Philippe El Shennawy : sortie de prison prévue en 2032

Philippe El Shennawy est fatigué. Il a mis pour la première fois les pieds en prison en janvier 1972, et il devrait en sortir en août 2032, à l’âge de 78 ans. Il n’a pas de sang sur les mains, mais a accumulé au fil des années les condamnations pour braquage. La cour d’appel de Versailles lui a refusé le 18 mai une confusion significative de ses peines, et il ne voit plus bien aujourd’hui quel sens a sa vie. Il a cessé de s’alimenter le 23 mai. Ce n’est pas une grève de la faim, il n’attend rien.

« D’une certaine façon, je suis en ce moment à la croisée des chemins, écrivait le détenu il y a un an. Dans quelques jours, j’aurai 57 ans et je me sais encore assez d’énergie et de volonté pour entreprendre quelque chose de positif, dans la mesure où une perspective à très court terme se profilerait. Par contre, si la situation et les incertitudes devaient perdurer, il sera plus logique et plus sain d’y mettre un terme soi-même. Je suis simplement fatigué. »

Le casier de Philippe El Shennawy, né en Egypte en 1954, déborde de tous les côtés : il a été condamné pour la première fois à dix-neuf ans pour vol qualifié, puis à perpétuité en 1977 pour un vol à main armée avec prise d’otage, peine commuée en vingt ans de prison. Il a recommencé à sévir après s’être évadé deux fois, et accumule les condamnations, treize en tout. Une libération conditionnelle a été révoquée en 1992 parce qu’il s’était rendu en région parisienne avec de faux papiers pour voir son fils, alors qu’il y était interdit de séjour.

Puis il n’est pas rentré d’une permission en 1997, et après cinq mois de cavale, s’est repris cinq et dix ans de prison pour faux monnayage et vol avec arme. Il s’est de nouveau évadé, cette fois de l’unité pour malades difficiles de Villejuif en 2004, a été rattrapé onze mois plus tard et condamné à treize ans pour vol à main armée, enlèvement et séquestration. La cour d’assises du Vaucluse l’a aussi condamné à deux ans pour un autre vol, mais le parquet a fait appel, et il a pris seize ans devant la cour d’assises du Gard : il a passé, au total, depuis 1975, moins de trois ans dehors.

L’homme est intelligent (un QI de 130), a passé contre son gré des années en psychiatrie sans aucune pathologie mentale, en crachant ses cachets, et se veut en détention un homme fier, qui n’a pas fait la vie facile à l’administration pénitentiaire ; elle le lui a bien rendu.

 « Mort lente »

Philippe El Shennawy a même fait condamner la France, le 20 janvier 2011, par la Cour européenne des droits de l’homme. Lors d’un de ses procès aux assises à Pau, il était fouillé jusqu’à huit fois par jour, alors qu’il était à l’isolement complet. Les ERIS (équipes régionales d’intervention et de sécurité), cagoulés, le faisaient mettre à quatre pattes, jambes écartées, et il devait tousser pendant qu’on inspectait son anus, le tout filmé en vidéo par un agent. Il était ensuite remis au GIPN, le groupe d’intervention de la police nationale, qui le fouillait à nouveau à nu avant de le menotter dans le dos.

Evidemment, il a fini par se rebeller, et a été déshabillé de force. « Une fois la fouille terminée, note la Cour européenne, les agents le transportèrent menotté et entravé, le pantalon baissé sur les chevilles, chemise ouverte, et le déposèrent dans cet état dans la salle d’audience. »

Sa femme Martine a déménagé 21 fois en trente-six ans pour le suivre lors de ses transfèrements. « Il a fait plus de dix-neuf ans d’isolement. Je me mettais sur le trottoir, à 6 heures du matin, pour apercevoir sa silhouette pendant son temps de promenade, raconte-t-elle avec un pauvre sourire. Il y a deux ans, il a fait une grève de la faim et de la soif, on l’a mis au mitard, le trou du trou. Quand on l’a transféré à l’hôpital, il a arraché ses perfusions. On l’a renvoyé au mitard. »

Il y a 600 condamnés à perpétuité en France, rappelle son avocate, Me Virginie Bianchi. Mais beaucoup d’autres purgent de très longues peines, dont son client n’est qu’un cas emblématique. « On ne demande rien, il n’y a plus rien à demander, constate l’avocate. Le système judiciaire aboutit à une condamnation à une mort lente. Lui voudrait juste que son geste serve à une réflexion sur ce que la société attend de l’emprisonnement. » El Shennawy en est à sa septième grève de la faim. Et il sait d’expérience que son corps est aussi fatigué que lui.

source : http://libertes.blog.lemonde.fr/2012/06/17/philippe-el-shennawy-sortie-de-prison-prevue-en-2032/
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LE PREMIER BLOG VENU DE PRISON

LE PREMIER BLOG VENU DE PRISON

Interview et vidéo de Laurent Jacqua à propos de son BLOG.

                          

 

Comment avez-vous eu l’idée de faire un blog en prison?

C’est le Nouvel Observateur qui m’a proposé le projet, j’avais déjà écrit des textes auparavant donc ils ont probablement vu que j’avais la possibilité de le faire de par ma plume. C’est eux qui ont mis en place le site et de mon côté j’ai tout fait de l’intérieur en prenant tous les risques mais. L’occasion de m’exprimer s’est présentée et je l’ai donc utilisée. J’avais un « contrat » avec eux : je pouvais y mettre ce que je voulais à ma façon et de leur côté ils s’engageaient à ne rien changer, même pas une virgule. C’est donc comme cela que tout a démarré, de façon pirate. En effet, il y avait un vide juridique concernant les médias sur le net à l’époque ainsi mes textes étaient publiés sur internet sans passer par la censure ce qui est interdit mais tant que l’on ne se fait pas prendre tout va bien. Pendant quatre ans je ne me suis pas fait prendre. Aujourd’hui mon blog est dissident et plus pirate, les textes qui s’y trouvent ne sont jamais passés par la censure, ils représentent donc une expression directe du citoyen détenu aux citoyens libres.

Cette manière de s’exprimer en toute liberté sans passer par la censure était-ce une façon de lutter contre l’administration pénitentiaire?

Ce n’était que ça. Le blog n’était pas soumis aux dictas de la censure. Il faut relire tous les textes du début. Je parle des handicapés, des femmes, de plein de choses et surtout sans concession.

En prison, tout est contrôlé. Comment a-t-il été réalisable de mettre votre blog à jour dans ce lieu qui à priori ne s’y prête pas, au niveau de la sortie des textes notamment?

Je ne peux pas le dire. Ils ne le savent pas et personne ne le saura. Quand je me suis évadé de prison, j’ai fait rentrer du matériel et jusqu’au jour d’aujourd’hui il n’y a que moi qui sais comment j’ai fait. Bien que des directeurs m’aient demandé,  je ne le dirai jamais. En fait, mon plaisir à moi c’est qu’ils ne le sachent pas, c’est ma victoire. Les secrets ne se disent jamais.

Comment se traduisait la tenue quotidienne de votre blog en termes de temps ?

Cela dépendait du sujet, mais en prison on a beaucoup de temps et rien à faire.

Et au niveau des recherches?

Je me débrouillais, nous avions accès à la télé et à d’autres choses. Le plus important c’est que le sujet même du blog était la prison et  j’étais en plein dedans. De plus, grâce à mon expérience je savais de quoi je parlais.

Dans votre blog vous citez tout de même certains chiffres auxquels vous n’aviez pas forcément accès ?

J’avais accès à des livres de recherche … nous pouvions faire des demandes pour un livre et on le recevait. Après cela dépend desquels mais ceux de l’OIP par exemple, ça passe.

Etiez-vous tout de même limité d’une certaine façon ?

Je m’arrangeais toujours pour que cela marche mais c’est vrai que nous sommes toujours limités. Néanmoins, s’agissant de ce domaine j’avais les informations étant donné que j’étais en plein cœur du sujet. Aujourd’hui je suis devenu un spécialiste.

Lorsque vous étiez incarcéré, vous avez été transféré à nombreuses reprises. Est-ce votre blog qui a occasionné ce tourisme carcéral?

J’ai posté un premier texte, le mois suivant j’étais transféré. Devant l’ampleur que mon blog  prenait, la Pénitentiaire ne comprenait pas. D’ailleurs une fois transféré à Poissy j’ai été convoqué chez la directrice qui m’a dit qu’elle recevait des appels du Ministère et qu’il fallait absolument que j’arrête mais j’avais une astuce. En fait, je leur disais que ce n’était pas moi mais une personne qui se faisait passer pour moi étant donné que le blog était signé à mon nom.

Est-ce qu’il vous croyait ?

Non, mais cela n’avait aucune importance. J’étais en cellule sans téléphone, sans internet donc ils n’avaient aucune preuve contre moi. De plus, ils ne pouvaient pas attaquer le Nouvel Observateur parce que c’était un journal puissant. Par conséquent, ils avaient peur que le phénomène prenne encore plus d’ampleur. De mon côté, tous les quinze jours je continuais à envoyer des textes.

Lors de vos multiples transferts, vous étiez déjà repéré par l’Administration Pénitentiaire?

 

J’ai toujours été repéré par l’administration. J’ai brûlé des prisons, je me suis évadé …  nous n’étions pas là pour rigoler avec eux. Je ne faisais pas partie des détenus soumis qui ferment leur gueule. C’était la guerre avec l’AP et je m’en suis bien sorti mais c’est pour cela qu’à l’époque j’étais placé dans des Centrales hyper sécuritaires.

Quel a été le rôle de ce blog à l’égard de votre incarcération?

Le rôle de mon blog était d’apporter un éclairage, une perception nouvelle de l’intérieur. C’est pour cela qu’il s’intitulait « Vues de prison » et maintenant c’est « Vues sur la prison ». Il ne s’agit pas de parole de thésards qui ne connaissent même pas l’odeur d’une prison. Cette parole du blog a beaucoup plus de poids que celle de personnes qui ne font que théoriser.

Justement, en lisant votre blog, nous pouvons voir que vous dressez une vive critique face aux « spécialistes carcéraux ».

En fait, ils parlent de la prison sans jamais y avoir été. Cela veut dire qu’ils ne savent pas de quoi ils parlent et qu’il faut par conséquent les remettre à leur place.

Vous leur reconnaissez tout de même un côté positif dans la mesure où ils placent la prison dans le débat public ?

Effectivement mais le problème c’est que leur discours aboutit toujours à la construction de nouvelles prisons, plus confortables. Je m’y oppose complètement, je suis pour la destruction des prisons, l’abaissement du nombre de détenus et l’aménagement des peines. De nos jours, tout le monde va en prison, en Europe nous battons les records. En plus, nous sommes dans une logique pénale qui consiste à mettre les pauvres en prison et à se débarrasser de la « raclure sociale ». C’est ce que j’exprime dans mes textes, la prison ne change pas structurellement mais philosophiquement. Les personnes qui disent vouloir améliorer les prisons, les conditions de détention, ils planent complètement.

Votre message n’est pas simplement de parler des conditions de détention de l’intérieur, vous avez un message derrière ?

Je parle aussi des conditions de détention mais les autres parlent de les améliorer ce à quoi je m’oppose parce que plus on va améliorer, plus on va enfermer et plus longtemps. Ces spécialistes ne veulent que moderniser l’instrument de torture. Moi je suis contre, je suis pour la destruction. D’ailleurs ils ne tiendraient même pas quinze jours dans une prison super moderne. Ils jouent les spécialistes du monde carcéral mais ils ne tiendraient pas dans une promenade. Il faudrait les placer au fond d’une Centrale ensuite j’accepterais de discuter avec eux. J’ai pris la parole car je ne voulais pas qu’on parle à ma place, Loïc Wacquant et tous les autres se permettent de nous raconter la prison. J’ai fait des années de prison donc je sais de quoi je parle.

Le problème c’est qu’il y a peu d’anciens détenus qui prennent la parole une fois sortis de prison ?

Chacun est libre de faire ce qu’il veut. Par contre, je ne suis pas le seul à le faire, il faut chercher un peu, en fait, il y en a beaucoup.  J’ai eu la chance d’avoir une vitrine mais il est vrai que certains n’ont pas cette occasion de faire entendre leur voix. Par ailleurs, il y en a plein qui veulent le faire mais ils n’y arrivent pas car ils n’ont pas de tribune.

Que pensez vous des nouvelles tentatives de la pénitentiaire pour promouvoir l’expression des détenus?

C’est insignifiant puisque c’est contrôlé par l’AP. Il n’y aura jamais un élément dénonciateur. Tous les écrits que je fais sur la prison servent aussi à dénoncer le système et je l’ai toujours fait sans concession. Je dénonce et j’informe. J’étais qualifié comme rebelle et meneur. J’ai choisi de témoigner de façon pirate pour expliquer réellement aux gens ce qui se passe à l’intérieur sans passer par l’AP.

Est ce que vous ressentez encore un risque de censure aujourd’hui de la part de l’Administration Pénitentiaire par rapport à vos propos?

Je n’ai pas peur d’eux, et de quel droit viendraient-ils me censurer ?  Je fais ce que je veux à l’intérieur ou à l’extérieur d’ailleurs avec mes manifestations que j’ai organisées devant le Ministère de la Justice je leur fais la misère. En fait j’utilise tout ce qui est légal donc ils ne peuvent rien me faire, et je m’en donne à cœur joie.

Finalement, pensez-vous que s’exprimer changera les choses ? 

Non, ce sont des coups d’épée dans l’eau. Je pense qu’il n’y aura jamais de changement. C’est trop tard, il fallait le faire dans les années 70 comme au Canada, dans ce pays où de grandes réformes ont été faites en matière pénitentiaire, alors qu’en France il  n’y a rien. Nous ne faisons que construire des prisons. Les socialistes peuvent arriver, il n’y aura jamais de changement. Je ne critique pas les initiatives pour faire changer et avancer les choses. Sauf que parfois les gens ne sont pas dans la réalité, mais dans une illusion. Bref, dans les prochaines années vous verrez, nous saurons.

Pour le PASSEMURAILLE de juin interview de Sarah et Niclette  membres du GENEPI.


VOIR LA VIDEO DU NOUVEL OBS



Histoires d’un blog « interdit » par la prison par LeNouvelObservateur

 

A bientôt sur le BLOG pour la suite…

 

Laurent JACQUA

 

Pour tout contact   laurentjacqua@yahoo.fr

Source: http://laurent-jacqua.blogs.nouvelobs.com/archive/2012/05/24/le-premier-blog-venu-de-prison.html

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Un suicide et un décès à la prison de Fleury-Merogis

Un prisonnier de vingt-quatre ans serait mort au bâtiment D1, le samedi 9
juin 2012, à quelques jours de sa sortie.

Il aurait été pris d'un malaise dans la cour que l'administration appelle
"de promenade" puis reconduit dans sa cellule, où il serait décédé.
Francis Lerond a été retrouvé mort dans sa cellule du bâtiment D4 de
Fleury-Mérogis le 20 mai 2012. Il a été enterré au cimetière de
Fleury-Mérogis le 12 juin au matin.

Source: OIP
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« Présumé coupable ». Entretien avec un ex-détenu, 14 avril 2012 (G.E.P.)

La garde-à-vue :

Je vais avoir vingt-huit ans, j’habite en banlieue parisienne, dans l’est. Je n’ai pas fait beaucoup de gardes à vue, moi, j’ai dû en faire trois, quatre dans ma vie, de 24 heures en général. La première, c’était jeune, franchement. La première, elle ne m’a pas marqué plus que les autres. Tu sais, t’es enfermé dans une cellule, la seule chose que tu trouves à faire, c’est de dormir, d’essayer de dormir. Tu te sens sale, t’as juste une envie, c’est de prendre une douche et d’être dans un lit. T’as toujours accès à un avocat et un médecin, suivant si tu le demandes ou pas. En général, tu demandes à avoir tout, parce que même si ça te permet de sortir deux secondes de ta cellule, c’est déjà ça de pris. Tu ne vas pas faire déplacer ton avocat en garde à vue, c’est rare, ça. C’est vraiment pour les mecs, la marginalité, c’est leur vie.

L’arrivée en prison :

Là, on est en 2012, je suis sorti de prison en 2008, ça fait quatre ans. J’ai fait deux ans et demi de prison. J’étais primaire, je n’avais pas de condamnations auparavant, juste de petites affaires insignifiantes. J’ai eu un procès… En fait, j’ai été incarcéré en mandat de dépôt, ça veut dire que t’attends ton jugement, ça veut dire que t’es enfermé présumé coupable, et j’ai fait la quasi-totalité de ma peine en tant que présumé coupable. Après mon jugement, il ne me restait plus beaucoup à faire, en fait, j’ai fait trois ou quatre mois, après mon jugement et je suis sorti. Les mandats de dépôt correctionnels, ça dure un an, je crois. Moi, ça a duré deux ans, c’était un mandat de dépôt criminel. Le juge d’instruction l’avait décidé, étant donné que j’étais en fuite quand ils m’ont attrapé, c’était logique qu’ils ne me laissent pas ressortir. C’est un peu angoissant au sens où ton sort est entre leurs mains, quoi. Toute l’instruction était au criminel et ils l’ont fait redescendre en correctionnelle avant le jugement. Les avocats, c’est la première chose qu’ils essaient de faire, c’est d’enlever un maximum de charges afin que ça descende au plus bas niveau.

Les avocats :

Au départ, j’avais un commis d’office, j’avais l’impression qu’il s’en foutait un peu, mais tu vois, c’est ça, un avocat qui est commis d’office, qui n’est pas payé, il ne va pas se démener. De toute façon en général les avocats, ils ne viennent pas te voir souvent au parloir. S’ils viennent souvent, c’est que tu les payes bien, parce qu’en toute logique, à chaque fois que tu le payes, c’est pour qu’il se déplace. Après, j’ai pris un avocat payé. C’est mieux, parce qu’il était plus compétent. C’était un plus gros avocat, il était au barreau de Paris, il était plus habitué à ce type d’affaires que celui que j’avais au départ. Le commis d’office, il venait une fois tous les trois mois, une fois tous les deux mois. Ca dépend de l’évolution du dossier ; s’il y a plein de nouvelles choses, ouais, peut-être qu’il va être amené à venir plus souvent. Et puis quand il se déplace dans une prison, en général il essaie de venir voir un maximum de détenus dont il traite les affaires. Il va éviter de se déplacer dans une prison juste pour voir une personne. Donc en général il essaie d’aligner son agenda : « là, si je vais dans telle prison, je vais voir tous mes dossiers ». Mon deuxième avocat ne s’est pas foulé, mais, en fait, vu la position qu’il avait, il n’avait pas besoin de se fouler. C’était un ténor, il n’avait pas besoin de parler beaucoup. De toute façon, j’ai vu qu’il était en confiance. Pour lui, c’était du gâteau, il y est allé les doigts dans le nez. Je l’ai senti. Et puis même, les personnes qui m’avaient conseillé ce mec-là, c’était pas pour rien.

La condamnation :

Le juge, il n’a pas été très sévère. En fait, c’est le procureur, c’était un jeune procureur et franchement je l’ai trouvé complètement contraire à l’image du procureur qu’on a en général, qui, lui, veut vraiment t’éclater la gueule. Le procureur qu’on a eu, vraiment, il n’était pas du tout comme ça. Il a tenu compte du fait que j’étais primaire, que j’étais réinsérable, tout ça… Il a vraiment pris en compte tout ça, il l’a entendu. J’ai été condamné à cinq ans, dont deux ans de sursis. Ca fait trois ans ferme. Quand je suis entré en prison, j’avais vingt-deux ans et quand j’ai été jugé, j’en avais vingt-quatre. Je pense que je l’ai beaucoup mieux vécu, parce que tu vois, t’arrives en prison, t’es au début de ta peine et on te dit « t’as tant à faire »… je pense que ton moral, il est plus facilement cassable que si tu rentres et que c’est incertain donc tu as de l’espoir, tu peux te dire « ah, je ne sais pas pour combien de temps je suis là donc je peux espérer le minimum », tandis que si tu viens, tu rentres, tac ! C’est le premier jour, on te dit « ah, t’es là pour tant de temps », je pense que ça te met un coup.

Sortir :

Je suis sorti en fin de peine, j’avais tout fait. J’aurais pu sortir beaucoup plus tôt, mais il se trouve que les travailleurs sociaux qui sont là pour t’aider dans tes démarches administratives, machin, ils ne se sont pas foulés, ils ne se sont pas bougé le cul : c’est-à-dire que j’aurais pu sortir bien sept mois plus tôt… En fait, j’aurais pu sortir dès mon jugement, j’étais déjà libérable, j’aurais pu déjà être libérable. Pourquoi ? Parce que pendant toute ma peine j’ai cumulé toutes les activités qui donnent accès à des remises de peine, tout ça, et j’avais droit, en tout à sept mois de remise de peine. J’en ai eu qu’un alors que pendant toute ma peine, j’ai fait toutes les activités, j’ai eu aucun problème. Si, j’ai eu un problème, une fois, j’ai eu dix jours de mitard, mais c’était au début de ma peine donc je suis excusable dans le sens où je ne connaissais pas la prison, c’est excusable que tu pètes un câble, mais sinon j’ai eu un comportement exemplaire et malgré ça, malgré ça je n’ai pas eu droit au maximum des RPS auxquelles j’avais droit, pourquoi ? Parce que les travailleurs sociaux ne se sont pas foulé pour justifier auprès du juge qui décide des remises de peine de toutes les activités auxquelles j’avais participé.

Ils changent tout le temps, les travailleurs sociaux. Ce sont des gens qui sont souvent mutés, donc t’as jamais le même très longtemps. Quand t’en as un, il ne te voit jamais, tu communiques avec lui en lui envoyant des courriers et tu ne sais même pas s’il les reçoit. Il ne répond même pas pour le dire. Moi, dès que j’ai été jugé, j’ai envoyé des courriers pour dire « j’ai été jugé, merci de justifier de toutes les activités que j’ai faites », et je n’ai jamais reçu de réponse. Pour les remises de peine, je ne suis passé devant personne, on ne m’a convoqué devant personne… L’information, tu l’as entre détenus. Les détenus les plus aguerris peuvent te donner des conseils, et encore, tu sais, c’est le téléphone arabe, il y en a un qui te dit un truc, l’autre qui va te dire tout le contraire, donc tu ne sais jamais vraiment. Il y a un écrivain public qui est censé être là pour aider les détenus, un écrivain public qui est un détenu lui-même. Un médiateur, je ne sais plus comment ils appellent ça, un détenu qui est désigné comme étant celui qui connaît, qui peut aider les autres détenus. Même lui, pour y accéder, pour aller le voir, c’est toute une bataille. De toute façon, pour transmettre les informations quand t’es en prison, c’est toujours une bataille, que ce soit pour une fuite dans ta cellule ou n’importe quoi, n’importe quelle information c’est une bataille pour qu’elle remonte à la hiérarchie.

J’ai fait des demandes de psychologue, au début, je crois, parce que ça aussi ça te donne accès à des RPS. Mais franchement, j’ai été convoqué devant le psychologue, je ne savais même pas quoi lui dire. Au final, je n’y allais pas. T’as l’impression que c’est le psychologue qui est en face de toi qui a un souci psychologique, franchement. J’ai essayé deux fois, mais bon. Peut-être que lui aussi a senti que j’avais demandé un rendez-vous juste par intérêt, qu’en fait je n’avais pas besoin de lui. Je ne sais pas, en tous cas je me suis retrouvé deux fois devant le psychologue, je n’avais rien à lui dire. Il y a aussi les rapports de psychiatres, deux fois. Je crois qu’il y a une expertise et une contre-expertise. Eux, pareil, les deux psychiatres, j’avais l’impression d’être en face de deux fous. Même, j’essayais de lancer un débat avec eux, genre savoir leurs critères, sur quoi ils se basent… Même, j’ai essayé de leur parler des sciences psychologiques en général, leur montrer ce que je pensais de ce que c’était. Ce sont des sciences basées sur des critères, sur des codes, alors que chaque individu est différent et perçoit les choses différemment, tu ne peux pas établir de critères de jugement là-dessus. Ca va loin, ce débat, tu vois. Il me calculait pas, en fait, il continuait dans son truc, il ne cherchait pas à entrer dans mon débat. Vraiment, il est là, il te regarde et il va interpréter tout ce que tu vas faire. Moi, j’essayais d’interpréter ce que lui il faisait, en fait. Donc à partir de là, comment tu veux que lui, ce qu’il a écrit sur sa feuille, ce soit crédible, et peu importe ce qu’il a écrit, il n’a pas écrit de trucs spéciaux, que j’étais quelqu’un de normal, machin, mais comment tu peux tirer un trait de personnalité, basé sur des critères qu’on t’a appris dans certains cycles d’études sur un individu que tu vois en dix minutes. Tu peux lui dire ce que tu veux, c’est-à-dire qu’on va faire trois fois le même rendez-vous avec le même psychiatre, je vais lui répondre trois fois des choses différentes et il va faire trois expertises différentes, donc à partir de là ça n’a aucune valeur. Du coup, t’as peur de ce que tu vas dire au psychiatre, tu ne sais pas comment tu dois la jouer pour que ça joue en ta faveur. Si tu parais quelqu’un de calculateur, qui contrôle tout ce qu’il fait, tu vas clairement passer pour un mec qui sait vraiment ce qu’il fait et qui a pleinement été conscient de ce qu’il a fait, qui l’a organisé. Donc c’est bien, aussi, de passer pour un con. L’avocat te briefe, c’est le briefing classique, je pense. Fais profil bas, présente des excuses…

Ouais, il y avait un avocat pour la partie civile, je crois. Mais les parties civiles en elles-mêmes n’étaient pas présentes. Elles n’avaient rien demandé, en fait, elles n’avaient pas demandé d’argent. Elles avaient demandé à ce que l’on pourrisse en cage.

Les conditions d’incarcération à Meaux, franchement, je pense que voilà, étant une nouvelle prison, j’ai pas fait les autres, tu vois, mais je pense que c’était plus que correct. C’est au niveau surtout de l’organisation qu’ils ont beaucoup de problèmes, étant une nouvelle prison. Non, je pense même que c’est propre à tous les systèmes pénitentiaires ; il y a des problèmes de communication, de transmission de l’information et c’est la merde. J’ai été seul en cellule souvent, ouais, mais j’ai aussi été plusieurs dans des cellules individuelles. Quand tu as un codétenu, dans la plupart des cas, tu ne le choisis pas, sauf si ça fait longtemps que t’es là, qu’on commence à te connaître, là, t’es plus simplement un numéro de sécu, là tu deviens quelqu’un. Mais sinon, en général, on te fout un codétenu au hasard, en fonction de leurs places. Eux, ils ont beaucoup de détenus qu’ils doivent caser dans très peu de places, donc ils font comme ils peuvent, tu vois, et ils ne te demandent pas spécialement ton avis. Je me suis parfois retrouvé avec des codétenus qui sortaient de psychiatrie, qui étaient fous, n’avaient pas toute leur tête. C’est d’ailleurs pour ça que je me suis retrouvé au mitard, parce qu’on m’avait ramené un détenu qui n’avait pas toute sa tête, qui prenait des cachets, et moi j’avais décidé que je n’en voulais plus dans ma cellule. Mais il s’est trouvé que je suis tombé ce jour-là sur un surveillant de la pire espèce. Il a commencé à me faire un scandale, il a déclenché une alerte pour que tous les surveillants se pointent pour qu’on te ramène au mitard de force. Même les surveillants quand ils sont arrivés, tu sais, ils arrivent en courant genre état d’urgence, gyrophares… Et bien quand ils sont arrivés ils ont vu que c’était lui qui faisait du cinéma. Ils ne m’ont même pas emmené de force, alors que normalement, quand tu déclenches une alerte, automatiquement le détenu est emmené de force au mitard. Moi, je n’ai pas été emmené de force au mitard tellement ils ont vu que c’était lui qui faisait du cinéma et qu’il y avait de la haine dans ses yeux. C’est un opportuniste qui a choisi ce métier parce qu’il n’avait pas trop le choix, que c’était une bonne opportunité. Du coup, ce truc-là s’était passé un vendredi, j’ai fait le week-end dans ma cellule, et le lundi j’ai été convoqué au prétoire. Et là, pareil, devant le prétoire, j’ai pas voulu faire profil bas. Je ne connaissais pas encore le système, comment ça se passe, tu sais, « pardonnez-moi, mille excuses, je vous embrasse les pieds… ». Du coup, j’ai fait un peu le fier et je me suis pris dix jours de mitard dans la gueule.

Le mitard :

Le mitard, peu importe où c’est, je pense, c’est dur. C’est une espèce de garde-à-vue qui dure beaucoup plus longtemps. Quand je suis arrivé dans la cellule du mitard, première chose qui m’a étonné, c’est d’entendre des mecs, parce que les cellules sont côte à côte et que tu peux entendre les mecs, d’entendre des mecs que je connaissais, qui avaient toute leur tête. Quand je suis entré dans la cellule, je les ai entendu qui criaient, qui parlaient tous seuls. Ca faisait vingt jours qu’ils étaient là. Je pense qu’au bout de quinze ou vingt jours, t’es déconnecté et tu pètes un câble, tu te mets à parler tout seul, comme dans les films, sauf que c’est la réalité. Moi, je n’ai fait que dix jours, donc je n’ai pas connu ce stade, mais c’est vachement dur parce que t’es enfermé dans une cellule et tu vois rien, c’est même pas tu vois les oiseaux, un délire comme ça, tu ne vois rien du tout. T’es enfermé dans une cellule, tout ce que tu vois, c’est les murs, t’as rien, tu peux avoir un livre, ton repas, et toute la journée t’es là, tu réfléchis, t’as rien à faire. C’est spécial. Ce surveillant, c’est le genre à te dire « bonjour » mais à te dire « bonjour » en t’enculant, tu vois. En général, ça s’est bien passé, même s’il y en a un certain nombre dont tu vois clairement qu’ils sortent du fin fond du terroir et qu’ils en ont les convictions. Avec ceux-là, t’évites vraiment le contact.

Les conditions de détention :

A Meaux, il y a des douches en cellule, et ça, la douche en cellule, je pense que c’est vachement important et que ça change toute ta peine, toute ta condition. C’est vraiment quelque chose de très important. Quand t’es dans ta cellule, tu ne peux pas te doucher, tu transpires, t’as chaud… Même au niveau de l’hygiène, c’est la base, je ne sais pas, d’avoir une douche !

Déconnectés du temps :

Ce qui m’a le plus marqué, c’est que tous les jours sont les mêmes. Au bout d’un moment, quand ça commence à faire long, tu commences à être déconnecté du temps, quoi. T’es vraiment déconnecté du temps. D’ailleurs, je me suis rendu compte que là, ça fait quatre ans que je suis sorti, ces quatre années sont passées à une vitesse explosive, parce que j’ai pris un rythme léthargique pendant deux ans et demi où les choses n’avancent pas, où t’es au point mort. Quand tu restes au point mort pendant une longue période de temps, ton cerveau, ton horloge interne s’adapte à ce ralentissement et quand tu sors ! Il faut repartir à deux cents à l’heure. Du coup, ça fait quatre ans que je suis sorti, je ne les ai même pas vus, alors que j’ai passé que deux ans et demi en prison, et que j’ai l’impression que j’ai passé dix fois plus de temps en prison que ces quatre ans que j’ai passés dehors. C’est pas non plus la guerre en Irak… Non, non, il n’y a pas de traumatisme. Enfin ça dépend, peut-être qu’il y a des gens qui gardent des séquelles, mais moi, non, je n’ai pas eu de séquelles. Enfin, quand je suis sorti, j’avais tendance à rester un peu casanier pendant une petite période, mais après j’ai repris le rythme.

Faire passer le temps :

J’ai fait toutes les activités possibles et imaginables, même celles qui ne m’intéressaient pas du tout comme aller voir un psy. J’ai pris des cours de théâtre, j’ai repris des études, j’ai fait des cours d’anglais, j’ai repassé un diplôme équivalant au bac qui m’a permis de m’inscrire à l’université en sortant. Je m’inscrivais à tout, tout, tout. Quand on commence à connaître ta tête, celui qui fait la liste, il voit ton nom, il sait que c’est toi, donc il va t’inscrire. Et puis même, il y a des petites combines, aussi. Parfois, je n’étais pas spécialement inscrit, mais j’arrivais à faire croire que j’étais inscrit et j’arrivais finalement à m’éclipser de ma cellule. Mais durant les six premiers mois, je ne connaissais rien à la prison, j’étais en cellule individuelle, donc je n’avais pas spécialement de personne pour me conseiller, un exemple pour me montrer comment se passent les relations, comment faire pour arriver à tes fins… Donc pendant les six premiers mois, les huit premiers mois, j’ai eu droit à aucune activité, donc j’étais toute la journée dans ma cellule, une heure de promenade le matin, une heure de promenade l’après-midi. Après, quand je me suis retrouvé avec mon deuxième codétenu, lui, c’était un mec qui avait vingt-cinq piges et qui avait fait dix ans de placard, donc qui connaissait vraiment tous les rouages de la prison. En le voyant faire, j’ai appris beaucoup et après je suis devenu un expert en combines.

Et puis il y a beaucoup l’intérêt, aussi. Parce exemple, si quelqu’un va voir que t’es un détenu qui est « bien », au sens où tu es bien financièrement, tu reçois des mandats… Tu vas avoir des gens qui vont te solliciter, qui vont copiner avec toi. Et puis même, moi, je connaissais déjà pas mal de monde, dès que je suis arrivé, tu vois, des gens que je connaissais déjà dehors. Sinon, oui, il y a de l’entraide, c’est clair, il y a de l’entraide.

Expression individuelle et collective en prison :

Par quels moyens tu peux t’exprimer ? C’est quoi, refuser de remonter de promenade ? Tout le monde reste dans la cour de promenade et quand ils disent de rentrer, personne ne rentre ? Ca, on risque de rentrer en conflit avec eux, qu’ils t’envoient les brigades d’intervention pour faire rentrer tout le monde et au final, ça restera sur ton dossier. Tu prends le risque de faire du mitard, donc de rallonger ta peine, forcément. Donc les mecs, dans ces moments-là, ils auront tendance à être individualistes. C’est comme une grève, dehors, quand les gens font la grève, il y en a qui continuent à travailler, et puis ça s’estompe, et puis voilà. C’est pareil. Sauf que ça s’estompe beaucoup plus vite parce que là c’est vraiment la loi de la jungle, tu vois. Ca a survolé certains esprits, mais ça s’est vite estompé parce que ce n’est pas possible, chacun défend ses petits intérêts. Quand il y a un refus de remonter, ils encerclent la promenade, ils crient « rentrez, rentrez ! » et les mecs finissent par rentrer. Et s’ils ne rentrent pas, ils ont ce qu’il faut pour les faire rentrer, des bombes lacrymogènes, même des munitions à gommes, je crois. C’est arrivé deux ou trois fois. Enfin, dans tous les cas, l’Etat ne te laissera pas avoir le dernier mois, ça c’est sûr. Il te cassera, quitte à ce que tu finisses en psychiatre. J’ai vu des mecs qui avaient toute leur tête revenir de psychiatrie et ça m’a donné à réfléchir. Je me suis dit « wow, il vaut mieux se tenir à carreau ». Je n’ai pas envie de prendre le risque de me faire envoyer en psychiatrie et puis d’y perdre les neurones.

Les mouvements comme ça, ça va être surtout si on touche à la promenade. Par exemple, parfois, ça arrivait, des suppressions de promenade. Là, les mecs, ils pètent vraiment un câble, parce que ça leur chamboule tous leurs petits projets, parce que la promenade, c’est là que les détenus peuvent échanger entre eux, donc si tu lui enlèves sa promenade, tu contraries ses plans. La promenade, c’est ce qu’il y a de plus cher. Il y a aussi les cantines, les courses alimentaires, les biens de consommation… Souvent, il y a des problèmes avec ça. Soit tu ne reçois pas ce que tu as demandé, ou il y a des problèmes, et quand il y en a, pour les régler, c’est laisse tomber, en fait tu te la manges, c’est tant pis pour toi. Ca, ça peut faire péter des câbles aux gens, mais au final, t’as aucun pouvoir de révolte. C’est le genre de choses qui s’estompent, ça. C’est pas le genre de trucs qu’on veut qu’il se sache, tu vois. Quand t’es dans une prison comme Meaux, tu vas te tenir à carreau parce que t’as pas envie qu’on t’en change et de te retrouver dans un taudis. Donc tu te tiens à carreau. C’est ça, aussi, le gros risque. Tandis que si t’es à Fleury, et que t’es déjà au plus bas, que tu n’as plus rien à perdre, tu auras plus tendance à te révolter, plus facilement, oui. T’as plus rien à perdre. Ils ont tous les moyens de pression, ils ont tout. C’est eux qui ont le dernier mot. Le système est mis en place pour que ce soient eux qui aient le dernier mot, c’est comme ça. Par tous les moyens, ils arriveront à leurs fins, quoi que t’essaies de faire. C’est eux qui contrôlent tout, qu’est-ce que tu veux faire ? Tu vas faire des courriers ? des lettres ? Déclencher, même essayer de déclencher des condamnations, ça prend du temps, le mec il n’a pas que ça, il a d’autres problèmes. Donc au début, peut-être, il va être motivé. Après, il va lâcher l’affaire.

Dedans/dehors :

J’ai su que j’allais sortir un mois avant. Enfin non, en fait, dès que j’ai été condamné, je savais déjà pertinemment qu’il ne me restait plus beaucoup, à un, deux ou trois mois près. Donc à partir de là, mon objectif en tête, c’était vraiment de sortir. Quoi qu’il se passe, je me tiens vraiment à carreau, quoi qu’il se passe je ne veux pas faire un jour de plus. Ca a été mon seul objectif. Maintenant, il y a des gens qui sont moins organisés dans leur tête et qui auront tendance à s’éparpiller, tu vois. Moi, vraiment, de A à Z, ça a été ça, dans ma tête, clair et net. Ah, attention, je ne dis pas que… Non, c’était légitime que je sois en prison, tu respectes pas les lois, les lois sont faites pour établir un certain ordre dans une société et une société sans lois, c’est une société vouée à l’échec, donc si tu fais des conneries et que tu te retrouves en prison, tu ne peux t’en prendre qu’à toi, c’est clair. Ca m’a apporté de savoir ce que c’était, donc de savoir que je ne voulais pas y retourner.

La télévision en cellule :

L’artistique… Parce que je ne fais pas que du rap, tu vois, je fais aussi du dessin, je suis vraiment sensible à l’art, toute forme d’art. L’art, en général, ça a toujours été pour l’évasion, pas spécialement par rapport à la prison, même avant de connaître la prison, ça a toujours été une forme d’évasion de ta vie. Là, j’avais que ça à faire, donc il y a eu des périodes où j’ai beaucoup écrit, ouais. Ca avait le don de faire passer le temps, de faire oublier. Mais sinon, la principale source d’évasion en prison, c’est la télé. T’as une télé, t’as pas de télé, vraiment, ta peine, c’est deux choses différentes. J’en ai bouffé, j’en ai bouffé des heures, des vingt heures par jour, de la télé. Au point où je connaissais les répliques d’un film par cœur, tu vois. J’étais très calé sur l’actualité, enfin vraiment j’ai bouffé de la télé. Je ne regarde plus du tout la télé. Ce n’est pas un choix spécial, je ne regarde plus du tout la télé, j’ai autre chose à faire. Et puis la télé à haute dose, c’est une perte de temps, tu passes à côté de ta vie. Tu vis la tienne à travers celle des autres. L’arrivée de la télé en taule, je pense que ça a beaucoup calmé les gens. C’est peut-être suite aux mutineries dont tu parlais, là, qu’ils ont dû réfléchir à cette solution.

Justice de classe :

Je pense qu’en France, il y a un racisme qui n’est pas que de la justice, c’est global, c’est toute la société, donc, au final, la justice aussi. Je pense que ce n’est pas un racisme de races, mais un racisme de classes. Un racisme par rapport à la basse société dans laquelle on regroupe les gens démunis. Ouais, il y a beaucoup de surveillants qui sont racistes, beaucoup aussi qui ne le sont pas, tu vois. Il y en a beaucoup aussi qui font simplement leur métier et qui n’ont pas le choix de faire un autre métier. Alors ils se retrouvent à faire ce métier là, et puis il y en a beaucoup aussi… Je pense que quand tu donnes un certain pouvoir à l’être humain, ça a tendance à pervertir sa personnalité. Il y a un film qui traite de ça, ça s’appelle The experiment, l’expérience. C’est pas mal, c’est intéressant. Je pense que c’est la réalité : il y a certains surveillants, c’est des cons parce que ce petit pouvoir qu’on leur a mis entre les mains, ça leur a bouffé le cerveau, quoi. Mais sinon, il y en a beaucoup, une grande partie, qui, si tu es correct, sont corrects avec toi. Il y en a beaucoup, t’es dans le même bateau, presque. Pas du même bord, mais dans le même bateau, tu vois.

Avec la pénitentiaire :

Tu sais, les surveillants les plus cons, quand t’es dans cette situation de détention, où t’es à bout de nerfs, privé de ta liberté… Tu te retrouves face à un con en face de toi… Si tu n’as pas un certain contrôle, tu peux avoir une montée de nerfs et aller jusqu’à la violence physique. Je pense que dès qu’il y a une petite situation qui dérape, ils prennent un malin plaisir à se soulager, à évacuer leur stress sur lui.

Dans le système pénitentiaire, il y a de réelles relations avec le détenu, parce qu’ils cohabitent toute l’année, tu vois. Avec la police, tu ne cohabites pas. Le policier aura plus facilement tendance à se lâcher sur toi, alors que le surveillant pénitentiaire, à partir d’un certain moment il y a une certaine relation qui se crée. Je pense que par exemple, un détenu qui est là depuis dix ans, avec les mêmes surveillants, le jour où il pète un câble, on ne va pas se lâcher sur lui, parce qu’au final ce n’est pas un simple numéro de sécu. On reste des êtres humains malgré tout. Je pense que même la pire espèce garde son fond d’humanité, ne serait-ce qu’un grain de sable.

Avec la police :

Tu sais, avec les flics, avec les matons, moi… Avec tout ce qui est lié au pouvoir… Etant quelqu’un de logique, je sais que c’est lui qui a le pouvoir, donc je vais serpenter. Je ne vais pas aller à la collision, parce que dans tous les cas, celui qui a le pouvoir, c’est lui qui gagnera, tu vois.

J’ai déjà subi des contrôles, franchement… Je suis sûr que ces mêmes policiers qui m’ont contrôlé, ce jour-là, sans que je ne leur ai manqué de respect ni rien, ils n’auraient jamais eu ce comportement là… Je suis sûr qu’ils ne contrôlent même pas une certaine caste d’individus, et que s’ils devaient être amenés à les contrôler, ce serait une toute autre personne qu’ils auraient en face d’eux. Les gens ne se doutent même pas de la vraie face du mec. Le mec, il prend mes papiers, il les jette parterre, il me dit « ramasse, qu’est-ce que tu fous ici, casse-toi, rentre chez toi… Dis à ton pote d’arrêter de rigoler parce que je vais l’emplâtrer… ». Je suis sûr que ce même policier qui nous a contrôlé comme ça doit être un autre homme avec une autre caste de citoyens. Et ces gens-là ne vont pas se douter une seconde ! Ils vont dire « ouais, ce qu’on dit sur la police, c’est faux ». Et c’est normal, c’est normal que face à toi, il aura pas ce comportement.

Un détenu-boom : la sur-carcéralisation

Zemmour, il a dit qu’il n’y a que des noirs et des Arabes en prison, mais il a oublié de dire que c’est pour de petits délits. Genre pour les gros délits, pour la pédophilie, pour les meurtres, ce n’est pas des noirs et des Arabes qui sont en prison, tu vois. C’est vrai que sur cent détenus, tu vas en avoir quatre vingt qui sont basanés, issus de quartiers défavorisés, qui n’auront pas eu une grande éducation scolaire, qui n’auront pas eu les mêmes chances que d’autres, je pense, dans leur vie. Bon, je ne dis pas, hein, après tu as des gens qui ont toutes les chances dans leurs vies et qui choisissent volontairement la marginalité, tu vois. Moi, j’ai fait toute ma peine en maison d’arrêt. La majorité des détenus sont en mandat de dépôt, pas jugés, présumés coupables. D’où la surpopulation, parce que les mecs restent trop longtemps, ils ne sortent pas, il y en a d’autres qui rentrent et ça fait quoi ? Ca fait un détenu-boom !

Un autre truc que tu voudrais rajouter ?

Sur la prison… Je ne sais pas… N’y allez pas. N’y allez pas.

Publié dans Groupe Enquête Prison, Témoignages | Marqué avec , , , , , | Commentaires fermés sur « Présumé coupable ». Entretien avec un ex-détenu, 14 avril 2012 (G.E.P.)

Lettre de prison de Samir Tafer, juin 2012, prison de Bourg


Samir, emprisonné depuis décembre 2008 pour une voiture retournée pendant une manif lycéenne, a fait passer il y a quelques semaines une lettre écrite depuis la prison de Bourg à des proches.

Interview famille samir
 Interview famille samir

Je suis rentré en prison à Saint Quentin Fallavier en 2011 où j’ai passé un an sans pro­blème, sans his­toire avec aucun détenu, ni même un sur­veillant. J’occu­pais le poste d’auxi­liaire, je ser­vais les repas = game­leur) pen­dant plu­sieurs mois. Ce poste me conve­nait tout à fait et je l’occu­pais avec plai­sir. Arrivé en jan­vier 2012 (date de ma sortie défi­ni­tive qui était prévue) il y a eu sou­dai­ne­ment un inci­dent avec un sur­veillant.

C’était l’heure de la pro­me­nade, à ce moment là je me trou­vais aux toi­let­tes et lors­que je suis sorti de ma cel­lule pour me rendre à la pro­me­nade, les sur­veillants m’atten­daient à la porte de ma cel­lule accom­pa­gné du chef. Ils m’ont demandé où j’allais et je leur ai répondu que j’allais faire ma pro­me­nade d’une heure. Ces der­niers m’ont dit qu’il était trop tard. La pro­me­nade est la seule heure de libre de toute la jour­née qui est accordé à chaque détenu, c’est une sortie légale.

J’ai donc exigé mon heure légale de sortie, le chef m’a ensuite poussé à trois repri­ses, je lui ai demandé cal­me­ment de reti­rer ses mains mais celui-ci a refusé et ensuite m’a poussé au sol accom­pa­gné des sur­veillants. Ils m’ont traîné au mitard et j’ai ensuite été jugé pour soi-disant « agres­sion ». J’ai été condamné à un an de plus alors qu’il était prévu que je sorte défi­ni­ti­ve­ment le 7 jan­vier 2012. Tout cela a été orches­tré après afin que je ne sorte pas à la date prévue. Ce sys­tème est bien connu en prison. Dès que notre date de sortie défi­ni­tive de prison appro­che, les sur­veillants et autres corps de la prison, font tout (et je pèse mes mots) pour vous « emmer­der », pour vous pro­vo­quer pour que votre date de sortie soit repor­tée au plus loin au plus tard pos­si­ble.

J’ai été ensuite trans­féré à Bourg-en-Bresse (CP). Ils m’ont vrai­ment éloigné de ma famille qui ne peut pas se rendre régu­liè­re­ment à Bourg-en-Bresse pour me rendre visite. Cela fait plu­sieurs mois que je subis des pres­sions, des inju­res racia­les, de l’har­cè­le­ment moral de la part des sur­veillants qui se croient tout permis, qui ne res­pec­tent per­sonne. Les sur­veillants sont sans cesse en train de me pro­vo­quer, me déni­grer. Ils vien­nent tou­jours me cher­cher pour les par­loirs avec du retard alors que pour les autres déte­nus, ils vien­nent les cher­cher à l’heure.

J’ai de nou­veau été au mitard pour rien. Lorsque j’étais au mitard, ils m’ont parlé que de mon passé et quand je leur ai fait la remar­que ils m’ont répondu qu’ils par­le­ront tou­jours de mon passé même si je me tiens tran­quille. Lors de mon séjour au mitard, ma cel­lule a été entiè­re­ment fouillé et dès mon retour j’ai cons­taté que ma cel­lule a été fouillé et j’ai retrouvé mes affai­res par terre. Est-ce que c’est normal ce com­por­te­ment de la part des sur­veillants à mon égard ??? C’est un combat quo­ti­dien, je suis épuisé de tout cela, j’ai même entamé une grève de la faim lors­que j’étais au mitard pour expri­mer mon ras-le-bol et pour expri­mer mon indi­gna­tion !!! Les sur­veillants font tout pour me détruire mora­le­ment et m’humi­lier et main­tien­nent une pres­sion psy­cho­lo­gi­que et phy­si­que sur moi. Je com­mence à en avoir MARRE de ces condi­tions de déten­tion, de cette répres­sion faite sur moi, de ce mépris. Je suis mora­le­ment épuisé et par­fois je pense même au pire quand je vois toute cette pres­sion psy­cho­lo­gi­que, tout cet achar­ne­ment sur moi.

Samir TAFER

Pour écrire à Samir :
TAFER Samir
n° d’écrou : 2190
Centre Pénitentiaire de Bourg-en-Bresse
20, chemin de la pro­­vi­­dence
BP 90321 01011 . Bourg-en-Bresse

P.-S.

Depuis cette lettre de Samir, une mobilisation s’est mise en place autour d’un certain nombre de revendications le concernant, et plus largement sur les conditions de détention et l’arbitraire des surveillants à l’égard des détenus.

Un entretien avec l’OIP Lyon autour de sa situation a été réalisé, un premier rassemblement a eu lieu mercredi 6 juin.

Pour plus d’informations, vous pouvez écrire à contact(arobase)rebellyon.info qui fera passer à ses proches.

Source: http://rebellyon.info/Lettre-de-prison-de-Samir-Tafer.html

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Témoignage de Gregory Nosibor, du 6 avril 2012, détenu à la maison d’arrêt d’Annoeullin (G.E.P.)

Monsieur, Madame, j’en appelle à votre sens humain, car le récit que je m’apprête à vous confier reste pour le moins l’amertume d’une existence vécue dans le milieu carcéral.

Vous vouliez connaître les conditions de détention, les aménagements de peine autant que les relations avec les avocats. J’aborderai chacun de ces thèmes individuellement, bien qu’ils se rejoignent tous, en réalité, pour former le moule de la médiocrité, au nom de la république.

Les avocats, vous savez, ne sont pas différents de la plupart des gens qui se mêlent au système sans pour autant le combattre. Bien sont rares les avocats qui donnent de leur personne dans un procès, bien que certains se donnent l’image de la condescendance même devant la classe moyenne de la population. Ceci est une façon de redorer leur blason aux yeux de tous ? Ou est-ce une façon de se faire passer pour des personnes qui appartiennent à une élite de l’aristocratie ? Cela revient à être totalement pathétiques, car lors des procès tenus, les trois quarts des avocats s’écrasent devant le président de la cour ; à ce moment-là, il serait utile de leur demander où est cette arrogance, cette bienveillance dédaigneuse qui obscurcit leur horizon. Vous savez, j’ai appris une chose, après toutes ces années. Prenez un avocat en tant que conseil pour vous assister, mais ne le laissez pas prendre les commandes à votre place dans la bataille juridique, car les avocats ne font pas ce métier par conviction mais plutôt par nécessité et rétribution. Si vous n’avez pas l’âme d’un révolutionnaire, vous ne serez jamais un bon parti. Derrière le masque d’un révolutionnaire, il y a le masque d’un grand metteur en scène.

La garde à vue est une mesure toute particulière. C’est celle qui détermine si vous ferez ou non l’objet d’une mise en examen. Cependant, c’est vrai que certains peuvent être amenés à tomber sur des méthodes d’intimidation, des brutalités, voire des leurres de la part des agents de la force publique, pour que vous vous mettiez à table. Là commence une vraie course contre la montre, car vous devez faire en fonction de ce qu’ils vous mettent sous le nez pour ne pas vous commettre plus que vous ne l’êtes déjà. Je pourrais dire que la justice a fait un semblant d’évolution en ce qui concerne la garde à vue, car depuis peu le système permet aux avocats d’assister aux auditions qui se déroulent pendant votre garde à vue. Maintenant, c’est toujours pareil, vous devez garder le contrôle de vos auditions car ici nous ne sommes pas aux Etats-Unis. En Amérique, c’est l’avocat qui fait citer les témoins à la barre, qui conseille fortement au client de ne pas répondre aux questions des autorités… Mais ici, c’est tout autre, les avocats sont des gens qui se doivent d’exister au nom de la démocratie, mais pas plus.

Les conditions de détention, cela peut varier d’une personne à une autre. Par exemple une personne qui est principalement entourée par sa famille, qui bénéficie d’un soutien moral de l’extérieur accepte plus facilement, si je puis dire, sa détention, par rapport à quelqu’un de totalement démuni et de livré à lui-même. Mais, dans l’ensemble, une vie privée de liberté est très dure, moralement, surtout quand cela se chiffre en années. Maintenant, y a le détenu qui a la faculté de faire avec, bien difficile que cela soit, et d’autres qui flanchent, car le caractère et l’émotivité font que tout ça est difficilement supportable.

Pour les personnes dépendantes de produits stupéfiants, ce qui me laisse perplexe c’est qu’en détention, ils ont tendance à entretenir leur dépendance, car à haute dose, les produits de substitution, cela n’a pas grand effet, si ce n’est de changer une drogue pour une autre !

Faut savoir qu’en détention, tous les jours se ressemblent, se confondent et que les gens qui s’y trouvent confrontés constatent le gâchis que cela représente au quotidien. Certains mettent ce temps à profit pour apprendre autre chose, donc en partie faire de ce mal un aspect un peu plus positif tant que constructif. Quant aux aménagements de peine, ils n’ont rien de très fastidieux au premier abord, si ce n’est que de pouvoir les obtenir et les mettre en œuvre avec un juge de l’application des peines. Mais comme vous le savez sûrement, la société actuelle a tendance à durcir un peu la législation sur les mesures d’aménagement de peine, ce qui ramène la plupart des individus détenus à être libérée à la fin de leur peine, ce qui n’arrange pas toujours le problème de la récidive.

Post scriptum : vous me demandez si je souhaite conserver la citation de Terayama Shuji, qui a dit que derrière le masque du révolutionnaire, il y a le masque d’un grand metteur en scène. Cette citation me parle, car avec de fortes convictions, on peut se surpasser. Vous savez, les salles d’audience, ce ne sont que de vétustes pièces de théâtre. La plupart, pour ne pas dire tout le monde surjoue un peu son rôle à l’intérieur. D’où la nécessité d’évoquer l’opposition à un système très néfaste. A être vrai, quoi de mieux que d’être en accord avec soi-même ? Prenez l’exemple des ténors, comme Eric Dupont-Moretti. Ce dernier conforte l’analyse de Terayama Shuji, car il croit en sa vocation et parce qu’il a l’âme d’un révolutionnaire il devient le metteur en scène dans la plupart de ses audiences.

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Emeute à la prison de Bruges

Une émeute a eu lieu dimanche soir à la prison de Bruges. Après la promenade, certains détenus ont refusé de regagner leur cellule.

 

La police a dû intervenir et la rébellion a pu être réprimée, a indiqué le porte-parole de la prison. Une trentaine de prisonniers seraient en effet mécontents de certains aspects du régime de la prison de Bruges, notamment à propos de la cantine.

La révolte a été violente, selon le porte-parole, et l’on a signalé des dégâts. Certains détenus ont finalement accepté de rejoindre leur cellule tandis que d’autres s’obstinaient. Une unité spéciale de la police a dû intervenir et tout est rentré dans l’ordre.

source : http://www.7sur7.be/7s7/fr/1502/Belgique/article/detail/1451890/2012/06/11/Emeute-a-la-prison-de-Bruges.dhtml

 

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Travail en prison : zone de non-droit, laboratoire de flexibilité

L ’affaire date de décembre dernier. Elle commence avec une infraction au règlement. Placée en détention provisoire à la maison d’arrêt de Versailles depuis 2010, une détenue a profité de son statut de téléopératrice pour passer des appels personnels. L’ayant appris, la société MKT Sociétal décide de la déclasser – en prison, on n’embauche pas ou on ne licencie pas, on « classe » et on « déclasse ». L’intéressée, qui s’estime victime d’un licenciement, saisit alors la justice pour rupture abusive de contrat de travail. Ce qui se joue dans ce dossier dépasse largement les deux protagonistes. Il s’agit en réalité de savoir si le droit du travail doit ou non s’appliquer en détention, sachant que le statut de détenu n’a rien à voir avec le droit commun. Le Code du travail ne s’applique pas en prison. Comme l’indique le règlement intérieur de la maison d’arrêt de Nanterre, « la personne détenue qui travaille n’est pas un salarié », bénéficiant de la protection du droit du travail, « sauf pour les règles d’hygiène et de sécurité ». Ce qui signifie : pas de Smic, la non-application des procédures de licenciement, le non-paiement des journées de travail en cas d’arrêt maladie ou d’accident du travail, l’absence de congés payés, etc. « Faute de contrat de travail, les conditions d’emploi restent définies unilatéralement par l’administration pénitentiaire dans un “acte d’engagement professionnel”. Un ersatz de contrat impropre à garantir une protection sociale aux personnes incarcérées. L’administration n’étant même pas tenue d’y mentionner la durée du travail », note un récent rapport sur les conditions de détention. De l’avis des pouvoirs publics, la moindre productivité des personnels détenus justifie des salaires et des prestations bien inférieurs à ceux dont bénéficient les travailleurs libres. D’après eux, les normes associées au contrat de travail, qu’ils refusent d’appliquer, « créeraient des droits au profit des détenus », dont l’application serait source de « charges financières fortement dissuasives pour les entreprises », qui perdraient dès lors « tout intérêt à contracter avec l’administration pénitentiaire ». Mais comme le souligne aussi Philippe Auvergnon, directeur de recherche au CNRS, spécialiste du droit comparé du travail, « l’administration a peur de perdre le moyen de pression que constitue le travail, notamment par le classement et le déclassement ». « Le travail est le moyen le plus puissant pour assurer l’ordre intérieur », peut-on ainsi lire dans une instruction sur le règlement général des prisons départementales datant du… 30 octobre 1841. « Cette philosophie a traversé les époques. Si les détenus sont en activité et ont un minimum de revenus, cela diminue d’autant les tensions et limite le phénomène de racket. Peu importe le contenu des emplois pourvu que les détenus soient juste occupés », résume Marie Crétenot, juriste à l’Observatoire international des prisons (OIP). Le problème, c’est que les places sont rares. Seuls 24,34 % des détenus avaient un emploi en 2010, selon l’OIP. À cela s’ajoute la faible rémunération : les revenus mensuels des travailleurs détenus tournent autour de 318 euros par mois, selon l’OIP. Soit environ trois fois moins que le Smic. Certes, il existe un salaire minimum de référence, mais, il n’est que rarement observé. Constitutif d’un « véritable laboratoire de flexibilité », selon Philippe Auvergnon, le travail en prison « est souvent utilisé comme variable d’ajustement par les entreprises ». Les personnes détenues se voient employées à titre de main-d’œuvre d’appoint, mobilisable en fonction des besoins. Comme le relève le sociologue Fabrice Guilbaud, « au cours du même mois, l’effectif peut varier de 0 à 90 détenus » dans un atelier et « passer du jour au lendemain du simple au double ». De telles oscillations ne sont évidemment pas sans conséquence sur le montant des rémunérations mensuelles, qui peuvent d’un mois à l’autre être divisées par deux, trois ou quatre. L’offre de travail est donc rare et pourtant la demande est élevée de la part des détenus, contraints d’accepter des travaux débilitants. Car cela fait partie des conditions pour obtenir des remises de peine. « Le travail n’est plus obligatoire depuis 1987, mais la loi pénitentiaire de 2009 implique une obligation d’activité. Les détenus sont donc dans une forme d’obligation sociale de se trouver un revenu, car le travail offre des remises de peine supplémentaires. Le travail est dans une logique de récompense », analyse Fabrice Guilbaud. Et c’est aussi un moyen de survivre. Car contrairement aux idées reçues, il faut de l’argent pour vivre en prison. 30 % des détenus disposent de moins de 45 euros pour “cantiner” quand il faut au minimum 200 euros par mois pour vivre derrière les barreaux (acheter des produits de première nécessité, compléter la nourriture servie ou louer un téléviseur). À cette précarité de l’emploi s’ajoute l’impossibilité de prétendre à des indemnités journalières en cas d’arrêt maladie ou d’accident du travail. Pourtant, les entorses aux règles d’hygiène et de sécurité sont légion. Un bilan dressé par l’administration pénitentiaire en 2008 montre que plus d’un tiers des observations faites dans les établissements inspectés depuis 2005 sont restées lettre morte. Si beaucoup de détenus se plaignent de leurs conditions de vie et de travail, peu s’engagent sur la voie de la judiciarisation. « Comme il n’y a pas de règles, beaucoup craignent de perdre leur boulot en faisant valoir leurs droits », note l’OIP. « Ce qui domine lorsqu’ils sortent de prison et qu’ils parlent de leur travail en détention, c’est la révolte », confirme Nelly Grosdoigt, la directrice de l’Espace liberté emploi, seule agence Pôle emploi spécialisée dans l’accompagnement des sortants de prison. « Ils ont l’impression d’avoir été exploités. Leur vision du travail serait meilleure s’ils étaient davantage et mieux mis en valeur. » Repères Moins de 10 000 détenus 
(sur 62 000) travaillent à la pièce, pour à peine 3 euros brut 
de l’heure, au profit de PME et de sous-traitants de quelques marques connues (Renault, Yves Rocher, L’Oréal, Agnès B, Post-it). La rémunération du travail en prison est réglementée par le Code de procédure pénale : 45 % du Smic pour les activités de production, de 20 à 33 % pour le service général. En principe, « les rémunérations du travail doivent se rapprocher autant que possible de celle des activités professionnelles extérieures afin notamment de préparer les détenus aux conditions normales du travail libre », selon le Code. Le taux d’emploi des détenus : 24,34 %, l’un des plus bas depuis 2000. Il atteignait alors 37 %.

source : http://www.humanite.fr/societe/travail-en-prison%E2%80%89-zone-de-non-droit-laboratoire-de-flexibilite-497800
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Communiqué pour Philippe El Shenneway, Paris, le 7 juin 2012

Ces quelques lignes dans le but de vous informer de la situation de Monsieur Philippe El
Shennawy, cinquante-huit ans. Il a décidé depuis deux semaines de se laisser mourir de faim dans
une cellule de la maison centrale de Poissy, près de Paris. Il n’a rien avalé depuis le 23 mai dernier.
Peut-être connaissez-vous Monsieur El Shennawy, personnellement ou de réputation. Son
nom évoque pour la presse à sensations une condamnation de la France par la Cour européenne des
droits de l’homme à cause des fouilles incessantes imposées par l’administration, son évasion de
l’Unité pour Malades Difficiles (UMD) de Montfavet pour résister à la folie vers laquelle le poussait
l’institution psychiatrique, sa présidence d’honneur de l’association Ban Public, ou encore le célèbre
braquage de l’avenue de Breteuil, au milieu des années 70, dans lequel il nie toujours formellement
la moindre implication.
Philippe El Shennawy incarne aussi, pour beaucoup, une sorte de figure emblématique de la
« longue peine », de la très longue peine. Bientôt de la peine infinie.
A cinquante-huit ans, il a vécu emmuré vivant presque en continu depuis 1975, date de sa
première incarcération pour un vol à main armée.
Il a tourné dans quasiment toutes les prisons de France, baluchonné, étiqueté D.P.S, placé
pendant 19 ans à l’isolement.
Plus de trente-sept années plus tard, il est toujours en prison, accumulant des peines qu’il lui
reste à faire de 3 ans, 5 ans, 10 ans, 2 ans, 13 ans… Toujours sans avoir la plus petite goutte de sang
sur les mains. Il est sous le coup d’une peine de sûreté qui court jusqu’en 2018.
Comme les condamnations dont il a écopé sont tombées pour des faits commis tous en
même temps (à vrai dire, pour financer ses quelques mois de cavale), Monsieur El Shennawy a
demandé une confusion de peines aux magistrats, afin que les peines les moins graves soient
« absorbées » par les peines les plus importantes. Il l’a fait pour essayer de retrouver un horizon,
pour pouvoir à nouveau s’imaginer un avenir, pour ne pas continuer à attendre et à faire attendre
sa femme, ses enfants et petits-enfants, comme ça, sans savoir.
Mais le 18 mai dernier, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Versailles s’est
contentée de ramener sa date de fin de peine de 2036 à 2032, comme si cela changeait
véritablement quelque chose, comme si c’était ce qu’il lui demandait, alors qu’elle aurait
légalement pu rapporter cette date de fin de peine vers l’année 2017.
Il n’y a aucune motivation à cette décision.
La seule chose à comprendre, c’est que pour la Chambre de l’instruction, il serait
parfaitement normal que Monsieur El Shennawy ne sorte qu’à 78 ans, après avoir été privé de ses
libertés pendant près de 54 ans.
La trajectoire de Philippe El Shennawy est très particulière, elle ne ressemble à aucune autre.
Il n’empêche qu’il fait partie de ces centaines d’hommes en France qui, condamnés à la réclusion
criminelle à perpétuité ou, tout simplement, à des peines à temps d’une longueur infinie ou qui
s’accumulent entre elles, perdent de plus en plus l’espoir d’une perspective réaliste de sortie.
Son histoire est tout à fait propre à sa personne, son caractère, son entourage (heureusement
encore extrêmement présent). C’est un homme d’une grande intelligence et d’un grand courage.
Dans le même temps, son histoire pose vraiment des problèmes beaucoup plus généraux
comme l’allongement et l’accumulation des peines prononcées par les magistrats et les jurés, les
discours publics de plus en plus présents sur la « dangerosité » supposée des uns et des autres,
l’isolement et la solitude toujours plus grands ou, tout simplement, les peines de mort déguisées.
Philippe El Shennawy n’attend plus rien. Il ne demande plus rien. Il veut juste essayer de
faire en sorte que les gens, dehors, sachent que des situations comme la sienne existent. Et combien
elles sont difficilement supportables pour ceux qui les vivent et leurs proches.
Monsieur El Shennawy espère que les choses vont changer. Pas pour lui, il n’y croit plus,
mais pour les autres.
S’il a complètement cessé de s’alimenter, il boit encore de l’eau.
C’est un homme fort, solide, mais déjà affaibli par une grève de la faim précédente, de 80
jours.
Son désespoir commence à être plus que pesant.
Surtout, il faut bien comprendre une chose. Cette fois, Monsieur El Shennawy n’est pas en
grève de la faim.
Il n’a pas de revendications.
Il n’en peut tout simplement plus.
Il veut juste que ça s’arrête. Et il importait que vous en soyez averti, que ce déni d’humanité
ne reste pas dans l’ombre.
Si vous voulez écrire à Monsieur Philippe El Shennawy, son adresse est la suivante :
Maison centrale de Poissy,
17, rue de l’Abbaye,
78 303 Poissy Cedex.
Merci de bien vouloir faire en sorte que cette information circule le plus possible, dans tous les
établissements pénitentiaires de France.

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Sans Papiers Ni Frontières

Sans Papiers Ni Frontières est un blog où l’on peut trouver du matériel (affiches, tracts, brochures, émissions de radio…) contre les centres de rétention et les frontières, ceux qui les gèrent et les construisent, sur la société qui les génèrent. Sont mis à jour régulièrement des rendez-vous de manifestations, discussions et autres initiatives ainsi que des infos sur les frontières, les luttes et les révoltes dans les prisons pour étrangers.

https://sanspapiersnifrontieres.noblogs.org

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