’être un cadeau, puisqu’elle doit porter un bracelet pendant un an et rester écrouée pendant toute cette période avant de passer à la phase conditionnelle pendant une autre année ! Deux ans sous tutelle stricte : quelle générosité, quand on sait que ces deux ans sont exactement ce qui manque pour arriver au terme de sa peine !

Le vendredi 18 mai, elle est sortie de la prison de Rennes et s’est rendue à Compiègne, où sa jeune sœur l’héberge et où elle a trouvé un emploi (dans la même boîte de centres d’appels pour laquelle elle travaillait à la centrale de à Rennes).

Le samedi 19 mai, l’administration de Beauvais vient installer bracelet et terminal, et le lundi 21, elle embauche. Nous l’avons eue plusieurs fois au téléphone, elle respirait enfin, bien contente d’avoir quitté les murs et les miradors.

Le mardi 22, en arrivant au travail, elle apprend que les gendarmes vont arriver pour la faire réincarcérer… Elle appelle son avocate qui lui dit que la JAP de Rennes lui a expliqué que le parquet avait fait appel le mardi même de la décision du TAP et que Kaoutar devait du coup retourner en prison. En fait, elle n’aurait pas dû sortir, mais attendre à Rennes l’appel, seulement, disent-ils, le greffe du TAP avait « omis de prévenir le greffe de la prison » (sic). Kaoutar nous prévient : nous nous renseignons pour nous assurer de la légalité de la démarche, et en fait, quoi qu’il en soit, comme elle est écrouée, elle reste à la disposition de l’administration pénitentiaire. Trop fort ! Les gendarmes lui laissent deux heures pour préparer ses affaires avant de l’emmener à la maison d’arrêt de Beauvais, au quartier femmes.

Elle se retrouve dans cette prison du Moyen Age, dans un dortoir de 6 à 10 prisonnières, sans rien, aucune activité, rien de rien, la misère. Ses codétenues sont très jeunes et de passage, elles regardent la télé nuit et jour, volume sonore au maximum. Cela fait quinze jours qu’elle ne dort pas, qu’elle ne mange pas et qu’elle déprime. Beauvais est une prison très surpeuplée (l’effectif prévu est multiplié par trois) : difficile même de réserver des parloirs. Ils n’ont aucune cellule individuelle ; il n’y a même pas de quartier d’isolement pour les filles. Elle a demandé à voir un psy, rien. Elle demande des somnifères pour dormir, rien. En revanche, ils lui donnent sans problème des tranquillisants, des anxiolytiques qu’elle avale pour éviter de s’énerver. Et elle nous dit au téléphone qu’à nouveau elle a beaucoup de mal à se concentrer, à écrire… Comme à Fresnes dans les jours pénibles. On ne l’a jamais sentie aussi abattue et nous sommes très inquiets. Nous pensons franchement que l’administration pénitentiaire peut l’envoyer dans un hôpital psychiatrique encore une fois… Ce qui permettrait au parquet de Rennes de gagner l’appel, d’annuler la libération conditionnelle et de maintenir Kaoutar enfermée jusqu’à la stricte fin de sa peine, peu importe dans quel état.
Nous avons prévenu, appelé toutes les personnes concernées : la direction de la prison de Beauvais, pour bien dire au directeur qu’elle n’était pas seule, et qu’il fallait la faire transférer au plus vite, même pour peu de temps, en attendant l’appel (la cour d’appel a deux mois pour fixer une date) ; le Spip de Rennes, celui de Beauvais : ils invoquent tous une impuissance administrative. Nous avons eu plusieurs fois le service du Contrôle des lieux de privation de liberté au téléphone et ils nous ont assurés avoir fait tous les courriers pour faire fixer au plus vite la date de l’audience, et en attendant, pour demander le transfert de Kaoutar… Son avocate a aussi fait les mêmes démarches.

Nous vous alertons pour aider Kaoutar dans cette nouvelle épreuve en demandant l’application de la loi pénitentiaire, selon laquelle Kaoutar doit pouvoir « bénéficier » d’une cellule individuelle en tant que condamnée. Nous demandons que le jugement d’appel de la décision du tribunal d’application des peines de Rennes soit fixé au plus vite. Et nous rappelons aussi aux autorités pénitentiaires que s’il lui arrive quelque chose (transfert dans un HP, tentative de suicide…), ils ne pourront pas dire qu’ils n’ont pas été informés. Nous avons pour notre part écrit à la Chancellerie, à la direction régionale de l’AP de Lille, à la direction de la prison de Beauvais.
Enfin, lui envoyer un petit mot pour lui dire que d’autres personnes sont informées de ce nouveau mauvais coup de l’AP, cela lui donnerait des forces…

Kaoutar Chtourou, pas besoin de numéro d’écrou,
Maison d’arrêt, 2, rue Bossuet
BP 80698
60006 Beauvais cedex.

L’équipe de l’Envolée »

L’Envolée
43 rue de Stalingrad
93100 Montreui
envoleejournal@yahoo.fr

 

[1] Au sujet des aménagements de peine, vous pouvez lire un dossier spécial dans le numéro 32 du jounal l’Envolée, et écouter quelques émissions Papillon

source : http://lenumerozero.lautre.net/article2422.html

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28 juin: Regards croisés sur les prisons et les révoltes carcérales en Afrique du Sud et en France Rencontre/débat avec Hafed Benotman et Natacha Filippi

Titre: Regards croisés sur les prisons et les révoltes carcérales en Afrique du Sud et en France Rencontre/débat avec Hafed Benotman et Natacha Filippi
Lieu: monte en l’air / 2, rue de la mare (à l’angle avec le 71 rue de ménilmontant) 75020 Paris / Métro Ménilmontant.
Lien vers: Cliquer ici
Description: Regards croisés sur les prisons et les révoltes carcérales en Afrique du Sud et en France

Rencontre/débat avec Hafed Benotman et Natacha Filippi autour du livre Brûler les prisons de l’apartheid, Editions Syllepse

En 1994, l’année des premières élections multi-raciales de l’Afrique du Sud, des mutineries, des mises à feu de cellules, de sit-in et des grèves de la faim collectives secouent les prisons du pays. Qu’ils soient le dernier sursaut des prisons de l’apartheid ou la première insurrection contre les institutions pénitentiaires démocratiques, ces mouvements, de par leur ampleur, constituent un moment d’intensité exceptionnelle dans l’histoire nationale et internationale des révoltes carcérales. Ces révoltes, qui depuis la naissance des prisons ponctuent les changements de régime dans le monde entier, sont rarement anachroniques. Elles sont le reflet des ambiguïtés et des contradictions présentes dans le reste du pays. Elles rappellent avec acuité que les sociétés qui tentent d’établir de nouvelles bases du vivre-ensemble recréent par là même les marges où elles rejèteront tous ceux qu’elles considèrent comme déviant du droit chemin et de la norme.

Loin d’être une simple situation d’exception, l’apartheid en Afrique du Sud est un verre grossissant qui permet de révéler, dans des pays comme la France où elles apparaissent sous une forme plus camouflée, les logiques qui sous-tendent la gestion (post)coloniale des populations à travers le quadrillage de leur territoire, des lois toujours plus nombreuses sanctionnant les moindres gestes quotidiens et une politique d’incarcération de masse.

En France, les nombreuses mutineries des années 1970 sont longtemps restées gravées dans les mémoires comme les dernières véritables révoltes carcérales avant que la répression et les nouvelles techniques disciplinaires étouffent toute protestation de l’intérieur. Pourtant, cette année encore, des débuts de protestation collective, immédiatement réprimées, des grèves de la faim et des pétitions sont nés dans les prisons de Vezin-le-Coquet, St Brieuc, Rouanne, Annouellin… En Afrique du Sud comme en France, il est nécessaire de briser l’isolement des détenus ; de dévoiler les fonctionnements différents de la justice pour les riches et les pauvres, pour les habitants de quartiers populaires et les Blancs des centres-villes ; et de comprendre comment l’administration pénitentiaire harcèle et muselle ceux qui osent riposter.
Heure début: 19H00
Date: 2012-06-28

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RDV DEMAIN JEUDI 21 Juin ! A partir de 19h vers la prison de la santé

Infos artistes :

Ryaam Mc : http://www.myspace.com/ryaammc

Conscience ébène : http://www.youtube.com/watch?v=upQu…

Ursa major : http://www.myspace.com/ursatarsa

Première ligne : http://www.bboykonsian.com/premiere…

RAO staff : http://www.myspace.com/dgxdino

Fils du béton : http://www.myspace.com/filsdubeton

 Mc Metis : http://www.youtube.com/watch?v=oKYZefmNM_0

 

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Concert contre les Violencières Policières, 21 juin, Metro St Jacques

CRIMES POLICIERS, SYSTEME JUDICIAIRE,
EXPLOITATION, ENFERMEMENT
= VIOLENCES D’ETAT
Dénoncer les violences d’État, c’est dénoncer la violence de ses institutions qui discriminent et hiérar-chisent les vies et les personnes, conditionnent une partie de la population à être parquée, contrôlée, humiliée, violentée, enfermée, alors qu’elle octroie à une certaine partie de la société le droit de contrôler les autres.
Depuis leur apparition, le système carcéral et l’institution policière se sont perpétués sous couvert de réformes visant à les rendre plus « humains ». Mais quel que soit le gouvernement, les pratiques policières et l’enfermement ne sont jamais remis en question.
Aucune réforme (comme la récente proposition de «tickets» de contrôle d’identité) ni l’amélioration des conditions de détention ou la construction de nouvelles prisons ultramodernes ne cacheront le fait que l’État envoie des catégories bien ciblées de la population à leur mort, physique ou sociale, sans que le reste de la population ne bronche.
« Dans nos quartiers on tue plusieurs fois »
La peine de mort est censée avoir été abolie en 1981, mais la police et l’administration pénitentiaire tuent et reçoivent systématiquement la caution de la justice pour leurs actes. Depuis janvier 2012, 11 personnes au moins ont perdu la vie suite à une interpellation, un contrôle ou une course-poursuite avec la police. 40 personnes sont mortes en détention dans des circonstances plus troubles les unes que les autres.
Comme le disait Amal, la sœur d’Amine Bentounsi tué le 12 avril à Noisy-le-Sec d’une balle dans le dos par la police, « Amine a été tué 2 fois ». A 30 ans, Amine avait déjà passé près de la moitié de sa vie enfermé pour des délits (vols, braquages, etc. ) . Et alors qu’il s’était octroyé un peu de liberté en ne revenant pas de sa permission, il est abattu d’une balle dans le dos par la police qui se permet de justifier cet acte en clamant haut et fort que « l’homme abattu était un dangereux multirécidiviste ». Ce même homme qui avait dit à sa sœur en 2009 « que cet homme fait de rage et de violence, c’est eux qui l’ont construit, c’est à cause d’eux ».
Les frères Kamara ont été condamnés à des peines de 12 et 15 ans, accusés sans preuve tangible d’avoir tiré sur des policiers lors des révoltes de Villiers-le-Bel en 2007.
En octobre 2011, Jamal Ghermoui était« suicidé » par les matons de Nanterre.
Pierre-Just Marny a mis fin à sa vie l’an dernier en Martinique après 48 ans derrière les barreaux.
Aujourd’hui Philippe El Shennawy, 58 ans, se laisse mourir d’inanition à la prison de Poissy, n’étant libérable qu’en 2032.
La liste est encore longue et le manque d’écho est insoutenable. Cela fait trop longtemps que tout cela se passe, qu’on ne nous laisse pas vivre. Notre silence ferait de nous des complices, quand malgré les humiliations, le manque de soutien et les pressions, des détenus, des proches et des familles de victimes s’organisent et se battent.
Face à leurs murs, leurs institutions et leurs brutalités, notre rage doit résonner…
« La musique fait partie des battements de notre coeur, elle est un cri de ralliement »
Le rap fait écho à ce qui se passe, il laisse s’exprimer les frustrations et les blessures. Il est une dimension de la démarche que beaucoup portent : tenter de redonner de l’espoir à ceux qui n’en ont plus ; inscrire dans la mémoire collective l’histoire des personnes victimes de violences et/ou crimes policiers ou pénitenciers, et l’histoire des luttes pour la vérité et la justice !
Restons déterminés, tous ensemble ne laissons pas la fatalité l’emporter.
ORGANISONS-NOUS POUR RETABLIR LA VERITE SUR LES VICTIMES DE LA
POLICE ET DE LA PRISON, SOUTENIR LES FAMILLES ET LES DETENUS.
contrelenfermement@riseup.net http://contrelenfermement.noblogs.org

Publié dans Mobilisations | Marqué avec , , , | Commentaires fermés sur Concert contre les Violencières Policières, 21 juin, Metro St Jacques